Valeur métaphysique des vacances
Les vacances se définissent étymologiquement comme une expérience de la vacuité, c'est-à-dire d'une forme particulière de vide qui n'est pas le néant. Rien ne ressemble moins à une pratique de ce genre que celle du vacancier affairé, absorbé tout entier dans l'activisme bruyant et saturé dont le tourisme de masse constitue le triste et pathétique parangon.
J'éprouve la vacance depuis longtemps lorsque, me libérant des pesanteurs d'en-bas, je rencontre les puissances mobiles de la terre, les forces insolites du ciel et le jeu mouvant des nimbes fantasques. Cette expérience me fait accéder à la conscience de l'in-humain ou plutôt du "hors-monde", car là haut, sur la cime de la divinité sans visage, les éléments se chargent de défaire toutes les catégories ordinaires de la pensée, de dissoudre tout désir d'emprise ou de conquête, de "Gloire" funeste et de réussite.
Une part essentielle de mon corps entre en résonance avec la vibration des éléments et rien n'existe alors que ce "il y a" qui n'est rien de particulier, rien de saisissable mais qui pourtant est le Tout de la réalité. La vacuité est cette intuition de la rencontre des forces évanescentes qui font corps. Partout où des forces se croisent, se combinent, se heurtent, se mélangent, partout, naissent des corps. Là-haut, au sommet du Jaüt, mon Frère, tout là-haut, s'efface la civilisation, recouverte d'un océan, d'un fluide chargé de rendre vaquante toute cartographie, toute intention signifiante. La beauté des jeux de lumière est l'expression de la richesse des forces qui s'affrontent indéfiniment et sans bruit.
C'est plus qu'un paysage que l'expérience délivre, c'est la conscience d'assister, ahuri, à l'irréductible étrangeté du réel et de sentir que d'une manière ou d'une autre, son propre corps y participe depuis toujours. Une joie sans cause assignable peut naître alors, une joie irrationnelle et tragique surgissant du fond sans fond de son imposture métaphysique, de cette incompréhensible présence dans ce quelque chose d'insaisissable qui est le réel pur et dont on se découvre le témoin virginal.
La véritable vacance est une retraite du point de vue des activités mondaines et un retour à l'originaire d'un point de vue métaphysique. Ne soyons pas dupes que ce "retour" n'est qu'apparent. C'est que nous n'avons jamais quitté la vacance du réel même lorsque par un tour de passe-passe, nous faisons comme si nos représentations constituaient un monde et nous permettaient de partir en vacances. La grande traversée de la mer de nuage, la chute de l'astre majeur vers un indicible occident, l'approche irrésistible d'une nuit nouvelle percée d'étoiles vagabondes me rappellent cette vérité généralement inaperçue : quoique nous fassions, où que nous allions, nous sommes et nous serons toujours en vacances.