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DEMOCRITE, atomiste dérouté
8 juillet 2011

La météorologie comme source philosophique

J’aime la météorologie depuis toujours ou presque. Ma conscience philosophique est  d’essence météorologique, éveillée par les éléments, réveillée par les  orages, électrisée par la foudre, stimulée par les instruments de mesure, fascinée par le ciel et les nuages, les fronts et les conflits, autant de métaphores de l’existence soumise aux caprices de l’inconnu, aux rigueurs de la fortune. La météorologie m’a initié au réel, c’est-à-dire à l’insignifiance de toute chose.

Il y a dans ce goût pour la météorologie quelque chose qui est de l’ordre d’un dévoilement constant de la vérité de la nature. Ce dévoilement est tout autant un voilement car rien n’apparaît véritablement à celui qui tourne son regard vers les phénomènes atmosphériques, rien que des flux, des passages, des nébulons nomades et impermanents, des fronts massifs qui se désagrègent, des particules, des averses, du son, de la fracture et des torrents d’aléatoire. La météorologie est la science qui contrarie la science, qui en déjoue la prétention tout en constituant le parangon de toute science, celle qui peut se flatter de placer en son centre le régime essentiel de la dépossession, l’ignorance, le trou de l’irreprésentable.

Les météores sont capricieux comme la vie humaine l’est, comme toute vie en vérité. Dépression, anticyclone, tourbillon, voilà qui ne peut que ravir l’authentique démocritéen traversé par les lignes de force d’une nature à jamais insaisissable et fuyante comme l’eau. C’est que le mot nature est déjà de trop comme tout signe d’ailleurs car ce qui se passe ne fait signe vers rien. La tempête comme le grondement du tonnerre sont silencieux du point de vue du dire, ne font jamais langage, c’est pourquoi, ils déjouent nos catégories et nous laissent étonnés, frappés du tonnerre, comme décalés au bord d’un monde devenu im-monde.

La météorologie est la science des météores, l’étude des phénomènes atmosphériques. Le logos de la science est une prétention, une volonté de dire (legein), de signifier la volonté de la nature. Elle exprime une tentation oraculaire et divinatoire qui fascine depuis toujours et excite l’imaginaire, motivations mégalomaniaques ? Les experts, eux-mêmes dépossédés par leurs calculateurs géants se font les herméneutes de modèles sibyllins qui tombent comme messages prophétiques. Mais à la différence des autres sciences, ces messages sont accompagnés d’un indice de fiabilité, d’un coefficient de probabilité, d’une marge d’erreur qui est la prise en compte de ce trou dans la pensée, de ce silence du réel qu’aucun modèle numérique ne peut embrasser adéquatement.

Les gens s’intéressent bien plus à la météo qu’à la météorologie.  La météo, privée de son « legein », de son dire est résolument bavarde. Elle autorise toutes les discussions, toutes les opinions, elle fait parler et permet de rompre le silence élémentaire qui enveloppe et conditionne toute rencontre intersubjective. Curieusement, le  bavardage « intempestif » de tous ceux qui ne parlent que de la pluie et du beau temps ne fait qu’ajouter un bruit au milieu des bruits météoriques, gouttes d’eau,  vent dans les branches, un son articulé dans la grande cacophonie atmosphérique. Rien ne le distingue du reste, sitôt énoncé et déjà évaporé dans l'azur.  

Quant à la vertu de la science météorologique, nous dirons qu’elle se trouve dans l’étoffe du dire, dans sa chair, vertu toute socratique qui articule sans cesse à la prévision la conscience intime de l’ignorance. Le météorologue authentique sait qu’il ne sait pas mais il se risque tout de même et fait parler les autres. Et parfois, ce qu’il dit semble rencontrer le réel.

Parler tout en sachant qu’on ne dit précisément rien car il n’y a rien à dire, tel est le régime philosophique de la conscience élevée à la vérité de l’insignifiance.

Le météorologue est au ciel ce que le philosophe est à la vérité.

Portez-vous bien.

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Commentaires
D
Cher Marc, de mémoire je ne me suis pas prononcé contre le fait d'être intéressé pour telle ou elle chose mais plutôt contre le discours qui énonce "c'est intéressant" ; discours qui est une manière de passer à autre chose et de ne pas se plonger dans la réalité même (façon subtile de se divertir par une distanciation qui fait l'économie d'un réel investissement). (voir la formulation de Heidegger là-dessus.)<br /> La météorologie m'intéresse parce que je vis les phénomènes atmosphériques comme autant de moments esthétiques et "métaphysiques" d'une intensité rare. Tout est ici affaire d'implication c'est-à-dire, se trouver au milieu des plis du réel.<br /> Ce qui intéresse modifie, ce qui est intéressant laisse le sujet intact, du blabla en d'autres termes.<br /> Bien amicalement
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M
moi-même fervent (fébrile?) émule de la cloud appreciation society, j'aimerais que tu rapproches cet article de tes propos passés contre le fait de se dire "interessé" par telle ou telle activité (au sujet desquels j'avais avoué mon affection pour Bouvard et pour Pécuchet)
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D
Ha Cher Pierre-Paul,<br /> Ton intervention me comble de joie. C'est un pur plaisir de te lire et de sentir que nous partageons ces errances fertiles au bord de l'abîme. <br /> J'aime ce rapport entre géologie et météorologie ; la montagne elle-même que je parcours sans cesse est à l'image des météores comme ces châteaux d'Alsace qui peuplent mon imaginaire d'enfant et qui se laissent peu à peu ensauvagés, dégradés et même reconstruits par les vents et les tempêtes. Mon ignorance géologique est totale, mon intuition est grande et pour l'heure, cela suffit.<br /> <br /> A bientôt, porte-toi bien.<br /> <br /> PS : Avec Nietzsche impossible de faire bonne mesure, notre homme dé-fait (la) bonne mesure.
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P
Mon cher Démocrite, j'accueille ton propos avec enthousiasme, comme tu peux t'en douter.<br /> Je partage cet attrait pour les phénomènes atmosphériques et, même si mon inclination naturelle ne les dépouille pas complétement de ce que je les imagine me dire, je suis simultanément fasciné par cette représentation tragique d'une cohorte infinie de météores, grêles et dépressions, balayant en une interminable cohue océans et continents.<br /> L'impression est plus forte encore en présence de ces Pyrénées que tu aimes tant parcourir, car sachant un peu de géologie, face à un pic saute à mes yeux l'abîme qui l'environne, fruit d'une érosion dont les météores sont les vecteurs essentiels. Confronter à ces éons, il est tentant de se raccrocher au solide, au tangible, et l'on célèbre le roc défiant le ciel, les cimes se dressant vers l'azur en omettant qu'il ne s'agit là que de reliefs, c'est à dire de restes, et de restes de restes, d'une très impermanente ruine, qui au lendemain géologique se confondra avec la plaine.<br /> Néanmoins, quand tu prête une tentation oraculaire et divinatoire à la météorologie, il s'agit bien sûr du domaine des prévisions météorologiques. Si aux yeux du public ces dernières constituent l'objet même de cette science, je soutiens que le météorologue l'aborde souvent d'une façon fort différente. S'il est vrai que les supercalculateurs bourdonnent nuit et jour à l'élaboration des simulations numériques, l'immense domaine de la météorologie ne se limite pas à la rédaction d'augures ! Nombreux peuvent être les chercheurs qui, impliqués dans les domaine de l'étude de l'atmosphère, seront bien dans l'embarras lorsqu'au cours d'un diner en ville, le béotien leur demandera le temps qu'il fera au cours des jours prochains !<br /> Mais c'est effectivement sur cet aspect divinatoire que se focalise nos concitoyens : la météo les préoccupe, qu'il s'agisse de leur potager ou de leurs vacances, alors qu'ils ignorent la météorologie. De même que la médecine les interpellera davantage que la biologie … Les perturbations cerclent le globe en une ronde éternelle, et l'homme tourne autours de son nombril.<br /> Maintenant, l'essentiel : je te cite « [Tempête et tonnerre], ne font jamais langage, c’est pourquoi, ils déjouent nos catégories et nous laissent étonnés, frappés du tonnerre, comme décalés au bord d’un monde devenu im-monde. «  Ce sont justement de tels moments que je veux revivre, de ceux où le déroulement de la foudre au-dessus de crêtes inconnues, en Aragon, me laissait l'espace d'un instant entrevoir, à la faveur de l'exotisme de ma situation, l'infini chaos d'une atmosphère vouée (et encore, ce serait là encore y prêter du sens) à une éternelle construction-déconstruction, aveugle et sourde à toute nos misérables préoccupations humaines. Que le non-dire de la foudre permette ainsi, ponctuellement, un amincissement local du voile d'Isis, laissait entrevoir l'im-monde, voilà qui me rappelle cette coutume répandue autrefois qui voyait dans l'éclat des éclairs la lumière entr'aperçue du paradis. Faire sens. Réconforter le pieux que terrifiait l'orage. Aujourd'hui croire y entrevoir l'im-monde, où hurlent les éléments, c'est remplacer le paradis par l'enfer, et même pire : dans l'enfer, le pêcheur a sa place …<br /> Ah oui, un peu de Nietzsche pour faire bonne mesure : « La foudre, la tempête, la grêle, ces libres forces étrangères à toute éthique ! comme elles ont de la chance, comme elles sont puissantes, pur vouloir que ne vient point troubler l'intellect. « 
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