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DEMOCRITE, atomiste dérouté
12 mai 2007

Lourdeur matutinale

Il est des jours où le réel a la pesanteur et la noirceur de nos cauchemars ; je me suis, ce matin, éveillé, comme vous sans doute, avec cette étrange impression d'avoir fait un mauvais rêve, un triste songe qu'un soleil de printemps allait évaporer dans son ardeur croissante. Mais non, ce matin, le ciel est bas, il pleut légèrement et le vent d'ouest souffle assez fort pour indiquer que l'astre majeur n'est plus à la fête.
Comment ne pas s'interroger sur cette déconfiture politique ? Par quels rouages secrets et quelle logique implicite le scénario de ces éléctions a-t-il pu se construire et se dérouler de la sorte ? Je songe évidemment à La Boétie et à son /Discours sur la servitude volontaire/, à la grande inculture des peuples, à leur penchant spontané pour les dynamiques passionnelles, pour les enthousiasmes d'un jour, pour les illusions collectives, pour les identifications régressives à l'homme providentiel ; autant de processus qui sont à la marge des débats politiques et qui pourtant, constituent le grand secret d'une élection, son mirage esssentiel !
Je me méfie dans le même temps de cette amertume matutinale qui rend la bouche pâteuse et l'esprit souffreteux, qui affecte le corps dans son déploiement coutumier. Je me méfie de mes propres tendances au ressentiment qui me pousseraient, dans une réaction assez brute, je dois le concéder, à vociférer à la manière d'un de Gaulle ou tout récemment d'un Michel Onfray : "/Les français sont des veaux !/" Il y a si peu, ( à la suite du sinistre CPE), l'action politique du gouvernement Villepin-Sarkozy était massivement vilipendée par ces derniers qui plébiscitent aujourd'hui ou presque, celui qui a attisé le feu et la braise dans les banlieues, qui à précarisé la jeunesse française, à accentué les inégalités devant la retraite, a renforcé les fractures sociales et a aidé les plus riches; celui qui a fait discours récurrent sur la haine, sur les crispations identitaires (motrices de toutes les violences), celui qui a "frontiser" ses positions en séduisant l'électorat d'extrême droite, qui a fait pression sur la presse libre pour interdire la parution d'articles mettant en cause ses pratiques, et j'en passe... Allez comprendre ! Bref, cette victoire de la droite française radicale a des relents de populisme à peine voilés et de vomissures qui rappellent les heures sombres de notre histoire que nous gommerons dans le déni de repentance !

   Difficile de se sentir léger et de répondre au traditionnel "ça va ?" du matin sans se demander où se situe son interlocuteur. Une étrange lourdeur pèse sur les regards, habite les postures de mes collègues ; une lourdeur qui simule l'indifférence mais qui fracture discrètement mais réellement la population scolaire et les professeurs. Le sourire est de façade et nous nous sentons cernés par le sarkozysme, car nombreux sont ceux qui, dans les établissements privés, se reconnaissent dans les positions de la droite et revendiquent  la liberté (apparente) de l'école confessionnelle, à l'instar du discours du président de l'ump. Il en est même qui soutiennent des syndicats officiellement ancrés à gauche et qui, dans le même temps, approuvent sans nuance le projet sarkosyste du dépassement et de la fin de la  nouvelle lutte des classes.
   Car c'est bien de cela dont il s'agit. Sarkozy a réussi ce tour de force magistral *d'inventer une nouvelle lutte des classes* ; de reprendre, ce qui, historiquement constituait une rhétorique de l'idéologie de gauche, pour l'appliquer, tout en la déplaçant, à de nouvelles catégories sociales. Ce n'est plus que la classe ouvrière, celle qui travaille, se lève tôt et se trouve peu récompensée s'oppose à la bourgeoisie et au capitalisme ! Non ! Les travailleurs s'opposent désormais aux "assistés", aux paresseux, aux "lève-tard", à tous ceux qui profitent des allocations sur leur dos  (!), et qui "/jouissent sans entrave/" selon l' adage soixantehuitard. Bref, la nouvelle lutte des classes est entre les pauvres et les exclus, entre les immigrés sans papiers et ceux qui sont français et qui savent pourquoi, entre les travailleurs et les chômeurs qui abusent de leurs indemnités en refusant les offres d'emploi qui, pourtant leur correspondent, entre les délinquants et les victimes, entre les banlieues à karchériser et les honnêtes centre-villes, entre les enfants génétiquement programmés pour la délinquance, le suicide, la pédophilie, l'homosexualité et les autres, les "normaux" lesquels doivent d'urgence se protéger contre ces terribles perversions ! Cette nouvelle lutte des classes a le mérite de diviser les pauvres (et ils sont nombreux !) pour engraisser les riches (qui le sont moins), tout en canalisant l'ensemble des frustrations populaires contre les "parasites officiels" du système. Et le tour est joué ! Finie la lutte des classes entre les actionnaires, les rentiers qui ne travaillent pas (eux !) et s'enrichissent et tous ceux qui suent becs et ongles en subissant la pression accrûe du marché et de la concurrence ! Terminée la fracture économique indécente entre les grands patrons et les salariés qui gagnent jusqu'à 3000 fois moins que leur PDG ! Finis l'immoralisme et l'incivisme de ceux qui fuient la France pour échapper à l'impôt ! La fuite des "talents" est toujours une catastrophe même quand elle repose sur le mépris de la citoyenneté et de la justice sociale, sur la haine de l'esprit français et de son sens historique de la solidarité ! L'argent n'a décidément pas d'odeur et J. Halliday peut désormais, sans conteste, affirmer haut et fort son "attachement sincère à l'identité nationale" ! Les ennemis imaginaires sont toujours les plus faibles que soi, logique infaillible du ressentiment et de la haine, de l'impuissance et de la fatalité réunies dans une formule aussi vide que dangereuse : "/Tout devient possible !/"

   C'est bien sûr, au coeur de cette rhétorique "diabolique" que prennent tout leur sens /la glorification du travail/ /et/ /les infatigables discours sur "la bénédiction du travail" .[...] On vise toujours sous ce nom le dur labeur du matin au soir qui tient chacun en bride et s'entend à entraver puissamment le développement de la raison, des désirs et le goût de l'indépendance. Car il consume une extraordinaire quantité de force nerveuse et la soustrait à la réflexion, à la méditation, à la rêverie, aux soucis, à l'amour et à la haine. Ainsi, une société où on travaille dur en permanence aura davantage de sécurité : et on adore aujourd'hui la sécurité comme la divinité suprême. Un tel travail constitue la meilleure des polices,/ écrivait Nietzsche (en 1880 !) dans _Aurore._ Y a-t-il seulement quelque chose à ajouter à ce triste tableau de la fin du XIXè Siècle pour lequel les français ont massivement voté ?

   A l'évidence, une idéologie assumée dans ses ancrages à droite et décomplexée s'est affermie et s'est revendiquée contre une gauche au discours idéologiquement vide et insaisissable, tant dans ses contenus que dans ses positionnements, comme l'a été celui de S. Royal. Ce vote est d'abord et avant tout la victoire d'une idéologie sur un néant idéologique, non celle d'une politique procédant des conséquences réelles du dernier quinquennat. Il est la victoire d'un imaginaire collectif porté magiquement par le volontarisme populiste d'un seul. L'appareil conceptuel de la droite et l'incantation autour d'une illusoire rupture auront suffi à créer les conditions réelles d'une amnésie relative à un bilan politique catastrophique. Cette flagrante amnésie s'est constituée sur une impressionnante faculté d'oubli ou de refoulement, ce qui n'est d'ailleurs pas la même chose : si l'oubli est faculté digestive- assimilation et élaboration de nouvelles énergies - le refoulement est puissance réactive dont les éléments affectifs n'ont pas fini d'empoisonner les représentations collectives et de se décharger sur tous ceux qui sont censés incarner les causes du malheur et du déclin français. Dans cette dernière hypothèse qui me paraît dramatiquement la plus plausible, la France apaisée n'est pas pour demain.

Portons-nous bien et cultivons notre jardin, à un atome d'écart !


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Commentaires
T
Je ne suis pas vraiment d'accord quand tu dis qu'il reprend le concept de lutte de classe et le renverse, parce que finalement il fait la même chose que tout ses prédecesseurs, il dénonce simplement ceux qui "parasitent le système", les ennemis invisibles, par exemple comme hitler le faisait avec les juifs (enfin, j'exagère, sarko c'est pas le fascisme); il n'a rien inventé...<br /> C'est clair que cette élection nous renvoit brutalement l'image de la société actuelle en plein dans la tête, mais il ne faut pas non plus trop paniquer (beaucoup de personnes ont crié "sarko fascho) parce qu'il ne me semble pas qu'il ai beaucoup d'interret à mettre en place un régime totalitaire, "seulement" ça nous montre que niveau lutte de classe, ben c'est bof bof
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