Un diplôme de docilité
Les résultats du "bac-à-lauréats", comme l'a joliment écrit un candidat dans une copie, viennent de tomber et déjà près de 80% des élèves ont franchi l'obstacle sans avoir à passer le second tour. Je note combien le cynisme institutionnel porté à son comble permet désormais à des jeunes gens ne sachant ni lire un texte, ni écrire, ni penser, de s'engager dans des voies universitaires sans autre bagage qu'une réactivité psychique fondée sur l'immédiateté et privée de structure symbolique efficiente.
Bien sûr, tout le monde est content : les élèves pleurent de joie, les parents félicitent leur progéniture, certains profs se satisfont de leur performance, les lycées rivalisent avec des taux qui oscillent entre 90 et 100% et le ministère se réjouit des progrès de ces générations qui obtiennent davantage le diplôme que leurs ainés. Tout va bien !
Une de mes classes, une série littéraire (sic), a terminé son année avec une moyenne générale de 6.5 en histoire/géographie, 7.2 en philosophie et de 7.8 en littérature (cela représente coefficient 15 à l’examen), autant dire un échec dés le premier tour. Et bien non ! Ils s'en sont très bien sortis avec des résultats pour certains se hissant entre 13 et 17/20 en philosophie alors que ces élèves, fort sympathiques par ailleurs, évoluaient dans les moyennes mentionnées précédemment toute l'année. De quoi rire jaune quand on connaît les capacités réelles de ces jeunes gens qui ne lisent rien, qui n'écrivent pas, qui n'étudient pas et qui n'ont aucun profil littéraire. Ces résultats viennent de nous prouver le contraire ! Finalement, tout va bien !
Il faut dire que jamais la pression ministérielle n'aura été aussi forte pour remonter les notes, en faisant pression sur les correcteurs, en créant des tableaux des moyennes permettant d'identifier et de ficher les collègues notant « sèchement », en menaçant les récalcitrants de stages de normalisation (certains collègues de Lettres notamment sont convoqués dans les centres académiques lorsqu'ils n'obtiennent pas les notes conformes aux moyennes exigées, quels que soient les paquets et le niveau réel des « productions » tout en devant se justifier alors qu’ils ne disposent plus des copies !). Comme je l'ai déjà pointé, il s'agit d'harmoniser toujours...vers le haut ! Tout va bien !
Bref, tout cela est d'un cynisme répugnant au service d'une veulerie généralisée consistant à flatter la jeunesse, à la louer (de quoi a-t-on peur ?) pour des aptitudes qu’elle ne possède pas (inculture politique, absence d’outils critiques, faillite du symbolique, crise sans précédent de l’élémentarité, crise de la transmission et de l’autorité). Mais le pire, c’est que ce cynisme institutionnel encourage le cynisme des professeurs et des établissements qui finissent immanquablement par jouer ce triste jeu.
Le baccalauréat est le symptôme d’un asservissement collectif complaisant, un diplôme national de domesticité exigeant la docilité des maîtres comme des élèves. Les uns acceptent bon an mal an cette ineptie en perdant tout sens critique et entretiennent la farce ; les autres intériorisent les contraintes du temps scolaire, l'ennui catastrophique d'une formation inadaptée en échange de quoi ils reçoivent leur récompense.
Je plains de tout cœur les collègues du supérieur obligés de réintroduire la dictée et le calcul mental sur les bancs de la Sorbonne et des universités scientifiques ! Et je plains aussi ces lycéens trompés sur la marchandise reçue : un cadeau empoisonné au service des aliénations futures les plus redoutables ! Tout va bien !