Les derniers Indiens
La Goutte d'eau, Ancienne gare de Cette-Eygun, Vallée d'Aspe, Béarn
Ce n'est pas sans une certaine nostalgie ni une vraie tristesse que j'ai retrouvé tout récemment l'ancienne gare désaffectée de Cette-Eygun, lieu dit de "la goutte d'eau", soumise aux caprices de l'intempérie, aux mauvais vents, ceux de l'oubli et de la désolation. Il y a pourtant ici une mémoire inscrite dans la pierre, sur le sol et les murs. Les arbres se souviennent encore de ceux qui, il y a 20 ans ont fait de ce lieu le symbole de la résistance contre l'E4, ce couloir à camions devant relier Zaragosse à Pau puis Bordeaux par le trop fameux et triste tunnel du Somport.
Ici vécurent les Indiens, les apaches désireux de protéger l'une des plus belles et plus sauvages vallées des Pyrénées où jouaient encore il y a peu les derniers ours. La Goutte d'eau était devenue l'emblème de la résistance pacifique et festive contre l'ignoble marchandisation des montagnes et de la nature. Ce lieu, loué par le réseau ferré de France s'était mué en gîte d'accueil pour une population habitée par un idéal d'espaces sauvages et préservés comme l'était jadis la vallée d'Aspe. La Goutte d'eau, c'était aussi une communauté aux principes philosophiques ancrés dans l'autogestion et une forme déjà assumée de décroissance. J'ai dormi là, à l'étage de la vieille gare pour quelques francs. J'y ai mangé une excellente omelette, bu une bière basque et discuté longuement devant le feu avec l'indien le plus célèbre, le dissident Eric Pététin (emprisonné 14 fois pour résistance aux pouvoirs publics et sabotages répétés).
Cuisine anachiste de la goutte d'eau, Béarn
Cette petite troupe aux tendances anarchistes avait réussi à constituer une sorte de jardin d'amis et d'accueil pour tous, dans un souci de partage autour de la contemplation de la nature. Certains des habitants des villages voisins y voyaient là une secte avec leur gourou illuminé, d'autres une bande d'anachorètes mal inspirés ou de baba-cools hirsutes et dépravés plongés dans quelques vapeurs moribondes. Qu'importait ! Ici vécurent pendant 14 ans ceux qui, à la marge des pouvoirs institutionnels ont oeuvré pour une cause que la modernité a balayé dans sa suffisance et son aveuglement, une cause que les hommes dans leur furie de pouvoir et de rentabilité seront contraints d'exhumer quand ils auront fini de détruire les grands équilibres écologiques.
Si le tunnel fut ouvert officiellement en 2003, Les derniers indiens furent chassés par les forces de l'ordre et les huissiers en octobre 2005 suite à une réclamation du RFF soucieux de récupérer le site. Depuis, seul le vent de Navarre et d'Aragon vient souffler aux oreilles atrophiées des bétonneurs et des politiques l'insignifiance de leur mépris et l'absurdité de leur sacrilège... no passaran... no passaran !!!