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DEMOCRITE, atomiste dérouté
18 janvier 2009

Communiquer émotionnellement, une robinsonade ?

Alors que je viens d'assister au premier café-philo de Pau autour du sujet suivant : (la communication doit-elle être émotionnelle ?), j'avoue volontiers être surpris par les contenus développés à l'occasion de cette soirée. Si la communications apparaît telle une évidence par le fait que nous exprimons soit des idées, soit des sentiments, ou par le fait qu'il existe une "communication de masse" sur le terrain politique, il  semble acquis et incontestable qu'elle possède un contenu positif, c'est-à-dire réel. Rien n'est moins sûr.

        J'ai déjà, sur Clinamen, souligné l'impasse communicationnelle prise dans le piège de la représentation individuelle et collective. Alors, n'y allons pas par quatre chemins : et si la "communication" était cette croyance selon laquelle il serait magiquement possible de briser la sphère de l'individualité, de rompre l'isolement dans lequel le sujet humain se trouve précisément à travers l'expérience toujours unique de ses propres émotions ? Que la communication soit reliée par devoir ou par nécessité à l'émotion me laisse penser qu'on doute précisément de son effectivité, de sa réalisation puisque toute émotion procède d'une "façon d'être-au-monde qui fonde l'altérité absolue d'autrui et la terrible incapacité de sentir réellement et de savoir, en vérité, ce qu'il éprouve. Sur le terrain des idées, il y a déjà de quoi douter d'une athentique rencontre et d'une modification opérée par un message. Les structures psychiques sont à ce points fortement ancrées que la lente élaboration et intériorisation d'une idée se produit bien au-delà de la communication et du rapport direct à autrui. Nous avons déjà abordé ici la question du langage comme "régime de la dépossession" et l'impossibilité fondamentale de l'homme de se saisir lui -même dans un acte introspectif ou par une opération de verbalisation. Mais sur le terrain de l'émotion, les choses semblent être apparemment plus faciles dans la mesure où une émotion est forte, incontrôlable, puissante et parfois destructrice. L'émotion séduit et inquiète ; elle paraît nous toucher immanquablement mais assure-t-elle pour autant une commnication ?

         "Nous sommes toujours seul dans notre douleur" écrit Gaston Berger. Que puis-je savoir de la colère d'autrui, de son amour, de l'intensité et de la résonance de son impression ? Son émotion lui appartient, et quand bien même je le côtoie et l'entoure, quand bien même il me parle, ne suis-je pas condamné à demeurer hors de son sentiment, de sa particularité, de ce qui fait qu'il la vit de cette manière à lui qui n'est jamais objectivable. On le voit, c'est tout le problème de la solitude existentielle qui se pose, solitude existentielle que la croyance en une "communication " vient briser dans la sphère réconfortante de la mise en commun. Je ne suis plus seul puisque nous communiquons, je peux partager.

        Tel est, sans doute, le délire nécessaire qui permet à l'homme de soutenir son existence dans l'hypothèse rassurante qu'il existe un territoire psychique commun (idées, émotion, sentiment, sensation). Qu'on relise le Robinson de Tournier, privé des autres, il communiquera certes, pour ne pas mourir ; il communiquera avec ses propres personnages, tous les Robinsons auxquels il attribue un rôle, une fonction sociale, une définition. Robinson survit, mais il survit grâce à son délire paranoïaque qui lui permet de supporter son effroyable condition, c'est-à-dire sa solitude absolue. Ce qui est plus difficile à concevoir, c'est que nous sommes peut-être tous Robinson, des insularités subjectives, des naufragés de l'existence ayant à affronter la mort et le tragique de la vie. On comprendra pourquoi la croyance en une communication, même émotionnelle, ressemble fort à un remède hallucinatoire, histoire de briser la tragédie.

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Commentaires
P
de la démangeaison du ventriloque soliloquant...telle pourrait être la leçon de ce bel article sur les illusions du "on" ou du "nous", s'il existe un "nous." Bienheureuse illusion du "partage" qui nous fait croire qu'on a quelque chose à "partager"- terme qui finit par m'agacer avec tous les impensés qu'il charrie, et qui ont une origine bien repérable! Mais comme je suis, au café, en position délicate de stimulateur, et jamais de juge, il me faut souvent réfréner mes ardeurs interventionnistes, et je n' y arrive pas toujours. C'est donc pour moi un bonheur de lire un commentaire qui porte sur le fond du problème : "tout le malheur de l'homme vient de ce qu'il ne puisse rester seul à méditer dans sa chambre....
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