Abandon atmosphérique
N'étant guère disposé ces derniers temps à l'élaboration philosophique et à l'écriture, ce qui n'est pas sans m'attrister quelque peu, je vis et j'éprouve de grandes intensités photographiques en confiant mon sort aux aléas météoriques. Quelque chose travaille, quelque chose oeuvre dans les coulisses moléculaires, dans le silence asymétrique des organes que l'expérience optique régénère stimule et enrichit.
Depuis bien longtemps, la nature m'enseigne son incroyable créativité, sa puissance indifférente au surgissement, le fait toujours surprenant qu'il y a plus dans l'effet observable que dans les causes qui le rendent possible. Cet écart qu'en atomiste dérouté il faut bien appeler "des propriétés émergentes" donne toujours raison à une sorte de vision matérialiste dépoussiérée de son référent - la matière - et qui tente de rendre compte du supérieur par l'inférieur.
Pour l'heure, que m'importe l'explication et d'ailleurs, il n'y a rien à expliquer. Ce coucher de soleil vécu sur le Soum de Lèche non loin du col de la Pierre St Martin fut une sorte de réveil à la beauté cosmique, une gifle infligée à ma tendance naturelle à la paresse et au repli. J'ai couru comme un exalté dans la pente, j'ai pressenti la vigueur sauvage et indomptable d'une alchimie crépusculaire de grande ampleur.
Hurler et se taire tout à la fois comme pour coïncider avec la beauté tragique de ce passage, de ce déclin, de cet embrasement, qui, à l'image de la vie, se réfugie dans une nuit sans retour ! La gratuité de ce moment a quelque chose d'incroyablement insignifiant et cependant de tellement fort. Ce crépuscule est aussi une aurore, une pulsation, un vertige devant l'insondable origine des mondes. La création est l'autre nom pour dire ce qui se détruit. Seul le regard dans sa tendance intentionnelle préfère aborder l'expérience par le début ou par la fin. Mais l'un revient à l'autre car l'aurore et le crépuscule sont une seule et même chose.
Fin d'un Monde à San Sébastian