Tadrart, le silence des sables (2)
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Lundi 11 février 2002, 11h30
La girafe de Tassili, Tadrart, février 2002
Une girafe rupestre inscrite là, depuis quand ? Cette signature sur la paroi atteste du désir ardent de vivre, d'indiquer au cosmos entier la force et la vitalité de l'esprit devenu minéral. Dans ce jardin des sables, ces animaux fossilisés dans leur linceul solide sont la mémoire vibrante d'un ancien feu. J'entends, sous ce silence figé, sourdre l'épais crépitement de la braise et la danse des guerriers tout autour. Cette girafe, dans sa roche écarlate, me rappelle que la vie ne s'exprime pas dans le sable, dans la matière éparpillée comme des atomes. Elle se déploie dans la combinaison singulière, dans la composition des grains qui, telles des étoiles, illumine les chevaux de Tassili. Dans ce monde qui n'en est plus un, la pierre obstinée résiste à la mort !
Tadrart 2, Algérie, Février 2002, 17 H
Tadrart ! Tadrart ! clame le dune. Le sable chante la mélodie des éléments, harpe éolienne aux couleurs vives, tu me fais chavirer. Ma peau a disparu avec toutes les frontières. La frêle surface a accouché d'un oeil clair dans les plis. Je respire le vent du désert. Présence orangée. En un instant, je me sens devenir ces atomes indomptables, gagnés par une folie aléatoire roulant sur la crête d'un navire.
Mon sourire va à Démocrite le rieur ; mes anciennes certitudes s'effondrent, cette poussière au vent me livre l'étrange vérité, l'impossible vérité de l'éternel nomadisme. Serai-je à la hauteur de cette fulgurance ? Pourrai-je supporter l'épreuve radicale de l'absolue mobilité ? Ce n'est pas une idée, pas même une intuition, mais l'expérience brute de ces corps minuscules qui voltigent à l'infini et m'emportent dans leur tourbillon.¨
Peau orangée, Tadrart, Algérie, Février 2002
Chaque soir me délivre de mes anciennes crispations. Je découvre ici la véritable saveur des éléments, habité par une nudité sans pareille. Les masques tombent et avec eux, le divertissement urbain et sa morne comédie. Je me sens désormais un élément dans la grande totalité de l'univers, mon souffle se mêle à la lumière fuyante et ces ombres croissantes dessinent à mes pieds une vaste chambre. Mes compagnons dorment d'un sommeil lourd. Chacun rend au désert une part de sa perception, de ses propres résistances, un peu de son bruit interne.
Moi, je suis un évadé, un somnambule frappé par l'ivresse du soir. Les touaregs m'ont baptisé "MEKTOUB", le destin ; sorte d'ironie souriante et cocasse pour quelqu'un qui découvre en ces lieux l'évidence du hasard absolu, créateur des mondes. Il m'est impossible de dormir. Un opéra courbé par la densité stellaire se prépare. J'en serai le seul auditeur, son témoin privilégié, son essentiel acteur : Mektoub ou le danseur fou de la Tadrart !
Cette nuit sera sans paupières ou ne sera pas.
A suivre