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DEMOCRITE, atomiste dérouté
2 septembre 2007

Le génie ou la haine du singulier

Dans la rubrique épistolaires, voici un commentaire rédigé qui fait suite à cet article de mon camarade Charp sur le site En marge d'envers ; article consacré au génie et qui poursuit des interrogations liées entre autres choses aux rapports entre art et philosophie mais aussi aux enjeux inhérents à la création.

Merci, cher Charp pour cet éblouissant article. Je me rallie sans faille au commentaire de Lakesys. Je suis très sensible à cette approche interdépendante du génie fertilisé par un contexte évidemment porteur. D'ailleurs, ce qui vaut pour l'art vaut aussi pour la philosophie. Que serait devenu Pascal (Blaise) sans la présence paternelle et les nombreuses relations stimulantes qui l'ont porté ? Et Nietzsche sans Schopenhauer, Kant sans Hume, Spinoza sans Descartes etc etc. Et sur un terrain plus immédiat, Mozart sans l'investissement de Léopold, son père ? Et Van Gogh sans son frère Théo ou  Camille Claudel sans l'ambition paternelle ? L'interdépendance est peut-être d'abord psychique avant d'être esthétique. L'heureuse contamination créatrice débute avec ces relations de proximité et ce terreau porteur de tous les germes à savoir l'imaginaire social et les multiples influences concrètes que vous suggérez.

Par ailleurs, je crois que le génie qui incarne à la fois "le singulier, l'unique et l'inaccessible" est une production sociale dont le véritable ressort est la haine et le ressentiment. Je me sens très nietzschéen sur ce point. Le génie exprime la nécessité "des faibles", de tous ceux qui ont "besoin" de faire exister des idoles, des divinités, pour n'avoir pas à se comparer à elles et à envisager le déploiement de leur propre faculté créatrice. Autrement dit, l'idéal du génie repose sur la haine du singulier, donc de soi-même, sur le mépris que l'on adresse à son propre imaginaire et à sa puissance refoulée. Le génie est, dés lors, l'incarnation pathétique du renoncement, "du dressage de la bête humaine" comme le dit l'auteur d'"Humain trop humain", du saccage originel. Il en va de même pour le "don", cette faveur céleste ou divine attribuée à quelques-uns et refusée au plus grand nombre. Que ne sert-elle de justification à la médiocrité partagée, à la bassesse collective ? Inutile de se mesurer au génie, "différence de nature" comme vous l'expliquez si bien, c'est tellement commode!
Picasso ne s'est-il pas raillé, à sa manière de cette pompeuse stéréotypie, de cette morne pensée, fascinée et habitée par la pulsion de mort ? Signant presque n'importe quoi de son nom, se jouant de l'image du génie comme Diogène avec les conventions, il sut profiter économiquement de cette psychologie sournoise pour engranger avantageusement et construire une marque pour ne pas dire un empire.

Cependant, ce refoulement massif a son prix (comme pour toute névrose). Il s'accompagne d'une vile arrogance vis-à-vis du devenir et de la vitalité de l'oeuvre. L'idéal du génie, comme représentation collective, est fascination pour l'achevé, pour le fini, donc pour le visage pétrifié de la mort, et non pour la patiente élaboration, pour les chemins de traverse, les errances nocturnes et ombreuses, les ratés et les brouillons. Refus de l'esquisse et de la pauvreté, du mouvement et du sang-mélé, de l'aventure et du hasard, le génie est toujours ex nihilo, création pure, sans transition, ni travail, sans labeur ni véritable effort. Son évidence est à la mesure de son idéalisation, il lui suffit de suivre son inspiration et voilà l'oeuvre, définitive et sublime jaillie tel un miracle sorti des eaux.  "Tyrannie de la perfection présente" dira Nietzsche et malheur à l'artiste "humain trop humain". Si son idéalisation le met à l'égal des Dieux, sa chute toujours possible le renverrait au plus profond des Enfers. Qu'on songe à Mozart, agonisant dans l'indifférence générale et jeté à la fosse commune comme tant d'autres, maudits d'être redevenus hommes ! La mort les sauvera peut-être de leur imperfection ; ainsi leur pureté reconquise par l'idéal incorruptible servira une fois de plus la cause des génies éternels.

Que veulent les foules ? Que veulent les peuples ? Les plus amères frustrations ne s'incarnent-elles pas dans la folie des idéaux ? Il faudra peut-être se méfier des volontés de démocratisation de l'art car derrière le généreux projet qui consisterait à "mettre l'inconscient à la portée de tous", à éduquer le peuple en direction de lui-même, pourrait bien se dissimuler un autre idéal, une autre folie basée sur une haine secrète. Reste à savoir laquelle ?

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Commentaires
D
Passe Ami, comme le vent ne fait lui-même que passer et qu'importe la route pourvu qu'on ait l'ivraie...
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L
je passe ici pour retrouver mon blog perdu !
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