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DEMOCRITE, atomiste dérouté
8 décembre 2010

Perspectives

La perspective est l'art de regarder à travers (per spectare), de voir de bout en bout, de pénétrer le réel insolite, de le traverser même, depuis un enracinement initial d'essence topologique. Je regarde "à partir de", "depuis", "d'un certain point de vue". Ce lieu primitif du regard autorise une généalogie. D'où regardons-nous ? De quel ancrage, de quels a priori celui-ci se constitue-t-il ? De quel paradigme la réalité apparaît-elle à l'oeil soucieux de façonner un monde ? La perspective s'accompagne d'une visée quasi-performative comme si le monde naissait en même temps que le regard se porte sur lui, moment constitutif d'une réalité qui émerge de l'indifférencié sous l'impulsion fondatrice de l'oeil. La première perspective est enracinée, la seconde est déterritorialisée.

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Cap au sud ! Toujours ! L'oeil se tourne vers l'Ibérie et se perd dans cet horizon foisonnant de cimes, d'arbres, de neige, de nuages dansant dans un azur contrarié par les vents. Ma sédentarité se brise devant l’océan de pointes, mes amarres se disloquent, ma perspective se défait, s’échoue devant la multitude et le passage, devant le train inaccompli des nébulons évanescents.
Je resterais là des heures à contempler cette nature mobile et ces possibilités d'explorations infinies. La perspective qui est mienne se fracture comme intentionnalité et s’abîme sur le socle étonnamment varié des perspectives suggérées par chacune de ces pointes, de ces estives et de ces pentes. Ce n’est plus un monde qui est  regardé, mais la pluralité insaisissable des possibles, l’incroyable combinatoire suggérée par les excroissances du réel. Ces montagnes, ces pics démultiplient les cheminements, les sentes, et inventent d'autres horizons, autant de vagabondages que de perspectives toutes aussi vraies les unes que les autres.

Qui est seulement capable de sentir ces multiples voies, ces itinéraires déroutés, ces extravagances qui irriguent l'existence et la rendent à elle-même, loin de la mornitude du grégarisme ?

Qui peut affronter la solitude d'un pas que nul n'emprunte, d'un voir délesté de la convention du regard, affranchi de l’unité trop souvent réclamée ?
Bref, je rêve devant ce paysage pyrénéen et étrangement, mon rêve a un parfum enivrant de réalité !

Puis-je seulement dire où je me trouve ?

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Commentaires
D
Merci, cher Max pour ce beau texte de Pessoa qui nous rappelle, avec force, combien le rapport au réel est difficilement détachable de la représentation (du monde). L'homme n'est pas comme une monade fermée sur elle-même, tautologique et complètement auto-centrée. Si cela désigne le régime moyen de l'existence et son risque délirant, c'est aussi par la brèche que le réel fait irruption. Se dépayser n'est pas seulement voyager, c'est défaire le "regarder" pour que surgisse le "voir". Il n'est pas besoin d'aller au bout du monde pour cela mais pour qui sait voir, se déplacer fait sentir (et donc penser) précisément autre chose que ce qui est donné par l'habitude.
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M
Ta réflexion passionnante m' a rappelé ce très beau texte de Fernando Pessoa extrait du livre "Le livre de l' intranquillité".<br /> <br /> "Voyager? Pour voyager il suffit d' exister. Je vais d' un jour à l' autre comme d' une gare à l' autre, dans le train de mon corps ou de ma destinée, penché sur les rues et les places, sur les visages et les gestes, toujours semblables, toujours différents, comme, du reste, le sont les paysages.<br /> Si j' imagine, je vois. Que fais-je de plus en voyageant? Seule une extrême faiblesse de l' imagination peut justifier que l' on ait à se déplacer pour sentir" ( je ne partage pas ce sentiment, tu l' as largement démontré au cours de tes nombreuses dé-routes Pyrénéennes)<br /> "N' importe quelle route, et même cette route d' Entepfuhl, te conduira au bout du monde. Mais le bout du monde, depuis que le monde s' est trouvé accompli lorsqu' on en eut fait le tour, c' est justement cet Entepfuhl d' où l' on était parti. En fait, le bout du monde, comme son début lui-même, c' est notre conception du monde. C' est en nous que les paysages trouvent un paysage. C' est pourquoi, si je les imagine, je les crée; si je les crée, ils existent; s' ils existent, je les vois tout comme je vois les autres. A quoi bon voyager? A Madrid, à Berlin, en Perse, en Chine, à chacun des pôles, où serais-je sinon en moi-même, et enfermé dans mon type et mon genre propre de sensations?<br /> La vie est ce que nous en faisons. Les voyages, ce sont les voyageurs eux-mêmes. Ce que nous voyons n' est pas de ce que nous voyons mais de ce que nous sommes."
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