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DEMOCRITE, atomiste dérouté
18 octobre 2012

De la méthodologie philosophique

Il n'est plus aujourd'hui envisageable, dans aucune classe de terminale, de proposer, sans la moindre méthodologie préalable, un sujet de dissertation de philosophie. Ce serait un scandale adressé à l'incompétence évidente des élèves, condamnés à récolter une note trop basse, narcissiquement intolérable, fondamentalement injuste voire sadique. Assez vite dans ma carrière, j'ai dû abandonner l'idée de débuter l'année de cette manière alors que la coutume voulait que l'esprit de l'élève s'éveille à la philosophie face à une question ouverte, une vraie question - rompant ainsi toutes les habitudes prises jusque-là dans les autres matières.

La dissertation de philosophie, censée exprimer un acte réflexif autonome, se soumet au diktat des procédures, des recettes, des fiches méthodologiques, du désormais célèbre "apprendre à apprendre", ce symptôme du pédagogisme actuel, retardant immanquablement l'effort à produire pour la circonstance. Et il n'est pas sûr que l'angoisse de la pensée face à l'épreuve se dissipe pour autant.

Jamais dans mon parcours pourtant morose et affligé de lycéen, je n'ai eu de méthode pour la dissertation ; pas plus d'ailleurs au lycée qu'à l'université. Nous étions tous jetés dans la même galère et il nous fallait affronter la page blanche et le sujet avec pour seuls outils, "le bon sens c'est-à-dire la raison" (pour parler comme Descartes) et nos éventuels apprentissages (thèses, concepts, lectures etc.). Bien sur, nous savions alors qu'une dissertation s'organisait formellement en trois parties si possible avec introduction et conclusion. Nous savions qu'il fallait problématiser le sujet même si nous étions plus ou moins incapables d'effectuer l'opération. Et nous sentions, au moment des devoirs préparatoires, que nous devions affronter  seuls la question sans aucune possibilité de s'y soustraire.

J'eusse aimé, à l'époque, que ma professeure de terminale consacrât quelques heures à la lecture méthodique des sujets car elle contient, dans sa dynamique propre, quelque chose de l'esprit philosophique, détaché de l'exigence rentable de la réponse au profit d'une féconde ignorance qui rend possible l'élaboration et le déploiement d'une pensée critique. Mais, nous dûmes nous débrouiller et comprendre par nous-mêmes la véritable nature du questionnement. Il y avait là une maïeutique silencieuse devant impliquer chacun d'entre nous dans  le sujet devenu nôtre. Nous avions à nous coltiner notre ignorance ! Posture socratique oblige !

Aujourd'hui, j'invite les élèves à de multiples reprises à déchiffrer les sujets, examiner les présupposés, à repérer l'opinion commune, les oppositions entre notions, les contradictions apparentes, à formuler le paradoxe, construire l'introduction etc. Jamais, autant de temps n'a été consacré par les collègues et moi-même à la méthodologie philosophique avec le triste constat d'un désintérêt évident de la part des élèves pour ce type d'exercices, même lorsqu'il s'agit de corriger leurs erreurs. La méthode les démotive et les accable. Les corrections de devoir sont considérées comme une perte de temps pour l'écrasante majorité d'entre eux. L'exercice est trop difficile sur la forme comme sur le fond et je ne les en blâme pas. Comment un être connecté en moyenne 5 heures par jour à une machine technologique servant de cordon ombilical peut-il seulement affronter la solitude de la pensée et se donner autant de temps, un temps si peu rentable à  identifier, élaborer et tenter de résoudre des problèmes existentiels ou métaphysiques ?  

Les exigences d'hier que nous avons affrontées sont désormais perçues comme inaccessibles au commun et même comme paralysantes. Que reste-t-il ? La note ! La note et la triste focalisation libidinale qu'elle implique  trouvent une signification dans les transactions avec les parents et le système scolaire obnubilés par le chiffre et le classement. Mais que la note ne signifie rien n'a aucune importance ! La norme est le seul critère, non la pensée ou le désir de savoir désagrégé(e) dans les mirages contemporains. On comprend pourquoi la méthodologie est investie au début par tous les "apprenants" d'un pouvoir magique devant délivrer dans une recette économique et efficace les trucs pour la dissertation. Par là, chacun croit pouvoir s'épargner tout risque dans un face à soi cruellement dénudé. Le pédagogisme méthodologique vient jouer le rôle provisoire de cache-misère narcissique, mais son effet hypnotique ne dure pas très longtemps. La note, avec son implacable tranchant, vient rappeler à chacun à quelle affligeante moralisation doit se soumettre son intelligence mutilée.

Evidemment, il n'y a pas de recette philosophique car la méthode ne peut qu'accompagner le risque de penser dans une forme de lâcher-prise inaugural qui rend possible une lecture distanciée et impliquée de la question (paradoxe difficile à résoudre). Aussi faut-il admettre que l'allergie rapidement éprouvée vis-à-vis de la méthodologie philosophique comme vis-à-vis de toute correction est la même que celle qu'on voue à l'effort critique. Dés lors, loin de régler le problème de l'angoisse de la page blanche et de la construction de la dissertation, le pédagogisme méthodologique auquel il convient de sacrifier ne fait que différer l'implication exigée par l'épreuve. Pire, elle la décourage dans l'insupportable découverte que décidément rien ni personne ne peut penser à ma place.

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Commentaires
D
Nous n'avons pas, vous et moi, perdu notre temps. Merci à vous pour cet échange inattendu.<br /> <br /> Bien amicalement
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C
Merci pour votre ouverture d'esprit et pour votre accueil renouvelé. J'apprécie que vous voyiez au-delà de mes petites malices et provocations. <br /> <br /> <br /> <br /> J'apprécie tous nos échanges. J'y suis attentif, je m'observe agir et j'observe les réactions de l'autre. Et j'apprends beaucoup de tout cela. Je me contente d'être ce que je suis dans l'instant, mais j'évolue et évoluerai encore dans mes façons de me comporter et d'être.<br /> <br /> <br /> <br /> Je ne m'explique pas encore totalement cette manie que j'ai de me faire "correcteur", un moyen d'établir un contact?, un moyen de provoquer l'"ego" de l'autre?, un moyen tout simplement de débarrasser de quelques coquilles des mots que je trouve beaux? tout cela à la fois? ou autre chose encore? <br /> <br /> <br /> <br /> Je sais que j'ai encore tout à apprendre, et dans mon rapport aux autres, et dans ce que je ferai concrètement de ma vie, j'ai même cette intuition que dans quelques années quand je regarderai en arrière mes comportements d'aujourd'hui je me dirai :" quel petit con j'étais ! " ;-)<br /> <br /> <br /> <br /> Bref, merci, par vos mots, votre ouverture, votre partage, de me permettre de m'apprendre.
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D
Cher Cédric, <br /> <br /> <br /> <br /> je commence à vous connaître un peu et à vous re-connaître aussi. Ne prenez pas ombrage quant à ma remarque. Disons que nous jouons un peu tous les deux. Vous aimez à votre manière "donner des leçons" , non pas des leçons de morale pédante mais plutôt dans le "style assez inimitable" que vous affirmez tout en soutenant ce que vous appelez la vérité que vous voyez. Peut-être y a-t-il en vous et même malgré vous, un professeur contrarié voire ignoré. Je me promène de temps en temps sur votre blog qui reste dans mes favoris et je m'y amuse bien souvent avec vos propositions étranges et drôles.<br /> <br /> Vous êtes évidemment le bienvenu ici et votre malice, j'en suis sûr, peut s'exercer d'une manière plus inventive, comme dans la suite de votre message.<br /> <br /> Sur le fond, c'est ce qui m'importe, j'avoue n'avoir jamais communiqué avec un cerveau et même n'en avoir jamais vu. Il en va de même pour l'être humain, je ne suis pas certain de savoir ce que cette expression recouvre et signifie.<br /> <br /> Comme vous, la vérité m'importe et si, j'accorde sans doute un peu plus de crédit que vous aux mots des autres, ils ne pensent pas pour moi pour autant.
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C
Il semblerait que vous n'ayez pas vu l'esprit léger avec lequel je vous signalais cette petite coquille qui était, en effet, totalement insignifiante. Je note que vous avez mal pris cette petite remarque qui ne se voulait que malicieuse. Soit.<br /> <br /> <br /> <br /> Quant au fond, c'est-à-dire à vos P.-S. : Tout ce qui m'intéresse, c'est la vérité. Je n'ai aucun schéma ou modèle ou base ou structure ou image préétablie sur laquelle la "vérité" devrait se calquer. Je n'écris que depuis moi, depuis ce que je vois, comprends et découvre. Ce qu'a pu dire ou affirmer toute l'humanité avant moi par ses plus "illustres" représentants, ne sont que des mots auxquels je n'accorde aucune foi.<br /> <br /> <br /> <br /> Et si la vérité c'est que nous sommes notre cerveau (plus que d'en disposer en effet, nous le sommes) et que tout dépend de celui-ci, eh bien je l'exprimerai ainsi, que cela plaise ou non à celui qui lit ce que j'écris. ( Si je ne suis pas le bienvenu à exprimer cela sur votre blog, n'hésitez pas à m'en faire part, je m'abstiendrais alors de commenter ici. Mon but ne sera jamais d'importuner ceux chez qui je commente.)<br /> <br /> <br /> <br /> Et si cela veut dire que certains cerveaux sont tout simplement "inaptes" à voir ce que d'autres voient, et bien rien ne m'empêchera de l'exprimer si c'est ce que je vois comme étant la vérité. <br /> <br /> <br /> <br /> Plus encore que "tout dépend de notre cerveau", je dis : "tout EST notre cerveau". Et TOUS les problèmes sont des constructions de notre cerveau, c'est-à-dire de nous-même. Sans le cerveau, il n'existe aucun problème.<br /> <br /> <br /> <br /> Je n'ai aucun désir de faire évoluer les cerveaux des autres, ils sont ce qu'ils sont, je les accepte tels qu'ils sont, je n'aurai jamais la prétention de les juger "moins bons" ou "moins importants" ou ayant "moins de valeur" que le mien. Il existe simplement des aptitudes différentes, et des visions du monde toutes différentes, je ne pose là-dessus aucun jugement, ce n'est ni bien ni mal. Je ne noterai jamais aucun cerveau ni aucun "travail" fourni par un cerveau (je n'aurai jamais l'âme d'un prof que ce soit de philosophie ou autre). Et mon but ne sera jamais de "changer les cerveaux" d'une façon ou d'une autre, car ce serait les considérer comme "devant être changés". Or je n'ai aucun modèle, aucune image de ce que devrait être un cerveau, donc un être humain.<br /> <br /> <br /> <br /> Bref, voilà ce que je vois.<br /> <br /> <br /> <br /> Encore une fois, si je ne suis plus le bienvenu ici, dites-le moi. Je ne partage des mots que par plaisir, et pas pour imposer quoi que ce soit et surtout pas pour ennuyer mes interlocuteurs. :-)<br /> <br /> <br /> <br /> Sincèrement.
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D
De même, cher Cédric, cette focalisation récurrente et quasi obsessionnelle de votre part et ce besoin systématique de signaler une erreur aussi patente et significative que celle-là expriment un conditionnement neuronal dont vous ne parvenez décidément pas à vous déprendre. Rien ne change décidément !<br /> <br /> PS : on ne dispose pas de son cerveau.<br /> <br /> PS2 : il n'y a rien de pire sur le plan de la pensée que le "tout dépendra toujours ou tout dépend" ; cette formule est aussi creuse "qu'apprendre à apprendre" car elle interdit toute aptitude à dégager un problème ; ça dépendra toujours, n'est-ce pas ; donc il n'y a plus de problème !<br /> <br /> <br /> <br /> Bien à vous.
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C
Bonjour cher Démocrite,<br /> <br /> <br /> <br /> "Apprendre à apprendre" à mes oreilles sonne comme une expression des plus absurdes : Apprendre ne s'apprend pas.<br /> <br /> <br /> <br /> Tout dépend du cerveau dont on dispose et de l'environnement qui le voit plus ou moins s'épanouir.<br /> <br /> <br /> <br /> Par exemple, je pourrais vous dire mille fois que "dès lors" ne s'écrit pas "dés lors", tout dépendra toujours de votre cerveau et de son aptitude à se défaire de l'habitude d'écrire "dés lors". ;-)<br /> <br /> <br /> <br /> Bien à vous.
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