L'héritage écologique ou la haine de l'enfance !
Alors que je passais, il y a peu, la nouvelle année avec des amis, leur fille de 12 ans eut la bonne idée de me montrer un de ses cadeaux de Noël, un livre consacré à l'écologie et aux grands enjeux environnementaux qui attira mon attention. Si ce livre se révélait fort bien fait avec des explications détaillées, des photos et des cartes, des schémas mais aussi des questions de toute sorte permettant d'aiguiser la curiosité d'un jeune adolescent, [questions du genre : Sais-tu quelle masse de charbon il faut pour produire l'équivalent en énergie (chaleur) d'un cm3 d'uranium ? (si ma mémoire est bonne, je crois que la réponse est de 3 tonnes !)], c'est qu'il combinait le constat écologique et l'analyse scientifique.
Ce qui me frappa, ce furent les chapitres successifs consacrés au trou de la couche d'ozone et les risques majeurs pour la santé, à la disparition des espèces polaires, aux pollutions des océans par les hydrocarbures, aux pollutions de l'air par les rejets d'usines et de moteurs divers, à la disparition des espèces aquatiques suite aux pêches intensives et aux marées noires, au réchauffement planétaire et à ses conséquences catastrophiques, aux risques nucléaires, aux déchets radioactifs mal maîtrisés, à Tchernobyl et ses conséquences génétiques, à la disparition des ressources naturelles liée à la surexploitation des sous-sols, aux engrais chimiques, à la désertification de régions entières, à la progression des déserts de sable, à la disparition de l'eau potable et des forêts primaires d'Amazonie ou du Sud-est asiatique, et j'en passe.
Bref, après avoir parcouru ce "manuel", j'en conclus qu'il y avait là tout pour fabriquer ou entretenir la dépression collective et tout pour gangrener, dans un héritage douteux, l'esprit des nouvelles générations qui auront, si on admet l'évidence du constat effectué ici, un fardeau écrasant et mortifère à porter ! Bien sûr, on objectera qu'il est indispensable d'initier dés le plus jeune âge à la question écologique, que l'urgence planétaire n'attend pas ! On utilisera tous les arguments scientifiques pour convaincre, arguments d'ailleurs très présents dans ce livre. Oui, mais le problème n'est pas là car si la science annonce tout cela depuis plus de trente ans, les réponses apportées par les sociétés humaines capitalistes font la sourde oreille et aucune économie ne s'est essentiellement pliée aux exigences écologiques ou aux alertes des scientifiques.
Je me pose alors la question : au nom de quelles valeurs se sent-on dans l'obligation d'informer les jeunes générations du déclin terrestre supposé ? Pourquoi imposer à la jeunesse cette apparente vérité d'une destruction planétaire ? Quelque chose me dit qu'il y a là une sorte d'infamie collective qui consiste à faire peser d'abord par les discours en direction des plus jeunes d'entre-nous toute l'irresponsabilité des générations d'adultes qui les ont précédés ! Quel héritage ! Comment se projeter dans l'avenir lorsque c'est la science elle-même avec son objectivité et ses talents médiatiques, avec ses courbes et ses données expérimentales qui vient confirmer dans ses modèles et dans sa rhétorique l'inéluctable effondrement ? Ce discours de l'affectation objective ne serait-il pas le pire des discours dans un monde qui ne change rien à ses modèles économiques et que les enfants ou les adolescents doivent affronter dans leur impuissance juvénile ? Si la civilisation se définit par la transmission d'un monde de valeurs et de savoirs, mais aussi de créations et de mythes, monde que les enfants de demain auront à charge de prolonger et d'inventer, sur quelles bases pourront-ils seulement édifier le leur ? Sur la peur de la destruction ? Sur l'angoisse de nouvelles apocalypses ou de futures invasions ?
Comment demander aux plus jeunes de relever le défi de la croissance ou de la décroissance, ce qu'aucune société n'a eu le courage d'aborder de front ? Il y a là aussi un processus de destruction de la jeunesse et de fourvoiement collectif en maintenant la frénésie délirante de la consommation (il suffit d'observer l'hystérie à l'époque des fêtes ou des soldes!) tout en passant son temps à alerter et à dire hypocritement : "c'est mauvais pour la planète !"
A l'impuissance subjective et individuelle, s'ajoute le dramatique constat opéré par le savoir légitime de la science. Que ce savoir soit dispensé aux adultes qui ont la responsabilité de ce monde, soit, mais qu'il soit transmis de la sorte aux plus jeunes pourrait bien s'avérer dangereux. Les médecins le savent : il est des vérités qui blessent, qui accablent et qui tuent. Nos enfants ne sont pas les auteurs de ce monde. Ne l'oublions pas ! Et à vouloir à tout prix les responsabiliser, on risquerait fort de produire le résultat inverse.
Mettons-nous un moment à la place d'un adolescent de 13 ou 14 ans. Je comprendrais aisément que dans ce pessimisme généralisé, et dans cette veulerie collective, cet ado conclut avec intelligence : "Moi, je n'ai rien demandé à personne, je ne suis pas responsable de la couche d'ozone, de la disparition des ours ni du déclin des politiques, j'entends bien en profiter (c'est-à-dire consommer et jouir autant qu'il est possible) avant l'effondrement, allez vous faire voir !!!"