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DEMOCRITE, atomiste dérouté
5 juillet 2021

Supporter l'insupportable

    Lorsque le songe de la vie se défait devant l'inexorable révélation du tragique, lorsque, sous les coups de boutoir de la vérité, le trou irréversible du néant se creuse dans la conscience et la représentation, lorsqu'enfin le voile se déchire, je peux mesurer mon propre courage, ma propre détermination à poursuivre le chemin insignifiant de l'existence.

     Où donc est passée mon enfance, où sont mes joies et mes peines teintées de ces désirs d'illimitation qui me donnaient le sentiment victorieux d'une confiance résolue dans le vivre ? J'étais assurément un autre : une tête blonde pleine de rêves, de velléités chevaleresques, de séduction et d'amours à peine froissées, de conquêtes en tout genre, de toute puissance et d'audace. Je trainais ma part d'ombre dans mes angoisses, la nuit, lorsque, livré à la méditation dont j'étais alors capable avant de m'endormir, je pressentais la pointe fulgurante, la morsure d'un réel silencieux que je ne savais nommer et qui me donnait la juste impression que ce monde était trop grand pour moi. Bien vite, les nains de la montagne, les forêts enchantées de l'Alsace, les colombages de la maison de ma Grand-Mère, le jardin peuplé d'arbres fruitiers, les personnages vivants de mes mythologies avaient raison de mes frayeurs et m'emplissaient d'une confiance nouvelle. 

     "Le soleil est nouveau tous les jours" comme le dit Héraclite. Il en faut du temps, de la maturation et de l'arrachement à ses conditionnements initiaux pour apercevoir la force inégalable de cet aphorisme, la sagesse contenue dans cette évidence que le sens commun énonce sous une forme apparentée : "demain est un autre jour". Comment le savons-nous nous qui croyons dur comme fer en la persistance des choses, en la continuité assurée de nos rêves, de nos espoirs et de notre être ? Suis-je seulement certain de me lever demain ? Et qui me dit que je serai encore là pour éprouver dans ma chair la nouvelle aurore annoncée ? Mon angoisse d'enfant était une angoisse de mort, le trait du réel perçant la carapace de mes fantasmagories et chuchotant à mon oreille le chant inaudible de l'incertain. Car si le soleil est nouveau, ce n'est donc plus le soleil d'hier que je vois et qui m'inonde de sa douceur matutinale. Le monde d'avant a disparu, tout s'est désagrégé dans la nuit et tout s'est re-constitué dans une alchimie qui emporte ma certitude et mon âme et qui emporte aussi ma croyance en l'unité et le chemin qu'il me semble emprunter chaque jour. 

    Mes mirages d'enfant sont nouveaux tous les jours ; chaque matin, ils renaissent lorsque mes yeux s'ouvrent et que mon esprit tente de se glisser au milieu des choses ; chaque matin la pluie me rappelle à la pluie et le chant saccadé de la mésange me fait communier avec le chant saccadé de toutes les mésanges inscrites dans ma mémoire.

     Le soleil est nouveau tous les jours, oui, mais je suis incapable de le voir, de le sentir et de le vivre. Je le sais, voilà tout! Je ne fais que le savoir parce que j'ai vieilli et que mes rêves d'enfant se sont épuisés sur le roc du réel. La nouveauté ne m'apparaît que lorsque j'éprouve la fatigue de mes songes et que la tempête abandonne mon esprit à la seule raison. Quel est donc ce courage devant le tragique, quelle est cette détermination, sinon le désir inavoué de rêver encore et de supporter l'insupportable ?

 

 

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Commentaires
X
Il faudrait surtout penser à ne pas porter comme un chameau les idées des autres. " Le soleil est nouveau tous les jours " dit Héraclite. Ah bon ? ce n'est pas mon impression. <br /> <br /> Seul lui devait comprendre ce qu'il disait, à mon humble avis, et j'ai encore suffisamment d'ordre à mettre dans mon propre esprit pour arriver à sonder celui des autres, voila une tâche impossible et qui va surtout m'éloigner de moi-même. <br /> <br /> Tous ces philosophes doivent donc être abandonné et ne sont que des poids morts que nous portons inutilement. C'est seulement à partir de la que je puis être moi même, découvrir les choses qui m'intéressent vraiment et aller vers la santé. <br /> <br /> Les vrais sages n'enseignent rien, ils ne disent pas comment est le monde ou ce qu'il faut faire car il savent que les enseignements des autres sont des prisons mentales et que chacun doit trouver ses propres vérités.
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D
"La philosophie" ne veut rien dire ; elle ne veut d'ailleurs rien. Aussi n'a-t-elle pas à faire l'économie de quoi que ce soit. Qui peut dire ce qu'est "la philosophie" et qui peut prétendre parler pour cette "idole" sans se perdre dans une fiction ?<br /> <br /> La seule question qui importe est de savoir dans quelles mesures la recherche scientifique qui ne propose que des modèles - donc des descriptions des choses - rend possible un geste philosophique. Or, il manquera toujours à la science une articulation au "tout de la réalité".
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O
Nous n'étions pas seulement morts, d'après moi, puisque pour que mort il y ait il eut fallu qu'il y ait vie. En quelque sorte nous étions moins que morts.<br /> <br /> Pour le reste les physiciens vous diront que cela fut et que même, dotés de télescopes spatiaux, voici que nous remontons le temps vers ce point originel. Que ce "truc"- comment l'appeler autrement ? - en soit arrivé à Mozart, De Vinci ou Einstein ne manquera jamais de me faire réfléchir. D'où un intérêt amateur mais passionné pour les délires de la mécanique quantique qui nous montre un réel infiniment plus ductile, complexe, libre et paradoxal que tout ce que nous aurions pu imaginer dans nos fantaisies les plus exaltées...La philosophie peut-elle décemment faire l'économie de la science ? A titre personnel, je ne le crois pas.
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D
Ce temps évoqué, ces hypothèses scientifiques nous concernent-ils ? Pour ma part, la mort implique du vivre. Si l'hypothèse proposée est exacte, ce qui est invérifiable, il ne s'agissait en rien de la mort mais de structures inertes. Aussi, se demander ce qu'on était en ce temps n'a n'a guère de sens...
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O
"Que le soleil se lèvera demain est une hypothèse" (Pascal je crois)<br /> <br /> <br /> <br /> Je me dis ceci : Il y a 13 milliards d'années, une masse infiniment petite, infiniment dense et infiniment chaude était tout ce qu'il y avait. Un atome y aurait été de la taille d'un cosmos. A cet instant, tout l'univers était un vide gobé par un trou noir. Il n'y avait pas de place pour la moindre molécule - qui eut été un univers. Moins encore pour quelque structure que ce soit, pas même de temps, et donc pas même d'espace.<br /> <br /> 13 milliards d'années plus tard, le quidam que je suis est là, à lire vos récits, à comprendre vos réflexions, à rebondir sur ce qu'elles lui inspirent.<br /> <br /> J'étais alors plus que mort. la forme, le mouvement, la distance et le temps se chiffraient en zéros. Et maintenant, je suis vivant. Donc il y a une vie après la mort.<br /> <br /> Ce qui est possible une fois l'est une seconde, ce qui l'est deux...<br /> <br /> Non pas là pour vous convaincre, mais dans l'espoir de nourrir quelque chose.<br /> <br /> Bonsoir.
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D
Merci, Igor et Cédric pour vos deux excellentes remarques, je les approuve sans réserve et j'aime beaucoup "la beauté du langage aussi léger qu'un voile se posant sur la réalité". On ne saurait mieux dire.
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I
Je ne parlais pas de libération. Je relevais simplement qu’ acquérir une extra lucidité désembuait la vision étriquée du monde et pouvait alors conduire l’homme vers les chemins de la création….
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D
Je ne prétends pas, mon cher Igor, libérer l'homme de quoi que ce soit ; je ne prétends pas plus me libérer de quoi que ce soit. Seule une attention à ce qui, momentanément, fait irruption dans le geste d'écriture peut faire oeuvre. La virginité de la création est une forme étrange de dépossession lorsque cesse toute volonté d'emprise et qu'un cri organique traverse l'écorce de l'habitude. De fait, la question du sujet, du moi, du je, comme le souligne Cédric, me paraît juste mais encore insuffisante car à un niveau plus souterrain, le moi et le non-moi ne rendent plus compte de rien. C'est hors langage que les processus opèrent, loin de ce "je devenant à chaque instant quelqu'un d'autre".<br /> <br /> Que voyons-nous, chère Sibylle, en vérité, sinon nos rêves persistants ?
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S
"Parfois, tandis qu'il s'abandonnait à la contemplation désespérée de ce monde de folie et d'épouvante, une joie s'était mise à fleurir tout à coup… l'envie de chanter une belle chanson ou de dessiner, ou bien sentant une fleur, en jouant avec un chat, l'accord enfantin avec la vie s'était rétabli. Jusqu’a l'heure ou réapparaîtraient la tristesse, la méditation vaine, la tendresse poignante, désespérée, l'horreur de la vie indifférente, de l'insensibilité, de la cochonnerie des hommes qui écarquillent les yeux sans rien voir."(Narcisse et Goldmund - Hermann Hesse). <br /> <br /> Votre lucidité vous honore cher Démocrite, comme il est rare et précieux de savoir regarder, éduquer son regard à la réversibilité du vivre. <br /> <br /> <br /> <br /> Bien à vous, Sibylle.
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C
Oui "Le soleil est nouveau tous les jours". Mais plus fort encore : "je" est nouveau tous les jours.<br /> <br /> <br /> <br /> Ou pour le dire encore une fois avec Héraclite qui affirmait avec justesse qu' "on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve" : "On ne se baigne jamais deux fois dans le même "moi" "...<br /> <br /> <br /> <br /> L'impression d'être "le même" qu'hier n'est qu'une illusion. En réalité, la conscience recrée sans cesse "le sentiment d'être soi". Et ce sentiment est toujours nouveau...<br /> <br /> <br /> <br /> "Je est un autre" oui mais davantage encore : le "Je" est sans cesse, à chaque instant, un autre.
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