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DEMOCRITE, atomiste dérouté
7 août 2011

La conclusion comme loi du réel

              Il n'est pas simple de faire le bilan de ses relations, de regarder en face ce qui nous relie à l'autre. Parfois, la conclusion s'impose d'elle-même ; parfois, celle-ci prend la forme d'une rupture brutale, d'une cassure dont les ramifications émergent après coup, après dix-mille micro-expériences qui ont travaillé subrepticement la chair. Chair froissée, chair blessée jusqu'à l'irréversible béance, jusqu'à ce qu'une conclusion s'impose comme une loi : la loi du réel.

          Conclure ! Voilà l’enjeu pour celui ou celle qui se croit en possession d’une vérité momentanée dont il ou elle croit pouvoir disposer comme des ustensiles qu’on manipule dans sa maisonnée. Dans le film Les Bronzés, il est un personnage joué par Michel Blanc qui cherche toujours « à conclure » et dont on sait, par avance, que la conclusion est déjà écrite, qu’elle est déjà faite, qu’elle est, en somme, tout entière contenue dans son énonciation même, ce qui la voue inéluctablement à l’échec. La roue du karma passe et roule sur elle-même à la manière d’un éternel retour du même. Et dans ce jeu de piste qui paraît faire du sur place, c’est dans les coulisses, dans l’arrière-boutique, dans la cuisine ou dans la nécessité du ménage que les choses se passent. C’est là que les enjeux les plus physiologiques s’expriment, là que se joue la vérité implacable d’une relation et dont la maison est la métaphore plus ou moins heureuse.

                Pauvre maisonnée en vérité, sujette depuis le début à la déflagration, au cataclysme, à l’inondation, à la fissure. Du septentrion au ciel lourd, propulsés en Béarn solaire et magnifique à la suite d'un incroyable concours de circonstances saisies de façon gaillarde, je  me sentais heureux et disponible pour les terres hautes pyrénéennes et de nouvelles aventures existentielles. Et pourtant, à peine débarqués sur les pentes vertes de ce sud aux parfums ibériques, il fallait  expérimenter le trou propice à la chute et au déclin ! 

                La maison est la figure matérielle, tangible d’un pacte souterrain qui lie l’un à l’autre et qui exprime une part essentielle des états du corps dont une relation est capable. La maison est une métaphore de la peau qui maintient le moi (personnel et/ ou familial) dans son orbe, une excroissance hallucinée mettant en scène les pulsions de maîtrise ou de dislocation. Ces pulsions se découvrent dans les coins, dans le relâchement, comme dans l’effort obsessionnel pour maintenir l’état de la structure.

                 Mais la véritable structure est intérieure et passablement enfouie. Il faut se coltiner la poussière, mettre le nez dans la fange, gratter l’immondice et les plaies saignantes qu’aucune pharmacopée ne soulage vraiment, pour sentir et approcher un peu la carnation de la violence primitive, celle qui ravage la psyché à partir d’une maison-mère archaïque aux improbables fondations. La chair agressée, violentée se révolte toujours devant sa possible croissance. Son refus de vivre est lié à la douleur qu’inflige toute cicatrisation. Aux orifices (bouche, oreilles, nez, yeux, etc.) qui caractérisent la vitalité d’un organisme et ses capacités d’extension, de sensation, de renouvellement et d’émerveillement s’opposent, si on peut dire, les trous multiples imposés par les violences subies, les traumatismes de l’enfance, les haines héritées, qui perforent la peau d’une angoisse sourde et d’une insécurité maladive. Les forces actives passent par les orifices, les forces réactives luttent contre la propagation des trous et l’éclatement de la surface. Création d’un côté, réaction de l’autre, ouverture et repli, extension et introversion !

         Dans cet incroyable bordel neurologique et tissulaire, l’autre fait irruption. De subtils accommodements s’organisent et se fixent. D’étranges jeux de miroir opèrent, un contrat moléculaire prend forme ou avorte définitivement à l’occasion de la rencontre.

                Du dehors, tout peut sembler lisse, intègre et parfaitement normal. L’homme et la femme dissimulent, et se dissimulent à eux-mêmes la vérité enfouie, c’est-à-dire l’énigme de leur contrat minéral. Le couple simule le couple et se recompose à chaque instant dans la farce de la simulation. Cela, tout le monde ou presque sait faire. Sauver les apparences pour se vautrer dans le confort des apparences. Tout le monde sait que le mari boit, qu’il est un alcoolique notoire, qu’il ne peut se défaire de sa compulsion pathologique, sa femme le sait aussi mais a conclu depuis toujours : « il ne se passe rien ». « Rien ne se passe. » Le tout est de ne rien dire, de ne rien faire, de laisser le silence combler le trou. Beaucoup jouent le jeu jusqu’à l’effondrement ultime qui est aussi une stratégie, un art de la dissimulation que le sujet paye au prix fort. Le bourreau devient victime, le sadique se fait masochiste et tout se résorbe en une conclusion qui ramène à l’origine ! Que s’est-il passé ? Le retour fatigué, épuisé du même ! Compulsion de répétition et force de mort.

               La fissure qui signale la présence d’un orifice est devenue le trou abject qu’il faut coudre et refermer au plus vite. Le sexe est le lieu des forces désespérément réactives lorsqu’une puissance ouverte s’abîme dans le fantasme de viol, dans la terreur et la résistance qui fait couture. Dans le secret de la couture gît l’étrange désir de propulser l’autre vers des ailleurs dont on ne veut rien savoir en général. Tout marche encore tant qu’il est possible de conclure : « il ne se passe rien », ou encore « il n’y a rien à voir ». Le drame survient lorsque le sujet découvre avec effroi que les désirs de l’autre se déploient effectivement dans d’autres réalités, nommées, identifiées, enfin objectives. Entre voir et "ça-voir" (savoir, voir ça !), se profile l'irruption du réel que rien ne peut plus recoudre pour de bon.

               Chercher le pacte secret tissé de rapports centrifuges et centripètes d'une relation est une étrange aventure. Les rapports centrifuges sont les processus d’évitement, la fuite obstinée et pathétique devant toute possibilité de rencontre, le recul, le calfeutrement de l’organisme derrière une armure, censée protéger des agressions en tout genre. Fuir le centre solaire et l’embrasement du contact et de la danse improvisée des corps-à-corps ! Maintenir vive la haine constante et rassurante, diablement solide et d’autant plus indestructible qu’elle est souterraine et inconsciente, harnachée au moi comme un moyen d’éprouver son existence dans le malheur. « Ma blessure existait avant moi, je suis né pour l’incarner. »(J. Bousquet). Certains et certaines ne vivent que par elle – la blessure- et ne jouissent que de leur malheur réitéré. Les rapports centripètes constituent autant de désirs de rencontre et de démultiplication de la puissance commune.

               C’est sous le masque du divertissement, en deçà des jeux sociaux et des rôles accumulés que se livre la nature complexe d’une configuration alchimique liant l’un à l’autre. C’est sous les draps, dans le silence  complice d'une nuit sans étoiles et sans fête que la vérité s’énonce comme une conclusion éternellement répétée. :"Il ne se passe rien". C’est dans les trous et les orifices qui traversent le corps et le font respirer ou suffoquer que s’affirment les forces de vie et les résistances à la pénétration du réel. C’est dans les fentes cousues et la sécheresse de la peau que s’épuisent l’ardeur de vivre et la transpiration salutaire censée l’accompagner.

                Décidément, la figure extatique et grandiose de l’Ossau, les rives mouvantes des Pyrénées éternelles, les amitiés naissantes, le feu d’une nouvelle esthétique, la joie de la marche retrouvée ont eu raison d’un pacte d'amour et de haine mélangés, centré depuis toujours sur sa propre inertie et ses chroniques cécités. Incendie et rougeoiement ! La maison s’est consumée sur le roc épuisé du ressentiment! Il fallait que ce bout de tissus emmêlés, ce froissement d’âmes inquiètes, ce ratage pathétique s’achèvent dans l’abîme et s’effacent au bord d’une aveuglante vérité sue depuis toujours.

                Que reste-t-il ? L’émergence d’une nouvelle liberté frottée aux possibilités infinies de la rencontre ouverte sur l'ailleurs. Est-il seulement  possible de vivre à la hauteur de ce nouveau défi et ne pas conclure comme il est tentant de le faire lorsqu’on souffre à ce point de sa propre cécité ?

 

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Commentaires
C
Cécité ? C'est cité ? On ne se bande plus que les yeux ...Je reste dubitatif sur ce point, le tableau semblant trop contrasté depuis longtemps.<br /> Que reste t-il ? le meilleur, à savoir le champ infini des possibles ...
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D
Merci Cédric pour ce mot qui résonne avec tant de justesse : "on ne choisit pas le moment où on sait".
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C
C'est beau.<br /> <br /> Si sans attentes, et sans attendre, on pouvait se voir comme on est, voir l'autre comme il est, tout serait simple et facile : Il n'y aurait pas besoin du temps de la mascarade.<br /> <br /> Mais on ne choisit pas ses aptitudes à voir ni le temps nécessaire pour que nos yeux voient enfin la réalité de nos êtres.<br /> <br /> Tout se passe à notre insu car on ne choisit pas le moment où on sait.
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