Folie passagère d'un prof de philo !
Lundi dernier a eu lieu, dans mon établissement, ce qu’on appelle hypocritement une journée pédagogique ; je dis hypocritement car tout le monde sait que ces moments de la vie scolaire n’ont d’autre but que d’éviter autant qu’il est possible, tout questionnement d’ordre pédagogique et surtout, toute interrogation portant sur le sens ou l’insignifiance de nos pratiques, comme sur les enjeux qui conditionnent le morne parcours scolaire d’un lycéen.
La mise en application des réformes successives, l’obsession des procédures, des programmes, la dimension informative, l’approche résolument technocratique recouvrent depuis longtemps et de plus en plus « le pédagogique » et le dissout dans une forme subtile de divertissement qui arrange évidemment tout le monde. Tels sont le jeu et la danse auxquels tous les ouvriers prolétarisés que sont aujourd’hui les professeurs acceptent sans sourciller, avec cette application zélée propre à l’esprit grégaire, ce que La Boétie appelle avec justesse, « la servitude volontaire » ! Ce qui est d’ailleurs remarquable, c’est que le contenu de ces journées est désormais déterminé en haut lieu sans qu’à aucun moment, les professionnels (donc les pédagogues, les professeurs) ne soient consultés. Personne dans mon établissement ne s’en émeut, c’est dire dans quel cirque nous évoluons. Jusque-là, rien de nouveau sous le soleil !
Ce qui me frappe à cette occasion, c’est cet étalage obscène d’insignifiance avec laquelle les consciences (toujours bonnes) cohabitent le mieux du monde alors même que cette usine à gaz, l’école, laisse partout des gens sur le carreau, fabrique un ennui massif et des pathologies multiples, troque des diplômes sans valeur contre une docilité et un abêtissement pathétiques et s’accommodent fort bien de l’asymbolie dont souffrent la plupart des élèves. Cet affligeant constat ne doit surtout pas être posé, diagnostiqué, ni même pensé. Se réfugier derrière les procédures dispense de réfléchir et d’être menacé par ce que chacun sait et qu’il maintient hors du champ conscient avec « l’application » requise.
Dans un acte de pure folie, j’ai eu la stupide idée de publier et d’afficher en salle des professeurs, un mot interrogeant de manière clairement critrique la signification de cette journée (pédagogique), moi qui cultive depuis des années, l’atome d’écart, le retrait salvateur et nécessaire à ma survie philosophique. Un regain de professionnalisme ? Une soudaine envie d’en découdre ? De m’arracher à la meute ? A la veulerie généralisée ? Sans doute ! C’est que, faisant suite au dernier article de ce journal, évoquant le mépris pour l’intelligence, la détestation vis-à-vis de toute lucidité, j’ai été pris d’un accès de fièvre. C’est là l’origine de ma folie brutale ! Je me suis mis à écrire et à élaborer ma propre demi-journée pédagogique en boycottant la balade touristique prévue l’après-midi (3 heures durant, sic !), visite de locaux oblige !
Malade, Démocrite, complètement dingue ! Gravement dérouté ! Bon pour la casse ! Oui, j’avoue. C’est indigne d’un démocritéen sceptique de surcroît!
Heureusement ! Grâce à une collègue qui m’a rappelé avec vigueur, sans prendre le temps de lire mon texte, qu’une discussion sur le sens des choses n’avait précisément aucun sens et que, si on commence à réfléchir, on ne peut plus travailler, j’ai commencé à me réveiller. La fièvre est peu à peu tombée. Après avoir constaté l’indifférence de mes « camarades » vis-à-vis de mon papier, je me suis soudainement senti guéri et même vacciné. Je me suis donc empressé, après deux heures d’affichage public, de soustraire mon irrationalité passagère à l’examen clinique de tous. Pour un peu, j’étais mûr pour l’hospitalisation d’office !
La même collègue rencontrée le lendemain me dit qu’elle a réfléchi et que je n’ai peut-être pas complètement tort. « Non ! Non ! Non ! Lui ai-je répondu, c’est toi qui as évidemment raison ! D’ailleurs, je voulais absolument te remercier ; aujourd’hui, je me sens mieux !» Apparemment surprise, elle ne m’a pas relancé ! Ouf !
Vous comprendrez que je devais me protéger à tout prix de la rechute.
Portez-vous bien.