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DEMOCRITE, atomiste dérouté
3 juillet 2007

Content ou satisfait ?

La recherche de la satisfaction pourrait bien ressembler à un projet philosophique tourné vers le bonheur ou la réalisation maximale de ses propres désirs. Il y a dans la satisfaction l'idée que le sujet pourrait accéder à une forme de plénitude c'est-à-dire à une expérience du plein mettant fin à toute faille, à tout manque, à toute béance et par conséquent à toute souffrance. "Satisfait donc heureux" pourrait-on dire.  Satisfait ou remboursé peut-on lire sur les paquets de produits alimentaires. Etrange formule qui laisse penser que le produit consommé est en mesure de combler le manque jusqu'à l'aphasie puisqu'on n'aurait précisément plus rien à ajouter, plus rien à dire, plus rien à attendre, plus rien à réclamer. Procédé évidemment vendeur car il laisse miroiter, comme pour toutes les publicités, la possibilité d'un objet satisfaisant et l'évidence du sentiment heureux qui en découle. Le réel (publicitaire) est censé nous satisfaire, le réel, c'est-à-dire des choses, des produits, des consommables, cabables, nous dit-on, de combler l'abîme de nos désirs, de nous trouver l'âme soeur, de rendre la jeunesse, de donner la liberté etc . Même idée avec le fameux "tout devient possible" de l'ex-candidat et désormais président de la république, ce "tout" laissant croire à une adéquation potentielle entre nos désirs et la réalité, adéquation à laquelle s'ajoute cette idée du passage du non-être à l'être (ça devient possible) indépendamment des contraintes du réel (à l'évidence, possible ne signifie pas réel ou réalisable mais on joue ici sur les mots pour créer dans la représentation ce glissement). Rien ne ferait dès lors obstacle à l'avénement de ce "tout". Rhétorique capable de susciter tous les fantasmes et de les satisfaire dans un devenir possible. La politique est aussi du marketing publicitaire !

Initialement, le verbe satisfaire est un verbe d'action (satisfacere, faire entièrement) qui consiste à s'acquitter d'une dette ou payer un créancier ; acte de réparation par conséquent qui a historiquement un sens quasi-économique, un remboursement permettant de mettre les compteurs à zéro et de supprimer tout passif. Satisfaire c'est solder ses comptes et par conséquent satisfaire autrui. Le caractère actif a peu à peu cédé la place à la formulation passive être satisfait, telle que nous la connaissons aujourd'hui. La satisfaction du gestionnaire ou du prêteur recouvrant ce qui lui est dû a d'abord une dimension exclusivement comptable et objective, mathématique. Cette signification a glissé dans le champ de la psychologie comme une tendance à la jouissance subjective liée à l'accomplissement de ce que l'on désire. Or, ce glissement est problématique car il engage le sujet dans son rapport au désir et dans son rapport au réel.

La satisfaction est ce qui se fait entièrement, sans reste, sans résidu, sans déchet, une expérience de lumière sans sa part d'ombre ou d'obscurité. Et c'est bien là le problème. La satisfaction est-elle seulement possible ? Peut-elle s'inscrire dans les bornes du réel ? Ne serait-elle pas le signe de l'activité désirante voire délirante de l'homme, incapable d'intégrer dans son déploiement fantasmatique, les exigences de la réalité ?

Lorsqu' Epicure fait du plaisir, le commencement et la fin de la vie heureuse, il sait la nature des désirs et le risque potentiel de l'exagération qu'ils font courir à la santé de l'âme. C'est pourquoi le sage de Samos développe la nécessité d'un calcul des désirs et de leurs effets dans le réel. Il s'agit d'en rabattre sur le désir d'être satisfait. La satisfaction s'accommode fort bien du désir d'immortalité, de protection et de jouissance sans contrepartie. Elle entretient la souffrance de l'homme se heurtant à l'impossible. Elle favorise la crainte et la frustration face à une réalité qui déçoit tôt ou tard et qui emporte tout sur son passage comme un fleuve tempétueux. Quand Spinoza définit le désir comme étant l'essence de l'homme, il sait que celui-ci est à ce point envahissant qu'il fait peser sur la trajectoire humaine le risque des passions tristes et du ressentiment. Telle est l'illusion de l'homme en quête de satisfaction porté par un désir insatiable, par une brutale instabilité interne qui cherche à le ramener dans l'oeuf, dans l'expérience primordiale et syncrétique du nouveau-né, celle de la non dualité ou de la fusion primitive. La satisfaction est régressive et archaique, elle est le refus de penser le réel sous la catégorie de l'objet, jeté devant soi et qui par conséquent n'est pas soi. Elle investit le monde comme prolongement de soi-même dans le rejet de l'altérité. Le satisfaction doit faire fusionner le sujet avec les objets visés tel l'enfant habité par cette excitation frénétique devant la multitude de ses cadeaux de Noël, croyant quelques instants à la possibilité d'être comblé, puis, une fois les objets découverts, se lamentant de ce qu'ils ne peuvent "jouer" leur rôle. "Dis Papa, c'est quand le prochain Noël ?"

"Il vaut mieux changer ses désirs plutôt que l'ordre du monde" disait Descartes dans une formulation toute stoïcienne. Changer ses désirs, pourquoi ? C'est que les sagesses ont en commun le fait de subordonner l'homme à un principe, de le relier à des éléments qui le dépassent et l'englobent, qui lui font prendre la mesure de sa dimension réelle. Pour les grecs, le référent est la Nature (Physis). La nature nous enseigne l'impermanence, la fugitivité et la fragilité du vivant. Par conséquent, elle délivre l'homme de son désir vorace de possession et d'appropriation. A défaut d'être satisfait, l'homme doit trouver et cultiver le contentement, l'amour et le plaisir du peu dans la totalité de la nature. A l'amour destructeur et dévorant de la passion et de l'insatisfaction chronique nous opposerons le contentement de l'amour comme faculté de se réjouir. Tel est l'enseignement de Spinoza. Se réjouir n'est pas l'espoir d'une vaine satisfaction mais l'affirmation d'un plaisir conscient de ce qui l'engage au présent dans sa relation avec l'autre ou avec la nature. Le contentement accepte la part d'infidélité au coeur de toute relation. Il ne réduit pas le désir à une seule polarité, exubérante et dévastatrice. Il suppose une mise en pespective de toute situation dans un monde multipolaire, diversifié et irréductible. Le contentement est cette vigilance centrée du sage qui trouve dans la dérivation et l'inattendu la force ultime de la joie.

Au désir sans contrepartie de la satisfaction nous opposerons l'exercice de la raison et le calcul éclairé des conséquences du désir sur nos vies. Tel est en partie l'enseignement d'Epicure qui rappelle que certaines souffrances sont préférables par leurs effets à certains plaisirs destructeurs. Pour approfondir la méditation du sage de Samos, je vous invite à la lecture de Philo-poiétique qui redéveloppe avec beaucoup de clarté les principes de cette sagesse. Etre content, c'est toujours être relativement content. Joie passagère qui accepte la perte et qui cueille le jour sans refuser la nuit.

"Je n'attendais rien

Je n'ai rien eu

Je suis content." ( Démocrite, 1993)

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Commentaires
C
Le terme d'"aggravation" que j'ai employé portait il est vrai à mésentente, surtout que dans le chemin que j'emprunte, bien des obscurités subsistent. Et j'avoue que ce genre de dialogue m'est précieux pour tenter d'en lever certaines.<br /> <br /> Accentuer l'autonomie du désir face au réel, c'est le libérer de sa liaison passionnelle avec l'objet, justement, et ainsi maintenir une disponibilité aux métamorphoses du réel, qui n'est pas sans rapport avec cette connaissance intuitive dont vous parlez. <br /> C'est détourner la part destructrice de la passion vers le lien passionnel lui-même, et faire de la destruction un acte libérateur. Car toute démarche créatrice comprend une destruction, qui est détachement des formes antérieures.<br /> La sublimation ne se décrète pas, bien sûr, mais elle est favorisée par un état d'esprit que l'on peut qualifier de poétique, sans pouvoir pour autant toujours éviter les échecs comme les faux pas. <br /> Sur le point essentiel de la conscience de soi, c'est tout à fait juste: tout cela n'a de sens que dans cette quête de soi. Seulement qu'est-ce que le "soi"? la conscience poétique ne le préfigure pas au fait, ce qui signifie, entre autres, que le hasard n'est pas -ou pas toujours pour être juste- destructeur, mais qu'il peut être une chance, une rencontre par laquelle le soi se construit, se crée. <br /> Je n'oppose pas cette conscience à l'autre, mais je crois que c'est dans le dialogue entre ces deux formes de conscience que peuvent, transitoirement, et jamais pleinement, se vivre le divorce entre réel et désir.<br /> <br /> Et les deux suppose une certaine forme de cette mesure dont vous parlez, de ce sentiment d'être peu dans l'univers, la conscience, disons philosophique, en prenant la mesure de ce que nous sommes dans l'univers, la conscience poétique de ce que l'univers est en nous.
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D
L'aggravation de la contradiction, comme vous dites, n'a de sens que dans un affolement du régime désirant versant du côté de la passion destructrice. Je relie cette tendance à la recherche de satisfaction car la plénitude ne supporte pas la part manquante, le trou du réel qu'aucun objet ne peut combler. En ce sens, la mesure dont je parle n'est pas une activité purement théorique mais une forme particulière de conscience capable de calculer les effets potentiels de notre action sur le monde et sur soi. Ce calcul est une forme de connaissance intuitive, à la manière du Prince de Machiavel devant se préparer sans cesse à affronter la fortune (le hasard destructeur)et les conséquences de son action par cette prudence qu'il nomme "virtu". Le prince se sait de passage, le fou se croit au centre de toutes choses. Cette mesure est une connaissance intuitive du "peu" que nous sommes dans le seul but de créer les conditions éphémères et précieuses d'une harmonie relative. La sublimation ne se décrète malheureusement pas et la conversion de l'énergie en créativité ne règle pas la question des désordres passionnels ou pathologiques sans une extension potentielle de la conscience de soi.
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C
Belle réflexion sur la satisfaction, et sur l'illusion marchande ou politique, que je relierais à la question de la guérison chez Guy Karl, http://guykarl.canalblog.com/archives/2007/08/21/5954132.html, ou encore la question du "salut", social ou mystique, qui partage cette même illusion. <br /> Là encore, on ouvre sur la dimension tragique (un peu tragi-comique même) de l'homme.<br /> Mais face à la contradiction entre désir et réel, je ne crois pas que l'issue soit dans le peu ou la mesure, mais dans "l'aggravation" de la contradiction, de l'autonomie réciproque du réel et du désir. <br /> Du côté du désir, cela revient à le dégager de l'objet, réel ou représentation imaginaire (fantasme), pour atteindre à une plasticité qui est le ressort même de l'imaginaire créateur. <br /> <br /> Sur le chemin de la "sublimation", donc, sauf que l'on ne sort pas nécessairement du champ initial du désir.<br /> Le plaisir dégagé de son objet (et dans ce premier mouvement de dégagement il y a ascèse) garde en lui son empreinte par lequel il part, dans le réel, à la recherche de sa réalisation.<br /> Cette récherche, délivrée de l'attachement à l'objet, devient regard sur le réel autonome, attente. La réalisation est alors rencontre, dont le symbole est la rencontre amoureuse.<br /> Réalisation qui ne serait satisfaction que dans l'illusion d'un état plein, comme dit ici. Vécue comme rencontre, dans l'autonomie des mouvements du réel et du désir, de soi et de l'autre, elle n'est plus aphasie, mais choc, duquel repartent plus vifs les élans de la vie.<br /> Ce qui suppose que le réel est lui-même à la recherche de qui le désire. Ce qui va de soi dans la relation amoureuse. Mais qui vaut pour tout le réel, non comme présent, mais comme potentialités. C'est en elle que le réel appelle le désir qui viendra l'éveiller: on voit là qu'un désir libéré de son objet va de pair avec une connaissance plus profonde du réel, puisque dépassant son état présent pour rechercher ses potentialités.<br /> Vision très optimiste que je viens de donner là, très parcellaire car elle laisse de côté tous les égarements, mais qu'il faut relier aussi je crois au fait que l'homme n'est pas étranger au monde, parce qu'il est le fruit de l'évolution. Mais ça, c'est une tout autre histoire...
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