Tadrart, le silence des sables (9)
Musique, Tadrart, Février 2002
Les touaregs, voient-ils ce que je vois ? Sont-ils en mesure de percevoir l'extrême singularité de ces lieux et de ces courbes, de ces formes, de ces incroyables contrastes, de ces couleurs tranchantes ? Cette stupéfiante radicalité résiste-t-elle à l'habitude, au destin de sédentarité, à la culture ancestrale ? J'avais été surpris de ce que ces hommes magnifiques semblaient placer dans une sorte d'égalité esthétique, les interminables et sombres couloirs d'un canyon gris du Tassili (que nous avons, hélas, traversé) et le spectacle mouvant des sables et des roches rouges, comme si le désert parlait d'une seule voix, celle de l'inhumaine indistinction. Et nous-mêmes, pouvons-nous encore nous étonner de nos arbres, de nos cieux, de nos nuages mobiles et de nos oiseaux coutumiers ? Pouvons-nous nous extraire de nos rigidités rentables, de nos certitudes figées, de nos pathologies collectives ? Lutter contre l'indifférence, contre la pesanteur toujours accrue du passé, contre les conditionnements initiaux reste un enjeu essentiel pour l'homme soucieux de nomadisme et de vitalité. L'enracinement morbide guette le pas de l'esprit, engourdi par ses ancrages fossiles et les pièges de la stérile reconnaissance. La véritable connaissance n'est pas reconnaissance, elle s'éprouve dans une genèse toujours continuée, dans le sentiment immédiat de la création et de la mort. Se délivrer de toute attache est le vrai défi de l'homme, telles ces cathédrales de grès rouges qui abandonnent dans les tempêtes leurs inessentielles particules.
Cathédrales, Février 2002