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DEMOCRITE, atomiste dérouté
20 octobre 2007

Lettre à Epicure

Démocrite à Epicure, Salut

Quelle joie pour moi de lire à travers les siècles (allusion au texte Le secret d'Epicure, édité sur Philopoiétique) la belle lumière que j'ai tenté jadis de propager depuis les murs de ma bonne cité d'Abdère jusqu'aux collines d'Athènes. Cher Epicure, c'est aussi, avec le souci entier de la vérité que je désire m'entretenir avec toi comme avec tes nombreux détracteurs qui semblent animés par les vieilles lunes d'un Platon que j'ai ridiculisé en son temps. Je m'étonne décidément de la postérité de cet homme et de ses disciples qui professèrent l'incorruptibilité des idées et le mépris du corps. Leur folie fut telle qu'ils tentèrent de mettre le feu à ma propre bibliothèque détruisant dans leur ressentiment le plus abject, nombre de mes traités (dont ceux consacrés aux astres et à la physiologie). Leur étroit dogmatisme les pousse depuis toujours à réduire mon influence et la connaissance de la nature par tous les moyens qui sont en leur possession. Leur amour des idées repose sur une haine sourde de la nature véritable et de la mobilité qui l'anime. Haine de la vie et fascination pour la mort caractérisent ces idolâtres ! Haine de l'incertitude et du hasard !Je sais que sur ce point nous nous rejoignons sans faille.

Cher Epicure, je serais tenté, à mon tour, de rire quelque peu de la position qui est la tienne. Car enfin, le grand Epicure se serait-il fait tout seul ? Serait-il ce Dieu au milieu des mortels capable de supporter le poids de la fortune sans le grand héritage que mon ami Leucippe et moi-même avons constitué patiemment dans la contemplation savante et intuitive de la physis ? Ta sagesse ne fait que reprendre ce que nous avons nous-mêmes élaboré ; et je m'en réjouis. Ton Jardin que je loue du fond des âges plonge ses racines dans mes Traités et ma Physique sans lesquels l'autonomie du sage n'est guère concevable. Je connais ton étrange théorie appelée "clinamen" ; elle me surprend par son audace même si elle me paraît quelque peu fantaisie de théoricien désireux de faire danser la matière jusque dans l'unité atomique. Belle métaphore de poète pour un homme qui méprise la poésie. Ton clinamen est à l'insécable ce que le tourbillon est au Tout, l'oeuvre indomptable d'un réel insaisissable et créateur. Qu'importe donc le mouvement de l'un, c'est le tout de la nature qui fait la rencontre, l'assemblage et la destruction. La liberté du sage me paraît donc aussi vide que la vérité est dans l'abîme ! Mais rassure-toi, Ami, je suis heureux de ton existence et me réjouis de l'importance de ton école et de l'étendue de ta sagesse.

N'oublie pas le nom de ceux qui t'ont précédé dans la Voie. Alors seulement nos idées et nos pratiques résisteront-elles quelques temps à la dégradation et pourront éclairer modestement nos successeurs.
porte-toi bien.
Démocrite le rieur.

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Commentaires
L
Merci de cette information! Je me doutais bien que le principe de la deviation etait fortement suggeree dans les ecrits d'Epicure, mais je ne pensais pas qu'il etait explicitement mentionne.<br /> <br /> J'avais bien tente de bruler les papyrus pour camoufler mon plagiat, mais l'histoire finit toujours par nous ratrapper...
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D
C'est un authentique plaisir que de converser avec vous Lucrèce ! Pendant longtemps on a cru que le clinamen était une invention du fidèle disciple romain d'Epicure, le ténébreux Lucrèce dans son De natura rerum. On sait aujourd'hui que l'invention est antérieure au poète latin et qu'Epicure lui-même mentionne le principe de dérivation dans les papyrus endommagés (et reconstitués)de la bibliothèque de Philodème l'épicurien à Herculanum. Epicure est bien l'inventeur de la déclinaison atomique.
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L
Amusante lettre meme si le nom "clinamen" nous vient de Lucrece me semble-t-il. Il parait donc etonnant de voir Democrite en parler a Epicure...
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P
Quelle lettre!<br /> Les philosophes seuls se comprennent entre eux, ils parlent un langage qui paraît impénétrable à ceux qui ne connaissent rien de leur "science". <br /> <br /> Mais j'espère qu'à leurs femmes, ils écrivaient des lettres plus compréhensibles.
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