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DEMOCRITE, atomiste dérouté
3 décembre 2010

Je pense donc je mens

Afficher l'image en taille réelleQu’est-ce que la pensée sinon le sixième sens de l'humain ? N’est-elle pas comme les autres sens un régime complètement perceptif permettant au sujet de s'orienter non pas dans les idées, comme on a tendance à le croire, mais d’abord dans le champ indistinct du réel qui nous contraint à la territorialisation, à la protection ?

Toute signification élaborée dans l’esprit est une route neuronale, un itinéraire balisé dont l’apparente cohérence échafaude une sorte de cartographie intérieure, permettant de lire le monde devenu magiquement signifiant. La pensée transforme l’im-monde en monde, le tragique en optimisme ou en pessimisme, l’inconnaissable en dogmes, le hasard en rationalité ou en dieu, l’inconscient en conscient, la dé-route en routes, le chaos en ordre, le réel en réalité, l’insignifiance en significations. Nietzsche, parle de la connaissance, comme d’une pulsion fondamentale de reconnaissance, obéissant à un besoin pour le moins primaire de sécurité. Dés lors, penser serait un acte de spatialisation, acte topographique par lequel on s’approprie un territoire sorti de l’ombre sous l’impulsion des idées qui colonisent le réel à coups de signifiants et de signifiés.

Mais ce qui est étrange avec l’espèce humaine, c’est que la sécurité recherchée repose sur un régime hallucinatoire consistant à dédoubler le réel sous la forme de la représentation. Toute pensée peut se comprendre comme un délire visant à domestiquer l’incompréhensible en le forçant, en le maquillant sous la pression d’une angoisse sous-jacente. La pensée serait alors comparable à ce que Freud appelle « le travail du rêve », opération par laquelle les désirs inconscients liés à l’activité pulsionnelle, subissent un déguisement, une transformation par condensation, déplacement, symbolisation, de telle sorte qu’ils demeurent incompréhensibles au rêveur. Et pour cause, il n’y a rien à comprendre, rien à dire : les images du rêve ne désignent rien que des forces aveugles et im-mondes, des tendances, des penchants, des volontés, des perceptions, des sensations, bref, du fatras et de l’insignifiance. S’il est une vérité du rêve, c’est de pointer l’incohérence et l’incapacité du langage à ordonner des impulsions. Vérité du négatif qui prive la pensée de tout contenu intelligible. L’interprétation du rêve théorisée par Freud est un forçage terroriste si on la pousse du côté d’un dévoilement de sens. Elle ne pourrait valoir qu’en tant qu’activité poétique ou esthétique, passant d’un registre perceptif à un autre, d’une sensation à une autre plus supportable mais pas plus significative pour autant. C’est notamment la limite de la psychanalyse bien trop soumise au diktat du sens inscrit dans la structure du langage et qui fait tourner la cure dans le jeu infini de la chaîne signifiante. Mais revenons !

De cette manière, le rêve dévoile la nature secrète de la pensée confondue pour l’occasion aux autres sens car voir, entendre, goûter, toucher, humer et penser se condensent dans l’activité onirique. Rêver, c’est symboliser le réel en échouant toujours, c’est parler sa perception tout en étant irrémédiablement privé du dire. Aussi, le rêve est-il cette « psychose hallucinatoire » qui nous renseigne chaque nuit sur la nature sensorielle de la pensée, condamnée à échouer sur le terrain délirant de la vérité, de l’idée ou de l’idéal. Que reste-t-il sinon le plaisir ou le déplaisir d’une perception plus ou moins déroutante ? Pouvons-nous seulement accepter cette curieuse leçon infligée par le corps c’est-à-dire par nous-mêmes ? La pensée ne vise pas la signification du réel qu’elle manque toujours. Elle se déploie comme intensités sensorielles dans le seul but de faire disparaître l’insignifiance sous le régime hallucinatoire de l’idée : par là, son objectif est atteint : la sécurité. Et la sécurité rend toujours bavard !

Dés lors, toutes les fois que je pense et que je crois dire quelque chose, je mens. Et pour parodier Descartes avec l’excellent Clément Rosset :

« Je pense donc je mens. »

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Commentaires
M
Oui, cher Démocrite, le mode tout à fait conventionnel du langage et particulièrement celui du « on » accroît cette scission ruineuse entre l’objet et le sujet. De toute évidence, le monde perçu n’est pas l’univers objectivé dans et par l’artefact du discours commun, classique. Pour autant, le langage poétique, plus spontané m’apparait être comme une passerelle possible entre ce que pourrait être le sens de l’être de l’être naturel, un sens originel , c’est à dire inaugural, sans que ce sens ait été posé par la pensée.<br /> Sommes-nous capables d’atteindre cette attitude naturelle ( je prends ce concept à l’opposé de celui de E. Husserl), véritable gage d’originarité , loin de tout symbolisme et système de re-présentation ? Le poète ou l’artiste est probablement le mieux à même de nous conduire, de nous initier à ce retour aux choses mêmes. Cette initiation, faut-il le croire, doit être nécessairement d’ores et déjà présente car elle ne s’institue pas au travers des prismes du savoir et du langage . Elle est captation, saisie directe de ce qui est originairement là posé, donné, qui se soustrait au dire et au discours falsifiant le caractère originel de l’être naturel.
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D
Le langage est déjà de l'ordre de l'institution, du tiers qui permet de situer l'autre comme de se situer soi. Il n'est pas, en tant que tel mensonge, mais dévoile vite son incapacité à tisser un lien avec le réel parce qu'il le recouvre de son régime représentatif.<br /> En ce sens ce n'est pas l'autre comme subjectivité qui impose un mensonge mais le grand Autre (Lacan), la structure symbolique qui supprime la faille du réel par le jeu des signifiants se renvoyant les uns aux autres (métonymie, déplacement...) dans l'obsession du sens qu'ils paraissent déployer.<br /> En deça de la signification commence l'heureuse déroute poétique, régime tourbillonnaire d'un langage destitué dans sa prétention à dire et délivrant une parole aussi libre que le réel est insignifiant.<br /> Bref, sitôt qu'on prend les idées au sérieux et qu'on s'imagine qu'elles ont quelques accointances avec l'être, on est dans le mensonge, ce qui fait partie de la grande comédie sociale. C'est ce que j'appelle "l'emposture"<br /> Merci pour ce commentaire.
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M
Penser c'est mettre en action quelque chose qui n'existait pas.<br /> La pensée a un outil déficiant : le langage.<br /> Tout ce qui passe par le langage serait donc mensonge ?<br /> Non, le mensonge vient avec la prise en compte de l'AUTRE en tant qu'archétype humain (tous les autres et leurs idées moyennes et leur compréhention moyenne du langage).<br /> Mentir, c'est prendre en compte l'existence de l'autre.
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D
Je vous rejoins volontiers dans l'expérience que vous faites de la marche et dont vous rapportez le caractère intuitif.<br /> Il y a juste un bémol relatif à la dualité. Il n'y a pas de dualité monde/im-monde (ou réel réalité) car le versant de l'im-monde est sans concept, il est irreprésentable. la dualité se nourrit de la division dans le champ de la représentation autrement dit du monde. Ces dualités servent à entretenir le maquillage du réel, à produire un bruit pour éviter le silence élémentaire.<br /> "Etre ou ne pas être" reste une question fondamentale sur le plan psychologique comme sur le plan d'une philosophie existentielle. Maintenant, sur un plan métaphysique, cette question peut parfaitement se dissoudre dans l'intuition du Tout et dans l'impermanence universelle à la manière d'Epicure ou sur un autre plan, de Spinoza. Et là, je vous rejoins également.<br /> Amicalement
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M
-je pense mais je ne suis pas là:<br /> <br /> randonnée en montagne:<br /> <br /> 1/ tandis que j'arpente la sente, je suis perdu dans mes cogitations, ruminant le passé, ou me projetant dans l'avenir.<br /> En fait je suis pas dans cette montagne, ni dans le temps, ni dans l'espace.<br /> <br /> 2/ attentif à chacun de mes pas, et conscient de mon souffle, je suis ici et maintenant.<br /> -ici ,dans l'acceptation de l'interdépendance de toutes les choses vivantes je me fonds dans cette montagne.(par instants), il n'y a plus de dualité monde/immonde, soi/non soi.<br /> - maintenant, à travers la grâce fragile de cet instant,je fais l'expérience de l'impermanence .<br /> <br /> <br /> <br /> -être ou ne pas être , ce n'est pas la question:<br /> <br /> "rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme"Comme l'énonça bien plus tard Lavoisier ,l'école Mahayaniste , non pas dans un but scientifique bien sur, ni même philosophique, mais avec le souci de combattre la souffrance inhérente à notre présence au monde, à la vie, considère que rien ne saurait se creer à partir de rien. <br /> <br /> Ainsi les choses se manifestent quand les conditions sont réunies, puis disparaissent sitôt qu'elles ne le sont plus. Dans cette optique, il n' y a ni naissance , ni mort, si bien qu'être ou ne pas être n'est pas la question...dont la réponse pourrait apporter quelque soulagement.<br /> <br /> Pour rester cohérente, cette pensée considère le monde tantôt sous une dimension "historique", dans laquelle les objets correspondent à leur appellation (une montre par ex) et semblent posséder un soi , tantôt sous une dimension "ultime",réalité à expérimenter,et non pas problème à résoudre ,dans laquelle se déploient , non pas des concepts auxquels s'accrocher, mais des outils à utiliser le temps de faire l'expérience du non-soi(espace),de l'impermanence(temps) et, du (pardon) Nirvana, qui ne représente pas je ne sais quel paradis, mais signifie le silence des concepts.<br /> Silence des concepts ,nous voici loin de la philosophie (Deleuze), et je m'éclipse donc à petits pas feutrés...
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G
En radicalisant et le texte (fort instructif) et les commentaires précédents, on peut dire : "il n'y a pas de question" - par contre il y a beaucoup de réponses! Sans jeu de mot, penser (peser en latin) c'est panser, s'il est entendu que notre constitution native est, comme dit Protagoras, d'être "nu, sans vêture et sans chaussures" dans un im-monde où chacun se demande comment et pourquoi survivre. Le surabondance du penser et du dire est à la mesure du dénuement originel.
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M
être ou ne pas être...là n'est pas la question.
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D
Merci Marc pour ce commentaire serré. Je ne dirais pas "je pense donc je ne suis pas" ; en revanche, le fait d'être se passe à l'évidence de la pensée.<br /> Amicalement
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M
je pense donc je ne suis pas.
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