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DEMOCRITE, atomiste dérouté
2 décembre 2007

Amitié philosophique

Il m'est arrivé tout récemment une expérience de prof que je ne suis pas prêt d'oublier, ce genre de moments qui fertilisent le sens même de la pratique et la relation que nous cherchons à construire avec nos élèves, nos sujets-élèves.

Il y a peu, j'ai mené avec ma terminale littéraire une réflexion dense sur le sens de la philosophie dans son rapport toujours problématique avec la vérité, le bonheur et l'éthique. Dans cette dernière partie, j'ai montré que l'éthique épicurienne prend tout son sens dans une culture de l'amitié vouée à l'exercice philosophique sans concession (il ne s'agit pas de se raconter des histoires ni de se flatter mais d'être habités par l'exigence mutuelle de vérité).

Après de longs développements et de nombreuses interventions de mes élèves, le cours s'achève et je m'apprête à quitter la salle. Un élève vient me trouver pour poursuivre la discussion, ce que nous faisons en déambulant dans les nombreuses allées du lycée. Il m'explique alors que la découverte de la philosophie constitue, pour lui, un événement extraordinaire car il peut "enfin mettre des mots sur des pensées confuses". Il me dit qu'il a le sentiment que la philosophie l'éclaire et l'aide à vivre. Si je me réjouis de l'impact de la discipline philosophique, j'attire aussi son attention sur la nécessité de construire des raisonnements plus rigoureux et un rapport à la langue plus structuré et précis (il a des difficultés de maîtrise de la langue assez importantes et des lacunes).

Il me confie alors que plus il réfléchit, lit, rencontre les auteurs, plus il a l'envie pressante d'en parler à ses ami(e)s. De multiples questions germent dans sa tête, questions qu'ils lancent à ses camarades les plus proches. Il me raconte qu'il découvre combien ses interrogations fâchent, dérangent, cassent les pieds des autres qui finissent par le railler, le taxer d'intello. Il se rend compte qu'il est pour ainsi dire contraint de cesser de discuter avec ceux et celles qu'il croyait être ses ami(e)s.

Je lui fais remarquer que philosopher, c'est souvent découvrir qu'on est seul, seul face à ses étonnements et ses ébranlements intérieurs, seul face à ceux qui fuient la mise en abîme des certitudes. J'ajoute qu'on peut aussi mesurer la qualité de nos liens à la dose d'incertitudes et de questions que l'on peut affronter ensemble dans la relation. L'ami véritable, si rare, cet ami qui n'est pas le copain, refusera toute complaisance en produisant l'écart qui modifie et enrichit mutuellement la rencontre. Il y a dans l'amitié le risque permanent de la fracture. J'observe que ce que nous évoquons ne fait qu'illustrer ce que nous venons d'étudier avec Epicure.

Il me dit alors avec une certaine retenue mais en me regardant droit dans les yeux : " Puisque je peux parler avec vous de ces problèmes et puisque nous philosophons, donc... vous êtes comme ... un ami ?"

"Oui, lui ai-je répondu étonné, au sens d'Epicure, en effet, je suis votre ami, et vous êtes le mien."

Nous nous sommes quittés ce jour-là, en nous serrant la main dans la cour du lycée.

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Commentaires
C
Merci de ces précisions sur le tragique. Mais dire que le réel est ailleurs ou trop ici revient un peu au même: il n'est pas là où on le croyait, dans cette "surnature" dont tu parles, et ne pourra jamais y être. Par rapport à cette "surnature", le réel ne pourra jamais être que l'ailleurs.<br /> <br /> Pour moi, le "tragique" de la condition humaine est multiple, mais ressort de l'impossibilité d'atteindre une unité de soi. Tragique "psychologique" en ce sens que les conceptions de soi et du monde ont été construites au nom d'une unité à atteindre, d'une cohérence que l'esprit n'a pas à l'état natif, mais que cet effort de cohérence est fondée sur une "séparation", entre "vivre" dans son immédiateté le réel, et en édifier une représentation. Cette séparation, il ne pourra jamais la surmonter. Il ne peut partir à la recherche de son unité qu'à la condition même de ne pouvoir jamais l'atteindre. <br /> <br /> <br /> Quant à la gnose, difficile d'appréhender de manière conceptuelle ce qui est une pensée symbolique. La gnose, du moins dans ce qui m'intéresse en elle, n'est pas une religion. <br /> Pour répondre à ta question, elle, elle parle de retour, très nettement. Me plaçant dans le temps irréversible et créateur,je penche nettement vers un ailleurs créé. Parce que pour revenir à Héraclite, la fameuse métaphore du fleuve me semble plutôt indiquer que nous allons toujours vers l'ailleurs, et que c'est l'ici qui est illusion.<br /> <br /> Bon, la difficulté de cette discussion tient, outre la complexité des sujets même, à la difficulté de trouver un langage d'entente, d'une part à cause de trajectoires bien différentes, - mon inculture philosophique conduit à un flottement de vocabulaire-, mais aussi à ce que nous ne soyons pas tout à fait sur le même niveau de langage: le flottement n'est pas dû seulement à cette inculture, mais aussi à ce que je reste proche du symbolique, que je continue à rêver. Mais c'est justement là aussi ce qui me rend ce dialogue des plus précieux.<br /> <br /> Bon, ma phrase sur le désir était bancale. Pas la preuve du tout du réel, je suis d'accord. <br /> Mais il reste que le désir, s'il peut nous égarer tout à fait, reste à mon sens le seul capable de nous guider, aussi. Comme le rêve, à condition que l'imaginaire en oeuvre en l'un et l'autre soit riche et construit. Les rêves dont tu parles sont des rêves produits par un imaginaire appauvri, se contentant généralement de déplacer le réel dans un monde d'illusion, sans aucun "travail" de l'imaginaire. Le rêve là n'est plus qu'une imitation, une illusion. Et retrouver un imaginaire riche et opérant passe entre autres par ce retour à l'archaïque dont tu parles, ou des terres proches.<br /> Mais c'est vrai que face aux problèmes quotidiens ou pédagogiques "c'est vite dit"! Je crois à cet égard que l'on ne peut guère faire mieux que ce que tu fais, et qui constitue à ouvrir des portes.
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D
Je suis à nouveau embarrassé par cette approche qui, en effet, produit un détour dans le rapport supposé au réel. Tu dis :<br /> "L'ailleurs qui "appelle" est justement tragique parce que ailleurs."<br /> Je pense tout au contraire que l'ailleurs n'est ni plus ni moins qu'un ici et là, mais un ici et là précisément trop proche pour être appréhendé dans la représentation dans sa nature tragique. Le monde construit de l'homme, ce monde conventionnel dont participe activement le langage et ses formes spécifiques de rationalisation constitue autant de moyens de séparation et d'élaboration d'une surnature ou d'images visant essentiellement la sortie du tragique. Ce qui est tragique, ce n'est pas ce qui se trouve ailleurs mais ce qui a toujours été là. "Tout passe" à l'image du fleuve d'Héraclite. Je ne peux compter sur rien dans le monde faisait remarquer Jaspers (situations-limites). En ce sens le tragique n'est jamais dehors, il est au centre même de ce qui nous constitue comme toute chose. Si la gnose est à la recherche d'un ailleurs plus véritable que l'ici, il serait utile de préciser à quel point de départ on se réfère. Sortir de... ou re-trouver ?<br /> Tu écris aussi : "cet appel qui déchire le voile est de l'ordre du désir, où plutôt de son impulsion, de son éveil, et c'est donc bien, effectivement, un surgissement du réel."<br /> Ce rapport entre impulsion du désir et réel me paraît un peu rapide car l'impulsion du désir dans le champ psychique peut être une forme délirante de déni du réel et par conséquent de résistance farouche aux implications tragiques (tragique n'étant ni optimisme ni pessimisme). Il ne s'agirait pas de faire de l'homme et de sa conscience, fut-elle éclairée, le point de rencontre du réel, saisi à travers ses impulsions ou sa représentation sauf à basculer sur le terrain de la révélation d'un arrière-monde dont j'avoue me méfier grandement. Mais, si je n'ai peut-être pas compris le sens de cette relation entre désir et réel, c'est que le désir me paraît d'emblée suspect pour être lu comme un "signe" probant du réel.<br /> Par ailleurs, concernant la pédagogie, je te rejoins d'autant que la mission de l'enseignement philosophique est en partie centrée sur cet art de mettre à jour les problèmes, de faire surgir les impasses et les énigmes, de proposer des hypothèses en se contentant bien souvent de leur statut d'hypothèses. <br /> "Faire rêver les élèves", formulation délicate sur laquelle il faudra revenir car l'univers scolaire les faît rêver à longueur de journée mais il s'agit de rêve dont les illusions constitutives sont castratrices et appauvrissantes. D'autres rêves sont sans doute à réinventer, manière de retrouver de l'archaïque en soi, mais ça c'est un projet bien difficle à mettre en oeuvre.<br /> Merci pour ces généreuses et riches contributions.
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C
Bon, je ne vais pas ici m'étendre trop sur la gnose, la question est trop complexe à mon sens, et je ne l'ai abordée que parce que j'ai été frappé par l'analogie entre la description de Démocrite et certaines structures symboliques de la Gnose, analogie qui à mon sens renvoie à une réalité psychlogique proche. <br /> <br /> Que cette réalité psychologique soit élaborée dans la Gnose au profit d'une transcendance, d'une fermeture de la faille, c'est en partie exact, mais au niveau de l'élaboration représentative, qui organise le récit et l'amène au salut: c'est ce dernier élément rajouté qui "referme la faille", point de fuite, au sens fort, des parallèles de la conscience. <br /> <br /> Hors ce point, toute la gnose est expérience de la séparation.<br /> L'ailleurs qui "appelle" est justement tragique parce que ailleurs. Quel est-il? Je le crois plus proche du "réel" dont parle Guy que de la transcendance religieuse. Et entre autres parce que cet appel qui déchire le voile est de l'ordre du désir, où plutôt de son impulsion, de son éveil, et c'est donc bien, effectivement, un surgissement du réel. <br /> <br /> Quant à l'expérience mystique, (encore faudrait-il préciser de quels mystiques on parle) je suis pour ma part convaincu que, sans être réductible à cela, elle participe de la même nature que l'expérience créatrice ou de la volupté. Pas nécessaire de la vivre pour en approcher le sens. La grande différence est qu'elle est peu à peu, orientée par la foi,élaborée, ce qui l'empêche d'arriver à la conscience d'elle-même, comme expérience créatrice et voluptueuse, mais par contre, la confiance dans laquelle elle baigne, confiance en un salut ultime, lui a peut-être permis d'avancer plus loin: une erreur féconde, en quelque sorte, mais féconde à condition d'être reconnue comme erreur.<br /> <br /> Pour revenir au sujet, et en relisant vos interventions, il me semble qu'il y a là un flottement, que je serais d'ailleurs bien incapable de fixer: cette brèche est-elle le réel même ou ouvre-t-elle sur le réel? Pour moi, le réel est dans la réprésentation et au-delà, puisqu'il contient celle-ci. En tant que tel, le réel n'est ni tragique ni salut, mais est vécu pour nous comme tragique parce qu'inaccessible alors que toute notre conscience commune affirme le réel comme étant là, toujours. <br /> <br /> Quant au plan pédagogique, j'avoue être désarmé. Peut-être distendre les liens surtout en renversant la relation d'enseignement: enseigner des énigmes, non des réponses. Et sans doute aller vers ce qui fonde le singulier, l'imaginaire ou, au moins, sa forme naissante, la rêverie: il faut faire rêver les élèves.
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D
Oui, réel et réalité ne doivent pas être confondus d'autant que pour découvrir cette intuition du réel (et non le réel lui-même) il soit nécessaire de dépouiller l'homme de la réalité construite. On saisit ici toute la limite de l'enseignement pris dans les mailles de l'institution chargée de transmettre la réalité d'un monde socio-politico-économique. Ouvrir cette brèche sur le réel est extrêmement difficile dans le contexte scolaire car tout s'y oppose. <br /> Dans le cas de la gnose, il me semble que la sortie, évoquée par notre ami Charp, reste toujours de l'ordre d'une transcendance. C'est là que je reste dubitatif car je suspecte toute transcendance d'être une re-construction de la réalité sur un mode idéalisé, étant investi par des (ou une) puissances extérieures. Je pense à l'expérience mystique d'un Pascal qui, découvrant la fulgurance du réel dans d'incroyables intuitions tragiques, s'empressa de le recouvrir sous les oripeaux du dieu chrétien. La gnose comme toute position mystique ne constituerait-elle pas au final le refus du réel et une tentative de recoudre la faille originaire ? Est-elle "réellement" un autre chemin, une autre voie d'accès au tragique ? J'ai d'autant moins la réponse que je n'ai pas fait d'expérience mystique. C'est sans doute pourquoi je reste sceptique sur ce point.
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G
Il me semble que ce débat pourrait se clarifier à condition de ne pas confondre réel et réalité. La réalité désignerait la vision conventionnelle du monde, la représentation en géréral, collective et personnelle. Dont il faut en effet mesurer le caractère conventionnel, fantomatique, utilitaire ou intéressé. (Bergson et la critique du langage) Le réel serait plutôt cette ouverture soudaine et imprévisible sur une brèche (plutôt qu'un ailleurs, c'est là que je ne suis pas gnostique) laquelle nous révèle en quelque sorte le caractère inconnaissable, étrange et étranger, immesurable des "choses" hors de la perception commune.(Pyrrhon) Le réel est à la fois traumatique et jubilatoire. C'est la pierre de touche de la position tragique GK
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D
Cher Charp, c'est d'abord une joie de retrouver sur Clinamen tes précieux commentaires.<br /> J'aime cette idée d'un éveil se produisant "quand les liens de la cité se sont distendus, quand la circularité de la vie s'est portée "hors des murs". J'y vois là tout l'enjeu de l'enseignement philosophique. Comment montrer la fragilité des liens que nous tissons avec nos semblables ? Coment faire naître le doute à propos de nos évidences sociales, de nos certitudes politiques, de nos ancrages ethnocentriques, de nos convictions religieuses, de nos fidélités admises ?<br /> Oui, distendre le lien hors des murs, c'est se découvrir apatride et nomade, c'est faire une expérience atomique et tourbillonnaire. Comment être à la hauteur d'une pareille expérience ? Et surtout, comment conduire l'esprit vers ce type d'expérience sachant que son positionnement initial demeure ancré dans la réalité scolaire qui conditionne l'activité psychique en direction d'impératifs rentables ? Seuls quelques-uns y parviennent un peu...mais honnêtement, je ne suis qu'une occasion (kairos) et non un éveilleur au sens d'un agent. Ceux qui peuvent découvrir un décalage, ceux-là étaient déjà en chemin, au bord de la féconde dé-route. Ils trouvent alors en philosophie le moment opportun qu'ils exploreront un jour ou l'autre dans l'existence.<br /> Pour ce qui est de la Gnose, j'avoue ne pas être très à l'aise car cet "ailleurs qui appelle" que tu mentionnes me paraît renvoyer aux multiples visages souvent déquisés de la transcendance. Transcendance qui reste un moyen de quitter le monde d'ici-bas au profit des arrières-mondes ou de l'au-delà. Sans doute pourras-tu préciser ces points. Pour ma part, l'expérience du clinamen ou de la dé-route ne fait pas sortir du réel (il n'y a qu'un réel), juste un changement de chemin, de trajectoire, juste un choc à la surface plane du réel pour qu'une existence se découvre aussi vagabonde et fôlatres que des particules de sable sur les pentes de la grande dune. En ce sens, l'initiation est moins une sortie qu'une entrée dans le réel (tragique comme je l'ai expliqué par ailleurs)qu'on n'a en fait jamais quitté. L'entrée procède d'un dépouillement qui ne fait que livrer ce qui a toujours été là, ce "il y a" dont parle si bien Marcel Conche.
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C
Bel article, et superbe dernier commentaire.<br /> Ce récit renvoie l'image d'un vraie relation d'élève à maître, dans le sens traditionnel, bien rare dans les usines scolaires.<br /> Le sentiment qu'éprouve ce jeune homme vis-à-vis de ses amis m'a tout de suite fait penser au coeur de mes "recherches".<br /> Dans la Gnose antique et médiévale, l'éveil, instant premier de la quête, fait prendre conscience au "gnostique" qu'il est étranger au monde auquel il croyait appartenir, qu'il était auparavant "endormi". Cet éveil, ce peut être bien des choses: un accident, une rencontre, une émotion profonde, la rencontre du "sage" dans les récits d'initiation, du maître comme éveilleur et non comme porteur d'un savoir établi. Nul doute qu'à te lire tu sois éveilleur.<br /> D'autant que les récits initiatiques soulignent que cet éveil a lieu quand les liens de la cité se sont distendus, quand la circularité de la vie s'est portée "hors des murs". Cet écart, je le vois ici aussi bien dans les difficultés de "maîtrise" de l'élève que dans ce "clinamen" qui est précisément cet écart vis-à-vis de la cité.<br /> <br /> Quant à ce qu'il advient après, si j'en crois les gnoses, mais je ne suis pas sûr de l'universalité de leur rythme narratif, l'éveillé, se voyant comme Etranger, projette sa "patrie" dans un ailleurs qui l'"appelle", où se mêlent nostalgie et désir. <br /> Prenant alors conscience qu'il est enfermé dans ce monde, vient alors le temps de la révolte, de la critique des murs qui l'enserrent, murs de la cité, mais aussi murs intérieurs, et c'est alors vraiment que le voyage initiatique commence, d'abord dans la négation du soi antérieur, du monde clos, ensuite dans l'émerveillement, dans le voyage au cours duquel il retrouve de vrais compagnons, eux aussi engagés sur la même route: ce compagnonnage est précisément ce qui surmonte la contradiction entre la solitude nécessaire de toute recherche intérieure, la singularité de tout être authentique, d'une part, et l'appartenance à uen communauté "d'éveillés", d'homme assumant leur singularité et en quête d'être.
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D
Je suis touché, chère Véra, par votre commentaire et vos questions.<br /> Je ne me vois pas créer une structure ou une institution baptisée "jardin" au sens d'une école philosophique parce que mon travail épuise une quantité importante de mon énergie et qu'il me faut me ressourcer dans des activités hors de toute logique de transmission ou d'enseignement (question de survie personnelle). Par contre, il y a peut-être quelque chose du jardin d'Epicure dans la création des Universités populaires (gratuites, accessibles à tous, sans diplômes ni évaluation...)par Michel Onfray ou dans les fameux cafés-philo quand ils ne se transforment pas en production magistrale de la part d'un maître ou en carrefours de la spontanéité brute ! Le café-philo tel celui de Nancy, animé par Guy Karl est, à mon sens, une sorte de jardin philosophique : exigence des idées et des sujets, respect de l'autre mais pas soumission démagogique au plus grand nombre, prolongement au-delà de la structure. Je vous invite à lire l'ouvrage "Eloge du café philo" écrit par Guy et accessible sur Philo-poiétique qu fait justement ce lien. <br /> <br /> Il en va de même avec les élèves : comment créer les conditions de l'esprit du jardin dans un univers à ce point sclérosé que celui de la classe ? Aussi je vous rejoins entièrement dans l'analyse que vous faites. La démarche de l'élève reste globalempent intéressée au sens où l'hétéronomie demeure centrale (cette règle d'abord institutionnelle configure et normalise la relation dans un rapport rentable : notes, appréciations, dossiers scolaires, interrogation-interrogatoire, devoirs surveillés (!!!), justification des absences etc.). On ne peut renverser ces tendances sans une analyse des mécanismes institutionnels. C'est au professeur de créer (ou pas)dans sa classe les conditions d'un écart (clinamen) qui permettent de penser non pas dans l'institution mais à partir d'elle (son caractère habilitant), des problèmes qui sont à l'origine de la souffrance scolaire (l'ennui)et qui sont producteurs de l'anomie ambiante. Là encore, jusqu'où l'enseignant est-il capable d'aller ? Peut-il faire la critique de l'institution dans laquelle il travaille avec ses propres élèves sans la détruire mais pour en saisir le sens ? Se donne-t-il le droit d'interroger les mécanismes de contrôle qui pèsent sur les corps et les esprits à l'école ? Quand l'élève sent que celui qui est en face n'est plus seulement une fonction (répressive) mais un ami au sens d'Epicure, il re-découvre parfois une parenté anthropologique avec l'autre devenant l'égal dans l'exercice de la raison et dans la liberté d'en user. Alors, parfois, quelque chose d'inattendu peut germer, une co-(n)naissance qui pointe ce qui constitue un originaire ou une création, un événement naissant. Je tente autant que faire se peut, de me situer à un atome d'écart, dans une posture qui invite chacun à la construction d'un positionnement critique. Après, il leur appartient de saisir ou pas cette possibilité. Mais malheureusement, le constat est globalement catastrophique car, à 18 ans, le mal est fait depuis longtemps! Le but de l'école n'est pas que l'élève apprenne quelque chose ou construise la moindre autonomie, mais qu'il se tienne tranquille et se prépare (et se soumette) aux impératifs rentables et meurtriers du monde du travail. C'est pourquoi, le cours de philosophie doit commencer par une analyse critique des mécanismes sociaux et des raisons qui font que les élèves et l'enseignant se trouvent dans cet étrange face-à-face. Là, débute une "déroute critique" relative et nécessaire et non pas un jugement sur leur motivation, plutôt une réflexion sur l'origine de la détermination et du sens du pouvoir à l'oeuvre dans ce qu'ils prennent ou que l'institution prend pour une motivation personnelle.<br /> Je vous invite à consulter les autres articles de mon journal de prof de philo car ils traitent bien souvent de l'anomie scolaire et du positionnement très "délicat" du professeur. <br /> Amitiés
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V
Bonjour, Démocrite<br /> <br /> J'ai lu avec plaisir vos lignes concernant l'amitié philosophique.<br /> Avez-vous pensé mettre en place un jardin comme celui d'Epicure ? Serait-il possible, <br /> de nos jours ?<br /> <br /> Pour avoir enseigné, je comprends ce que vous dites à propos du réveil à la réflexion personnelle.<br /> Pour ma part j'ai constaté que si la majorité des élèves s'approchent de ce réveil, seule une minorité investit cette capacité. Cette dernière est, la plupart du temps, motivée par des raisons de promotion personnelle : se prouver ce qu'ils valent, prouver qu'ils sont meilleurs que les autres, obtenir l'appréciation des parents ou de l'enseignant, vu comme un supérieur hiérarchique.<br /> Un nombre infime d'élèves sont motivés par le <br /> désir de connaître.<br /> Avez-vous fait le même constat ?<br /> Pensez-vous que l'enseignant ait le droit de juger de ces motivations ? Qu'il rentre dans son rôle de <br /> les influencer ?<br /> <br /> Bien à vous,
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S
Cette utilisation du clinamen de Lucrèce me paraît tout à la fois surprenante et heureuse. Je l'associe, comme ça spontanément, à l'humour et à la plaisanterie, prise dans le sérieux et pourtant en décalage avec lui. je songe aussi à la "différance" de Derrida ou à ses conceptions sur le supplément. Je continuerai à vous lire. Une dernière chose : je viens de publier un livre : La philosophie en une leçon. J'aimerais vous l'adresser. Pourriez-vous me laisser votre adresse sur mon mail : jt-philo@hotmail.fr
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