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DEMOCRITE, atomiste dérouté
24 janvier 2009

Déphilosopher

« Pouvez-vous seulement comprendre que philosopher authentiquement c’est désapprendre la philosophie ! »

Voilà l’insupportable leçon du philosophe appliqué. Vous avez cru et vous croyez toujours en la vérité, en ce réalisme de la valeur qui s’incarne dans l’Idée , dans toutes les formes de l’idéal, de l’éducation à la politique, de la science à la religion, de la métaphysique à la communication, du progrès et des choses sacrées. Vous vous êtes imaginés que le philosophe renseignerait la vérité, lui attribuerait un contenu constitutif et objectif comme on remplit un flacon qui préexiste à son breuvage, comme on résout un problème géométrique par la démonstration. Vous avez cru qu’il donnerait à ce monde de bassesses et de vanités « un ordre élevé », « une dignité », que son programme « éthique » participerait d’une voie à suivre sous l’autorité d’une raison cardinale, fondatrice des petites et grandes vertus. N’est-ce pas là le signe premier de la pathologie, non pas l’idée qui n’en est que le symptôme mais la motivation cachée et néanmoins bruyante qui désanime la pensée en la rigidifiant sur l’autel des ridicules idoles de l’humain ? 

La maladie première de l’homme, son appétit morbide de fixités et de normes pour la conduite d’une vie cadavérique et aseptisée est l’affirmation d’un idéal. L’idéal est l’envers de la vie, sa triste fossilisation dans l’esprit. L’homme de la certitude est bourré d’arrière-pensées et d’éléments nécrosés. Il croit en la vérité comme en la vie parce qu’il est tout entier absorbé par l’angoisse du devenir, par l’insécurité convertie en sécurité.  Sa posture est l’imposture dédoublée dans le besoin toujours continué de sens et de direction. La vérité importe peu ! Que voulez-vous donc sauver ? De quoi avez-vous donc peur ? 

Il m’est impossible de ne pas pressentir sous le nom de  « philosophe » le plus minuscule de nos affabulateurs, le plus réservé de nos intrigants, ce produit social qui couvre et recouvre l’urgent besoin d’être soutenu dans et grâce à la sphère des Idées, ces idées qui ne manquent jamais de produire le bruit nécessaire à l’oubli, à la paralysie de la pensée "heureusement" et dramatiquement saturée. La société a besoin de philosophes, comme on a besoin d'anxiolytiques et de caches-misère. Ils sont les productions savantes de l'imaginaire inquiet, d'une conscience qui, tout en se saisissant elle-même, s'arrache à la vie et devient "idée". Mais sont surtout convoqués sur la grande scène publique, les idéologues majeurs, ceux qui ne se satisfont pas du bruit mineur de la philosophie suspectée sous cape de rationalité obsolète. Ceux-là aiment le vacarme, le hurlement des micros et des caméras ! Ils ajoutent à la cacophonie de l'existence leur normopathie discursive et leurs mots d'ordre. Tous ceux-là sont les pauvres d'esprit de la philosophie. Ils n'échappent pourtant pas à son projet, la grande fabrique de l'ordre au milieu du chaos ! Ils vivent et s'émeuvent dans le même monde, ces économistes de l'improbable, ces politiques de la décadence et du travail aliéné, ces financiers de la croissance stérile, ces fascinés de la pétrification et ces philosophes de la raison salvatrice ! 

Philosopher ne sauve pas et abandonne l’existence à son ultime condition. « Dé-philosopher » devrais-je dire, défaire, dérouter, dériver, délivrer, délier ! Celui qui accepte cette dé-saisie, celui-là déphilosophera en vérité contre l’imposture de la vérité ! Il fera taire le philosophe comme le tonnerre recouvre tous les discours en frappant l’esprit de surdité. Soyez sourds mes Frères ! Cessez d’entendre pour retrouver cette mélodie élémentaire de la dé-raison enveloppée dans les puissances du réel.  Clinamen - de natura rerum !

Voilà ce qu’est vivre en vérité ; c’est sentir le poids du corps tourné vers l’abîme, entre le feu et l’air, le vent et la tempête, la santé et la maladie qui ne sont qu’une seule et même chose. La seule vérité de l’existence est sa tension idiosyncratique entre les deux pôles du vivre et du mourir. Cette tension est œuvre ou désoeuvrement, œuvre ruinée, désoeuvrée et déjà moribonde, oeuvre magnifiée dans son impermanence même, oeuvre sublime et défaite tout à la fois, entièrement affirmée jusque dans sa capitulation ! Voilà ce qu'est vivre en vérité - déphilosopher- un trait de création provisoire et flamboyant dans les ténèbres du cosmos ! 

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Commentaires
D
Tout le problème est bien dans ce qu'on appelle "philosophie", cet usage de la raison qui a besoin de son ordre pour prospérer à la manière socratique, dans les mailles du discours et du langage qui joue sans cesse avec le langage et ses idoles. Dé-philosopher, c'est retrouver l'essence de la sagesse du côté de ceux qu'on a appelé à tort les pré-socratiques, tel Héraclite et Démocrite lequel survécut à Socrate pendant près de 40 ans et qui enseigne que "la vérité est dans l'abîme". Déphilosopher pour retrouver l'irrationnalité du réel et sa puissance créatrice. Au fond, avec l'avènement de la philosophie (cette immense prétention de la raison), c'est au recul de la sagesse que nous avons assisté, à l'effacement du tragique.
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L
"Déphilosopher", ou comment les mots se retournent. Car "philosopher" c'était d'abord "chercher la sagesse", ce qui implique qu'on ne l'a pas et qu'on sait qu'on ne l'a pas. Et la première tâche du philosophe est de critiquer ce qu'il croit savoir, l'ironie socratique. il doit user pour cela de sa petite lanterne vacillante, qu'on appelle raison, et sans prendre une vessie pour une lanterne. Mais on finit par prendre sa lanterne pour un soleil, on se croit sorti de la caverne, et on est ébloui, c'est-à-dire aveugle.
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C
L'erreur d'une certaine philosophie -comme de certaine psychologie et de certaine politique- est de vouloir se substituer à la religion, en offrant une perspective de salut.<br /> Mais comme tu le soulignes, le "salut" n'est que le masque de la mort: la religion toujours a fait de la mort l'Idéal de l'existence. <br /> Le but de la philosophie - et même, est-ce un "but" ou une exigence?- c'est le savoir. Et le savoir, c'est avant tout l'inquiétude. <br /> Le problème est que les "vrais" philosophes donnent parfois une forme achevée à ce qu'ils ont vécu comme inachèvement. Et ce sont leurs suiveurs qui transforment ainsi leurs questions en "réponses", inversant leur sens profond: leur invitation à questionner devient une invitation à se taire. Et c'est ensuite cette troisième catégorie de pseudo-philosophes qui vont puiser dans ces "réponses" des arguments purement rhétoriques pour justifier leur incapacité à remettre en cause.<br /> En fait "déphilosopher", c'est redonner à la philosophie sa valeur créative, dynamique. Il faut rendre "philosophique" ce qui nous est donné: rien n'est philosophiquement "donné". C'est un travail constant de métamorphose.
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D
Cher Clément,<br /> Merci pour ton commentaire. J'avoue ne pas bien saisir le sens de ton intervention. Que contemple donc l'homme qui s'arrache à l'obscurité de la caverne sinon la vérité éternelle du Bien, figurée par ce feu solaire qui illumine l'esprit de sa grande clarté ? Quelles sont ces idées du Beau, du Bien et du Vrai qui forment la matrice de ce ciel inaliénable constitué d'essences incorruptibles. La beauté de la rose n'est pas dans sa matérialité ni dans sa fugitivité mais dans l'Idée stable et rassurante de son abstraction à laquelle participerait pour une maigre part (part maudite ?) cette rose. Que la rose meure, la beauté demeure ! Quelle place pour la mobilité de la nature, pour son impermanence et sa désagrégation ? Quelle place pour la beauté tragique ? Platon ne nie pas le devenir des corps, il le méprise au nom de la valeur de l'Idée que le philosophe illuminé incarnera dans sa cité idéale. On connait la suite, Platon chez Denys, vendu comme esclave après le fiasco de son entreprise.<br /> <br /> Mon texte ne se veut pas ici expressément épicurien ; il serait plutôt lié à Nietzsche dans l'affirmation des puissances du corps et de l'organisme contre l'idéal ascétique et tous les arrières-mondes qui agitent les tristes sires de l'époque. Certes, il y a le clinamen du de natura rerum mais Nietzsche se réclame aussi du hasard fécond et fondateur comme silence assoursissant du réel. C'est plutôt dans cette veine que je me suis inscrit ici.<br /> A bientôt et porte-toi bien
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D
Cher David l'Exalté, c'est comme toujours une joie pour moi de lire tes remarques bien senties. Je n'ai pas grand chose à ajouter sauf que je te sens sur la voie d'un démocritéisme de haut vol et cela aussi me réjouit. Etre soi-même un cosmos ? J'aurais dit volontiers "un monde" car le cosmos est l'englobant, cet infini où dansent les atomes dans le vide éternel, le réel qui est tout et qui ne passe pas. <br /> Porte-toi bien
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P
Un joli morceau de bravoure!
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C
"Cette tension est œuvre ou désoeuvrement, œuvre ruinée, désoeuvrée et déjà moribonde, oeuvre magnifiée dans son impermanence même, oeuvre sublime et défaite tout à la fois, entièrement affirmée jusque dans sa capitulation !" Il me semble que cette phrase s'applique plus adéquatement à l'oeuvre de Platon qu'à celle d'Epicure. La "théorie des idées" est une caricature. En tout cas l'idée que tu exprimes semble indiquer que tu es rempli de joie et de vitalité<br /> Amicalement <br /> Clément<br /> PS: je t'écris bientôt par mail...
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D
1°Les fourmis.<br /> C’est drôle, c’est même très drôle : la vérité, ce mensonge…<br /> Les idéaux sont la rationalisation, et depuis des siècles déjà, la victoire sur une Humanité désincarnée d’une dégénérescence. En soi, voici l’une des pires violences commise envers l’Humain. Le rigorisme, l’extrémisme de certains idéalismes, ce n’est pas une seconde dégénérescence, succédant à la première qu’est l’idéalisme, comme la coulée de lave venant recouvrir les dépôts d’une nuée ardente, mais c’en est l’entropie, le retour à cet état de dégénérescence irrationnelle : la tombée du masque…<br /> Mais nul n’écoute, nul ne voit, nul ne comprend ! Les sens atrophiés par des siècles de Religion, de Morale, d’Education, de Politique, de Justice, - d’idéaux ! – ont fini par rendre les Hommes inaptes à cela.<br /> Comme si c’était écrit dans le sang ! Tels des insectes : propagation par copulation. Ce sont des fourmis, obéissant aux ordres d’une Reine Tyrannique, et inexistante : L’Idéal ! Ils se sont créés cette Reine, se sont organisés à travers elle, et finissent par vivre par elle et pour elle ! Pour eux, voilà la Vie ! La Vie au sein de cette fourmilière, la Vie grouillante sous terre : à peine née, cette Vie est déjà mise au tombeau, toute tournée, par cette broyeuse d’Homme, le système, vers l’Idéal !<br /> Qu’il est aisé d’être une fourmi, et de se conformer. Qu’il est aisé de ne pas se poser des questions, et de penser que c’est ça, la « vraie » Vie. Voici le mensonge sous jacent : l’Idéal n’est pas la condition d’une vraie Vie, digne et heureuse, comme elle le prétend.<br /> <br /> Si nous, Tragiques, sommes à l’abri de cela, c’est que nous sommes nés sans antennes, et, comme pour contrebalancer avec cela, notre pensée, et notre amour de la pensée, s’est exacerbée.<br /> <br /> 2°Les Philosophes.<br /> Le « vrai », quel beau mensonge, Ces Philosophes du « Vrai » sont coupables ! Ils se sont montrés les complices de l’un des plus grands crimes contre l’Humanité .Car prétendre amener la Philosophie à autrui, c’est le manipuler, forger son opinion et son esprit, pour le rendre prêt à accepter, pour en faire au final un esclave se croyant libre. Comment une telle personne pourrait-elle alors songer à se libérer ?<br /> <br /> La Philosophie ne s’enseigne pas ! Elle ne s’apprend pas comme l’on peut apprendre les impératifs catégoriques de Kant ( et encore faut-il les comprendre !).<br /> La Philosophie n’est pas un art diurne, ouvert et accessible à tous. Il faut la rechercher. Elle nécessite un certain Vouloir, une certaine Puissance, en plus de certains pré requis intellectuels. (« Sur quelle île ont-ils filmé les Australopithèques ? »).<br /> <br /> La représentation actuelle de la Philosophie est trop « gangrenée » par l’Idéalisme (tous connaissent Platon, Descartes et Kant, combien connaissent Démocrite, Pyrrhon et Nietzsche ?).<br /> L’une des victoires des Idéalistes fut de répandre ce nom : Présocratique.<br /> « Pré » : Voici l’immonde préfixe, qui résonne alors comme « Préhistoire » : assimilation à la « sauvagerie », à « l’inculture », à la « superstition » envers des dieux « obsolètes ». Un terme péjoratif, porteur de nombreuse, et fausses, significations. Quel préjudice porté aux Tragiques ! Et ce, grâce à un simple petit mot.<br /> <br /> Mais je ne suis pas totalement d’accord sur le terme de « dé-philosopher », car, personnellement, j’assimilais déjà la Philosophie à ces notions de « dériver, dérouter, dériver, délivrer, délier ». <br /> Si aujourd’hui, on rattache aisément Philosophie et Idéalisme, je comprends que cela ne te donne guère envie de porter le nom de Philosophe, surtout quand nos « représentants » sont ces penseurs malades, qui « aiment le vacarme, le hurlement des micros et des caméras ».<br /> Mais nous, nous comprenons le sens de ce mot, et sa valeur. Nous savons que la Philosophie n’a rien à faire avec l’Idéalisme ! <br /> Mais au final, peu importe le nom, peu importe le titre : nous faisons.<br /> <br /> 3°Notre (Dé-)Philosophie<br /> Notre Philosophie, ou notre Dé-Philosophie, qui pour moi sont la même chose, est la saisie, la perception, de la contingence de l’Univers, et c’est notre capacité à créer et à vivre en sachant cela, sans céder aux sirènes enjôleuses du Nihilisme et de l’Idéal.<br /> Contingence : elle se caractérise par des cycles répétés, - répétition elle-même jamais achevée ! – de Construction et Destruction, de Vie et de Mort, sans que rien de ce qui est construit ne soit jamais pareil ! La contingence, c’est un changement éternel, voudrais-je dire, même si cela sonne antinomique, rendant ainsi le Réel insaisissable, balayant toutes nos certitudes, nous délivrant de cette « philosophie » pétrie d’Idéaux. <br /> Une fois tout cela saisi, nous en venons à sourire, presque, et ce, de beaucoup de choses, irrationnels !<br /> <br /> Car nous apprenons à vivre ! Nous créons, sans achèvement, sans pause : nous ne sommes ni sculpteurs, ni peintres, mais des danseurs et des musiciens, nous percevons le rythme du Cosmos, sa mélodie, comme tu le dis si bien, Démocrite, et comme en réponse, - non ! Plutôt en accompagnement ! – nous composons des symphonies aux rythmes imprévisibles, contingents mêmes ! <br /> <br /> Je ne parle pas de devenir Cosmos comme l’on parle de « devenir tout » (nihilisme !) mais, cette image est la représentation, la connaissance de ce qu’est justement ce Cosmos, et la Vie en accord avec cela. Mais vous l’aurez compris, l’heure est à la métaphore ! <br /> <br /> Et nous ne créons pas pour éblouir nos congénères, ne vous y trompez point ! En créant, nous accompagnons le Cosmos, nous nous unissons à lui : nous devenons Un Cosmos, et rien n’est plus beau que de rencontrer d’autres êtres ayant saisi cela, rien n’est plus beau que de composer avec ses « frères ».<br /> Créer, Vivre, être Contingence, être Cosmos : Clinamen ?<br /> <br /> « Les atomes poursuivent leurs danses, irraisonnés, et jamais ne s’arrêtent, alors que nous, Cosmos épuisés, finissons par nous effondrer sous le poids de notre Création.<br /> Et les atomes continuent de danser, irraisonnés. »<br /> <br /> <br /> Bien à vous,<br /> L'Exalté
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