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DEMOCRITE, atomiste dérouté
8 janvier 2011

Détruire la philosophie pour philosopher

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Image de Max Lerouge

La philosophie tragique est, à mon sens, la plus difficile qui soit parce qu'elle est la plus simple. J'avais écrit un jour que le seul projet philosophique digne d'être réalisé consistait à dé-philosopher ou à pratiquer, comme le suggère Guy Karl dans Le Jardin philosophe, "l'A-philosophie". Dans les deux cas de figure, la philosophie s'éloigne d'elle-même, se retire de la fascination qu'elle exerce sur elle-même et se destitue de sa prétention à dire quelque chose, à sauver quoi que ce soit dans le monde, à changer l'ordre des choses ou plutôt le désordre élémentaire, le tourbillon sur lequel elle n’a évidemment aucune prise. La philosophie n’a jamais rien changé et n’a jamais eu la moindre valeur universelle, pour cette simple raison que « les choses - comme l’a noté Deleuze – ne sont qu’une à une » (Logique du sens). Après plus de vingt-cinq siècles d’existence, où voit-on des hommes meilleurs, une humanité pacifiée, une sagesse planétaire ? Il est extraordinaire de constater que la vérité la plus simple est celle que refuse l’esprit de toutes ses forces ! « Eadem sunt omnia semper » écrivait Lucrèce et Schopenhauer d’ajouter, « sed aliter », les choses sont toujours les mêmes, mais autrement ! Tout change mais rien ne change vraiment du point de vue du tout.

L’obstacle principal de la philosophie, c'est d’abord le mot lui-même et la cohorte de représentations qu'il trimbale depuis toujours. Etre ami de la sagesse n'a jamais signifié autre chose qu'une exigence élémentaire de vérité. Mais il n'est écrit nulle part que la vérité soit heureuse, bienfaisante ou réparatrice. La vérité ne sauve ni de la mort ni de la souffrance ni de l'ennui, ni du risque majeur de vivre sous le poids écrasant du hasard.

Certains veulent faire de la philosophie un programme, une politique, une ambition universelle, un art de modifier le réel sous le régime aveuglé du désir. Tous ceux-là qui se sont imaginés que la philosophie modifierait quelque chose ont basculé dans l’idéologie ou dans la religion, ce qui revient au même et ont trop souvent fait pire que mieux.

J'enseigne la philosophie depuis près de 17 ans et j'ai rapidement compris que la particularité de cette discipline n'est pas de construire quoi que ce soit, mais de dé-faire, de dé-router l'esprit, de décaper les certitudes et le besoin de sens qui s'est infiltré dans l'esprit des élèves comme un poison issu d'une pathologie collective. Celui qui observe avec lucidité ce qui se passe dans les salles de classe constate que plus les apprentis apprennent, moins ils savent, plus ils étudient, moins ils pensent. C’est qu’il ne sert à rien d’ajouter à la pesanteur du sens d’autres pesanteurs ; toutes se contaminent, se polluent et créent un terrible relativisme qui ne distingue en rien l’enseignement scolaire des messages sociaux, des opinions, contre lesquelles il est censé lutter. Les théories philosophiques deviennent des armes de destruction de la philosophie, les concepts, des obstacles épistémologiques qu’il faut détruire pour retrouver l’originaire, ce à partir de quoi l’expérience de la vie mérite d’être questionnée. Tel est le drame fondateur et premier de la philosophie. Pour naître dans l’esprit comme exigence de vérité, il faut d’abord la détruire et se passer d’elle, se libérer de sa tutelle et des idoles qui l’accompagnent.

De ses cendres, pourront peut-être surgir quelques questions sincères, pensées en vérité, à partir d’une expérience que nul ne peut vivre à ma place et auxquelles aucun programme ne vient répondre. Alors, délivré de toute emprise, l'esprit philosophique commence à germer.

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Commentaires
D
Merci pour ces deux admirables réactions. <br /> Quelques éléments : pour Marie, je ne crois pas que la philosophie dont je parle ici soit nouvelle ou qu'elle représente "un nouveau mode de philosopher". Il me semble que toute pratique sincère procède d'une intuition centrale nécessitant un dépouillement préalable : "il faut dépouiller l'homme" (Diogène). Sur ce point, l'expérience est ce à partir de quoi cette intuition peur naître. Pour ma part, c'est l'expérience de la faille et l'intuition du réel insignifiant et inconnaissable (Rosset).<br /> S'il est une révolution à opérer, c'est peut-être ce que Krishnamurti appelle "la révolution du silence". C'est là quelque chose qui est tout sauf un programme, une certaine attention à ce qui se passe et qui ne dit jamais rien.<br /> <br /> Oui, chère Bernadette, je te rejoins volontiers dans ce que tu appelles "une éthique de la vérité". pour ma part, c'est l'autre nom de la philosophie qui est exigence de vérité mais à la seule condition de ne pas faire de l'éthique un programme, une voie tracée avec sa logique supposée de progrès ou de transformation du genre humain, ce à quoi je n'adhère pas.<br /> J'ignore si la société peut être meilleure ; peut-être peut-elle devenir moins violente sur le terrain de ses institutions ou de la pratique du pouvoir. Mais je ne sais pas où existe cette garantie sinon dans une représentation qui me paraît quelque peu rêveuse...<br /> <br /> Merci à vous deux.<br /> <br /> aa
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B
La révolte naît le plus souvent d’un abus d’autorité, d’un excès de pouvoir. Les révolutions au cours de l’histoire ont le plus souvent t conduit à de nouveaux rapports de pouvoir, de forces, nouveaux objectifs, nouveaux programmes, nouveaux modèles. Et rien ne changera tant que persisteront les illusions en un monde meilleur, la foi en un parti, les croyances en une fraternité commune… Cependant la révolte est saine, signe de vitalité, de puissance lorsqu’elle exprime l’atteinte à la dignité de l’être. Il me semble essentiel de mettre en avant la dignité de l’être, son droit d’exister, d’exprimer sa singularité.<br /> « Résister c’est créer » (Deleuze), me semble l’orientation la plus juste. Philosopher selon ta conception de la philosophie Didier est fondamental .Ce qui me semble tout aussi essentiel, c’est de prendre conscience du pouvoir d’auto création de chacun et de l’aider à éclore dans tous les domaines, éducation, culture, travail, santé malgré les contraintes des institutions et les impératifs économiques qui s’empressent de l’étouffer. Substituer donc à une position réactive, une disposition créative. Ce qui implique de ne pas attendre des solutions des institutions, des politiques mais avant tout de soi même .C’est grâce au déploiement de cette puissance que nous pouvons nous élever nous-mêmes et autrui ( pour reprendre tes propos ) mais c’est aussi animés « d’un sentiment éthique » .<br /> « La dignité humaine est une vérité pour tous. L’éthique est, ainsi, une éthique de la vérité dont la visée essentielle est le processus, infini en droit, de subjectivation par rapport aux savoirs et pouvoirs établis. Elle porte un projet œuvrant contre toute objectivation d’un Autre – humain, ou dévalement de sujet en objet. » Stefan Chedri.<br /> Oui nous pouvons philosopher, parler, écrire, agir, créer non en vue d’« une société meilleure », mais parce que nous sommes et devenons…<br /> BC
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M
Et si au fondement même de l’ « A-philosophie » cher Démocrite se jouait quelque chose comme cet acte de dé-construction et non de destruction ( Abbau qui se distingue de Zerstörung))dont parle Heidegger dans Sein und Zeit . Je ne crois pas en l’existence d’une « connaissance « ou d’un savoir ex-nihilo, même « le rien » est un brin de quelque chose fut-il « un presque rien ». <br /> Mais venons en au fait, interrogeons-nous : faisons table rase de quoi ? De nos façons stéréotypées de penser, d’accumuler des connaissances, de savoir et de devenir de merveilleux historiens de la philosophie ? D’aucuns diront, c’était pourtant un beau programme, notre ministre en est très fier : rien de telles que des bêtes de somme qui nous récitent de la philosophie. D’ailleurs, tout le monde sait cela : on n’apprend pas à philosopher mais on n’apprend la philosophie n’est-ce pas (J’ironise bien sûr !) ? <br /> Je ne peux résister à l’envie de citer et de reprendre à mon actif un titre d’un ouvrage actuellement classé en tête des ventes dans toutes les « bonnes » librairies « Indignez-vous ! »Oui d’accord, mais révoltez-vous ensuite. <br /> Par quel moyen ? Par l’usage de la parole orale, écrite( la lexis) qui est également une action (praxis) .Dans « Human condition », Hannah Arendt le disait avec force, la parole et l’action se confondent . Cette attitude à laquelle tu nous invites cher Democrite est à la fois fondatrice d’un nouveau mode du philosopher et fondamentale en ceci même qu’elle exige de tout un chacun de dépasser les apparences, les simulacres d’un pseudo-savoir. <br /> Mais en sommes-nous réellement capables ? Comment se dé-prendre du « mal appris » pour se re-prendre et savoir prendre enfin toute la mesure des choses, de l’être ? <br /> Peut-être avons-nous un indice, un chemin ou cheminement possible dans la présentification et vécu de la différance ( avec un a) : le pas suivant à faire avant ou après la pensée de l’être, dans l’alternance de l’être et du non être…..
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