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DEMOCRITE, atomiste dérouté
11 novembre 2005

Au feu

Les événements qui ont ébranlé un grand nombre de quartiers ces derniers jours ont de quoi nous questionner, par-delà leur violence apparente, sur l'état de délabrement des institutions de notre pays. Comment ne pas reconnaître dans ces comportements un scénario typiquement suicidaire ? Comme l'a très justement fait remarquer un de mes élèves de terminale  détruire son quartier, son école, ses commerces de proximité constituent des formes détournées de suicide. Comment ne pas interpréter ces comportements comme des mécanismes anomiques qui parlent, à leur façon, d'une autre violence autrement ravageuse et infernale car infiltrée et distillée dans des corps désormais mutilés, celle de l'exclusion, de la stigmatisation de la jeunesse, de l'abandon des pouvoirs publics et de la pauvreté ? Comment ne pas y voir le symptôme d'une société défaillante quant à ses modèles, ses discours sur les valeurs et la réalité socio-économique vécue concrètement par des populations entières ? Qu'est-ce que la tentative de suicide d'un jeune ou d'un adolescent sinon un acte au contenu désespéré adressé à l'Autre, au grand Autre, c'est-à-dire au pouvoir institutionnel. Pouvoir dont la légitimité s'est dramatiquement délitée et qui prend ici le visage du policier, du crs, de l'ambulancier, du pompier, du conducteur de bus que l'on agresse malgré les risques encourus. Cette violence bruyante et anarchique n'en est pas moins symbolique. Elle dit quelque chose de la puissance publique dont la signification est vacillante. Elle interroge dans sa brutalité même, les zones d'ombre de l'Etat et la violence institutionnelle qui en découle.
Aussi, je m'étonne et déplore une fois de plus, qu'une certaine tendance médiatico-politique bien pensante emploie de façon réactive, un "discours psychologisant de bazar" pour décoder ces événements, en mettant en cause de façon récurrente, les familles, leur rôle d'éducateur, et leur responsabilité de tuteur. Cette rhétorique n'aurait-elle pas pour finalité, par l'affirmation d'une causalité de proximité ("/que font les parents, eux qui ont ces jeunes à charge?/") simpliste et démagogique, de dissoudre tout questionnement sur les dysfonctionnements institutionnels et de noyer le poisson en incriminant doublement ceux qui sont condamnés à survivre dans ces quartiers (certaines banlieues n'ont jamais été aussi proches de leur étymologie -la banlieue : lieu des bannis/) tout en les frappant par des sanctions économiques supplémentaires (amendes, suppression des allocations familiales...). Faut-il rappeler que l'éducation par la famille "/n'est pas un empire dans un empire/", un sanctuaire où la transmission des valeurs s'effectue magiquement (c'est-à-dire indépendamment des conditions réelles d'existence) du haut vers le bas. La famille est aussi historiquement une *institution* qui n'échappe pas plus que l'individu à des influences, à des conditionnements économiques, à des discours médiatiques et publicitaires, à des représentations collectives, à des orientations politiques et à leurs carences, autrement dit à une certaine forme de déterminisme social ou d'anomie quand ce dernier est vécu comme non structurant et désintégrateur.
Je m'inquiète enfin des tendances proprement réactionnaires qui tendent à penser la jeunesse comme une menace permanente. Quelle est donc cette jeunesse que l'on craint et que l'on flatte dans le même temps, à mesure qu'on la craint ? Si /toute génération montante est potentiellement révolutionnaire/, comme l'expliquait avec beaucoup de justesse Hannah Arendt _(La Crise de la culture_), c'est qu'elle incarne depuis toujours la nouveauté, la mobilité et l'inventivité qu'il s'agit d'inscrire dans les bornes d'un monde déjà constitué mais capable d'évolution, de transformation donc de création. La tension éducative est bien le fait de la transmission d'un monde. Tension qui, en principe, se résorbe dans la valeur et le sens que l'institution protège, initie et incarne par l'intermédiaire des Anciens.Quelle est donc la signification et la cohérence d'un "monde" qui suscite caillassage et conduites mortifères ? Il apparaît de plus en plus urgent de questionner ce qui ressemble fort à de la pathologie institutionnelle sans basculer du côté des forces réactives et de la répression stérile. En somme, les malades ne sont peut-être pas toujours ceux que l'on imagine et la délinquance peut aussi proliférer au plus haut niveau de l'Etat qui, comme le disait Weber, a toujours le monopole de la violence légitime".

Portez-vous bien

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