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DEMOCRITE, atomiste dérouté
15 août 2015

L'horreur silencieuse.

 

      A quoi donc mène le philosopher ? Au creusement de la féconde intuition qui démet la philosophie de sa prétention historique et de ses chimères. Au centre de toute authentique pensée philosophique se trouve l'irrépressible trou de l'infortune, l'ombre du chaos qui destitue la vérité et démasque sa chronique cécité. "Tout ça pour ça !" suis-je tenté de dire. Celui qui découvre en lui-même comme au coeur de toutes choses, la faille, l'abîme et l'insignifiance se demande pourquoi les hommes passent leur ridicule existence à s'affronter, à se battre, à se détruire au nom de thèses qui ne sont que des jeux de dupe, des illusions, des doubles qu'ils agitent en lieu et place du réel. En cela la philosophie comme représentation rejoint la cohorte des "emposteurs", de ceux qui gesticulent plus gravement encore dans la guerre, dans les enjeux politiques, pour le pouvoir, la réussite sociale et les luttes. Tout ce cirque humain ne vaut que pour la consistance hallucinée qu'il présentifie en assurant avantageusement l'effacement de la vacuité.

      Qu'un homme se fasse exploser après avoir détruit des vies, que d'autres gémissent sur la folie de celui-là au nom des valeurs universelles, tout cela se désagrège dans l'infernal oubli, dans le néant d'une temporalité sans mémoire. C'est pourquoi la proclamation, l'affirmation de ce qui est censé valoir exprime d'abord une plainte devant le réel dont on sent péniblement l'implacable morsure. D'autres modalités de la plainte se dissimulent dans le besoin de justice, d'équité et de réparation, dans l'argumentaire rationnel qui exige le paiement de la dette pour se donner l'espoir d'une cicatrisation. Mais l'essentiel se joue dans un tumulte qui n'a que faire de la raison et de son ordre. Le réel est sourd, définitivement sourd. La pensée se perd et s'épuise dans l'absurdité de sa revendication bavarde. 

       Restent la douleur et la peine, l'insondable énigme du vivre et la palpitation souterraine de l'im-monde, du désordre perpétuel qui affleure péniblement à la conscience. Il n'y a pas de consolation possible. Les idéologies, les dogmes, les religions, les projets politiques et la plupart des philosophies se rejoignent dans l'obsession du sens auquel tous sacrifient avec la meilleure donc la pire des volontés. Comment supporter l'horreur silencieuse ?

     L'oeuvre du philosophe débute et s'achève avec l'éclatante vérité de l'impermanence universelle dans laquelle nous nous mouvons comme des insectes. Une fois l'intuition découverte en soi, que reste-t-il ?  Rien. Rien qu'une pensée aphasique, un désir déployé dans l'Ouvert, sans conviction, un art minuscule, une modalité singulière et pauvre du vivre, entre sieste longue et contemplation, une esthétique indomptable et ensauvagée nourrie des forces incalculables de l'infini qui nous dépossède de nos prétentions et de nous-mêmes. 

 

 

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Commentaires
D
Il me semble, cher Dilettante, que le "philosophe" est en retard sur le plan de la pensée sitôt que la pensée est devenue une fin. Sans retour sur le régime de forces qui fait penser, on n'en sort pas, on tourne en rond et on se perd dans des gesticulations abstraites : pour reprendre en le transformant ce mot de Pascal, "la vraie philosophie se moque de la philosophie".
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D
J'ai mis bien du temps à croire comprendre cela, alors que bien d'autres silencieux (et dont le silence m'apparaissait de la faiblesse) vivaient déjà l'expérience du désaisissement. J'ai parfois l'impression que ce sont "nous", les philosophes, qui sont en retard sur le plan de la pensée...
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C
humainEs ( paroles humaines si imparfaites ;-) )
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C
La vie est convaincue d'être de la vie, je ne parle pas d'une autre conviction.<br /> <br /> <br /> <br /> C'est la l'ultime conviction : ne rien attendre, juste être.<br /> <br /> <br /> <br /> La volonté, la force de la vie, c'est d'être de la vie.<br /> <br /> <br /> <br /> Avoir la volonté d'être de la volonté, c'est se tromper, la volonté ne se construit pas, elle Est. Je suis convaincu d'être de la volonté, voilà ma seule conviction.<br /> <br /> <br /> <br /> J'entends la vie en moi être convaincu d'être de la vie, voilà tout ce que j'entends.<br /> <br /> <br /> <br /> Et ce son, de par sa puissance, recouvre toutes les paroles humains, y compris les miennes.
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D
Quelle conviction opposer au réel ? Quels arguments ? Le régime de la dépossession découvert par la philosophie tragique ne relève plus de la conviction sauf dans le rapport aux "emposteurs", aux idéologues qui tentent coûte que coûte d'imposer leur dogme et leurs représentations. Le tragique est une arme de destruction massive, un processus de décontamination, de libération. La seule conviction possible revient à mettre le feu à toutes convictions dans un scepticisme radical, à jeter l'Idée dans le brasier de l'inexplicable. Là, il n'y a plus de combat ni de victoire à remporter.<br /> <br /> Ne pas sombrer, ne pas chuter dans l'abîme et vivre mains ouvertes est un "défi dé-philosophique". Si "le sage diminue tous les jours" (Lao Tseu) c'est pour laisser la place à l'intensité qualitative de la vie, bien loin de la tentation bavarde de la représentation, bien en deçà de toute conviction.
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G
Que reste-t-il? Lucrèce l' a bien nommé avant nous : "non plus quam minimum"
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M
La question du sens d’être du VIVRE, c'est-à-dire finalement de l’essence de la vie apparaît à vous lire cher Démocrite, comme une forme aigüe de pathologie incurable. Bien envoyé !<br /> <br /> Pourtant, d’aucuns diront à ce sujet : « n’est ce pas là notre modalité originaire, naturelle d’être-au-monde ? » On pourrait le penser et l’affaire serait réglée, n’en parlons plus, simple non ! Voilà, à coup sûr quelques sottises d’esprits grégaires, indélicats, trop pollués par la fast-thinking, la non pensée, le fameux « moi, je pense personnellement comme les autres » ou dans un autre registre, « philosopher c’est connaître la vérité. » ? Tordant non ? Ne comptez pas sur moi pour encourager ce type d’imposture ! Plus sérieusement, voyez plutôt.<br /> <br /> Le mode propre du philosopher ne se joue t-il pas dans cette sorte de trouble de la vision qui sous-tend deux images celle de l’ob-jet d’étude et simultanément celle du retournement sur sa propre possibilité comme questionnabilité ? <br /> <br /> Il s’agit non pas d’explorer la connaissance mais le geste qui institue son avoir à être. Dans cette expérience singulière, l’objet intra-mondain s’efface pour laisser place à mon propre surgissement. Là, je m’expose à moi-même et me risque terriblement, car c’est alors qu’apparaît cette sensation étrange d’insignifiance éprouvée devant cette nullité de l’étant. Immotivée, insatisfaite par la connaissance passive des choses où l’objectitité n’est plus, l’épreuve de cette néantisation dessine alors un nouvel espace, elle ouvre sur la béance qui borde le monde : véritable berceau et creuset de ma liberté. Déterritorialisation du soi dans l’exil de l’OUVERT, agencement de l’entre deux visible et non visible : la vie mise à nu en somme…<br /> <br /> <br /> <br /> Merci à Démocrite pour cette très belle inspiration.
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C
Très juste.<br /> <br /> <br /> <br /> J'ajoute néanmoins au "rien" réponse à la question posée au dernier paragraphe : "donc, tout".<br /> <br /> <br /> <br /> Et il y a ce "sans conviction" qui ne me parle pas trop, je dirai plutôt le contraire, l'intuition, la vision, la certitude du "rien" est générateur d'une formidable conviction, conviction de vie, car se sachant la vie.<br /> <br /> <br /> <br /> ( Au premier paragr. "A centre de la pensée..." manque un 'u' )<br /> <br /> <br /> <br /> Au plaisir !<br /> <br /> <br /> <br /> A B.C. > Le mot "réconfort" ne renvoie-t-il pas encore et toujours à cet instinct grégaire ? Pourquoi avoir besoin de réconfort ? L'homme qui n'a pas peur du néant n'a pas besoin de réconfort...<br /> <br /> <br /> <br /> Bien à vous.
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B
Quel réconfort de lire un texte aussi juste et éclairé ! Ne pas se savoir seuls à penser ainsi. <br /> <br /> Merci Didier pour ce partage.
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T
lecture ! je ne peux même pas "tout sélectionner" et ce blanc est vraiment trop pâle sur la profondeur du noir de la nuit, même si cela illustre bien le propos de l'inanité de chercher du sens à l'impermanence. Vous m'arrangeriez bien d'adopter ainsi que Guy Karl le webradio...<br /> <br /> Avec toute ma sympathie renouvelée !
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