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DEMOCRITE, atomiste dérouté
6 avril 2013

Cinq années pour se perdre

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Démocrite, "perdition"

 

     Cela fera bientôt cinq années que j'ai quitté le septentrion pour le grand sud-ouest, pour le Béarn solaire et les terres chaudes de l'Ibérie aragonaise, cinq années ! Je savais qu'en arrivant ici ma vie changerait mais je ne pouvais imaginer l'ampleur des mutations et des ébranlements que je devrais traverser. Mon âme voyageuse et nomade, éprise de grande nature s'est réveillée au contact des éléments, s'est puissamment affirmée sur les sentes déroutées par-delà la grande mer de brume et les récifs du piémont. J'ai marché, empli d'une frénésie mystique illimitée, traversé par "la joie qui accompagne l'idée d'une cause extérieure" et sa concrète réalisation active ; j'ai marché, franchissant les divers obstacles dressés devant moi, m'extasiant devant la beauté insaisissable de ces nimbes léchant la paroi d'Ansabère, de ces rayons de lumière aussi purs et radicaux que la foudre, de ces cimes tendues vers les cieux faisant du monde une gigantesque carte sans raison ni loi. J'ai marché jusqu'à me perdre au plus près des abîmes et des failles, à la lisière esseulée du réel lorsque l'écho s'affranchit définitivement de sa source, égaré entre ciel et terre.

      Je me suis senti aussi fort qu'une divinité en son domaine et aussi fragile que l'insecte au contact d'un monde trop grand pour lui. Curieuse schizophrénie, paradoxale tension concentrée en un point lorsque convergent en soi les forces contradictoires de la vie, quand l'esprit freine la dynamique ailée de l'âme libre et aérienne. Mon corps tout entier s'est pourtant façonné au contact de la pente jusqu'à absorber la pesante verticalité du monde et la dissoudre allégrement dans l'effort, les mains tendues vers un horizon de perspectives et d'appels. J'ai vécu pendant trois ans les brouillards féroces de la nuit, les tempêtes ravageuses, les avalanches dramatiques, les chutes, les suées, et les splendeurs d'une aphasie sans résidu, me menant sur les "chemins de nulle part", éprouvant dans la chair le trait indocile du réel. J'ignorais alors que le sentiment géologique qui m'avait jusque-là porté sur les voies inouïes d'un esthétisme tellurique était aussi la métaphore d'une tectonique interne bouleversant ma propre structure vitale. Peut-être me fallait-il côtoyer l'abîme pour sentir le creusement de mes fondations et l'itinéraire sibyllin qui devait me précipiter dans un vertige sans retour.

     Je me suis déterritorialisé, j'ai quitté femme et vogué un peu hagard vers des lointains enfouis depuis longtemps dans les entrailles de ma psyché. Ma vue s'étend désormais sur la quasi totalité des Pyrénées me livrant, en retour, le panorama contrarié de mon existence. Méditant ce jour la course aléatoire des nébulons occidentaux, il me semble me disséminer dans une solitude neuve, effrayé et réjouis tout à la fois par la disparition de mes rêves et la frugalité d'un pas désorienté.

    Cinq années ? Une éternité pour se perdre soi-même dans un entre-deux indicible et inconnaissable. Pourrai-je seulement retrouver l'éclat prometteur de l'aurore et l'appel aventureux des commencements ? L'énigme du monde est aussi mon énigme et le peu que je sache me mène à l'évidence au plus loin de moi-même.

 

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Commentaires
S
Bonjour, <br /> <br /> Un grand Merci! <br /> <br /> Votre texte éclatant et bouleversant éveilla mille réminiscences en correspondance avec un certain vécu dont je tentais de formaliser le cheminement des pensées, pour trouver quelques réponses à des questionnements existentiels, essentiels...<br /> <br /> Peut-être plus littéraire que philosophique, et m'étant largement appuyée sur des textes d'auteurs, malgré une hésitation certaine et ayant laissé passer le temps,<br /> <br /> je viens vous faire part de ma modeste réflexion... <br /> <br /> en sollicitant toute votre indulgence.<br /> <br /> <br /> <br /> Cinq années pour se perdre …<br /> <br /> <br /> <br /> « Tout le jour j’ai cherché le printemps sans le voir,<br /> <br /> J’ai chaussé mes sandales et couru la région.<br /> <br /> Au retour, j’ai souri en sentant un prunus :<br /> <br /> Le printemps sur la branche s’y trouvait au complet… »<br /> <br /> Monüni<br /> <br /> En peu de mots, la poésie orientale ouvre tant d’univers… <br /> <br /> <br /> <br /> I Départ <br /> <br /> Un jour, je quittais mon pays, une vie, des êtres, un moi …<br /> <br /> pour un autre soleil, un autre pays, une autre vie… <br /> <br /> Et s’opéra une mutation qui ébranla mon être…<br /> <br /> au plus profond.<br /> <br /> Dépaysement, solitude, isolement...<br /> <br /> Mais, découverte, fascinante, <br /> <br /> d’un nouvel univers<br /> <br /> où la nature est maître <br /> <br /> et n’a de cesse <br /> <br /> de monopoliser tout mon être <br /> <br /> dans cette quête suprême :<br /> <br /> « Va te purifier dans l’air supérieur… »<br /> <br /> Au détour d’un sentier… <br /> <br /> qui n’en finit pas de serpenter, <br /> <br /> de me faire espérer que le sommet est là, tout près…<br /> <br /> Alors le sel de ma peine comme celui de la terre <br /> <br /> me conduisent là…<br /> <br /> où jamais je n’aurais imaginé ou pensé pouvoir arriver…<br /> <br /> « Seul, je prends plaisir aux monts qui se répètent,<br /> <br /> J’ai choisi d’habiter au plus haut des sommets,<br /> <br /> Au fin fond des nuages… »<br /> <br /> Dans ce beau pays…<br /> <br /> « Pays arrêté à mi-chemin<br /> <br /> Entre la terre et les cieux,<br /> <br /> Aux voix d’eau et d’airain<br /> <br /> Doux et dur, jeune et vieux<br /> <br /> Comme une offrande levée<br /> <br /> Vers d’accueillantes mains… »<br /> <br /> « Suivez votre nature en accord avec la Voie,<br /> <br /> Serein et libre de tout tourment… »,<br /> <br /> murmurent mille voix…<br /> <br /> La vie n’est plus…, <br /> <br /> ou plutôt n’est pas <br /> <br /> un problème à résoudre<br /> <br /> mais une réalité à laquelle se confronter,<br /> <br /> dont il faut faire l’expérience…<br /> <br /> si je veux rester en vie…<br /> <br /> et non plus seulement survivre à des pensées, à des images, <br /> <br /> à l’image de ce que j’étais, ou imaginais vouloir ou pouvoir être.<br /> <br /> En cela, je dois accepter de perdre de vue ce moi d’avant,<br /> <br /> accepter… de me perdre !<br /> <br /> <br /> <br /> II Adieu<br /> <br /> Dans ce nouveau monde,… je ne suis plus…<br /> <br /> Mais c’est justement dans ce lâcher-prise <br /> <br /> que se trouve la clef de la transformation.<br /> <br /> Dans cet abandonnement…,<br /> <br /> un abandon ?<br /> <br /> Ma conscience ne se reposera-t-elle jamais ?<br /> <br /> « La différence entre quitter et abandonner est que l’on quitte de toutes les manières, ce mot étant en lui-même indifférent, au lieu que dans abandonner, il y a toujours l’idée d’une sorte de délaissement, de désertion. »<br /> <br /> Traversée du désert…<br /> <br /> Douloureuse…<br /> <br /> « Mon âme a comme une fissure par où s’échappe, goutte à goutte, l’enthousiasme… »<br /> <br /> Mais « ce qu’on emprisonne nous retient dans la prison. Ce qu’on détruit nous détruit à son tour… »<br /> <br /> « Nul ne peut atteindre l’aube sans passer par le chemin de la nuit. »<br /> <br /> « Ainsi, au prix de l’abandon de sa partie matérielle, le sage atteint son but unique, qui est de jouir en paix de l’idéal. »<br /> <br /> <br /> <br /> III Libération<br /> <br /> Abandon de soi, bonjour liberté !<br /> <br /> En me perdant, je me retrouve…,<br /> <br /> ou plutôt, je me trouve <br /> <br /> car on ne peut alors jamais plus être le même…<br /> <br /> Aussi, « vivre c’est naître lentement.<br /> <br /> Il serait un peu trop aisé d’emprunter des âmes toutes faites. »<br /> <br /> Lucidité et forme particulière d’intelligence…<br /> <br /> Ici, « l’intelligence est la force, solitaire, <br /> <br /> d’extraire du chaos de sa propre vie <br /> <br /> la poignée de lumière suffisante <br /> <br /> pour éclairer un peu plus loin que soi <br /> <br /> –vers l’autre là-bas, <br /> <br /> comme nous égaré dans le noir.<br /> <br /> Comment sortir de soi ?<br /> <br /> Parfois cette chose arrive, <br /> <br /> qui fait que nous ne sommes plus enfermés : <br /> <br /> un amour sans mesure. <br /> <br /> Un silence sans contraire .<br /> <br /> La contemplation d’un visage infini, fait de ciel et de terre. »<br /> <br /> En même temps que je ressens en moi une force extraordinaire,<br /> <br /> et que grandit ce besoin de supplément d’âme, incommensurable…,<br /> <br /> je perçois avec acuité que je suis… si peu de chose… !<br /> <br /> Apprentissage de l’humilité…<br /> <br /> Même si « je n’abandonnerai nullement mon goût pour l’idéal ;<br /> <br /> Je l’ai plus vif que jamais, je l’aurai toujours. »<br /> <br /> Ce désir, plus que tout autre désir,<br /> <br /> « m’a plus enrichi que la possession toujours fausse<br /> <br /> de l’objet de mon désir… »<br /> <br /> Et je n’en finis plus de découvrir que<br /> <br /> « beaucoup de très belles choses nous attendent <br /> <br /> sans jamais s’impatienter de ne pas nous voir venir… »<br /> <br /> <br /> <br /> IV Espérance<br /> <br /> « Une immense espérance a traversé la terre ; malgré nous vers le ciel il faut lever les yeux. »<br /> <br /> Désormais…<br /> <br /> « D’une prison sur moi les murs pèsent en vain, j’ai les ailes de l’espérance. »<br /> <br /> Et je peux revenir en ces pays qui m’étaient familiers…<br /> <br /> « On ne peut comprendre la vie qu’en regardant en arrière ; on ne peut la vivre qu’en regardant en avant. »<br /> <br /> Et je comprends aussi ces « deux biens qui sont en nous…<br /> <br /> Aussi précieux que l’eau et la lumière pour les arbres : la solitude et les échanges. »<br /> <br /> Alors même si le souvenir peut exciter l’espérance,<br /> <br /> l’attente d’être heureux ne devient plus une souffrance…<br /> <br /> Car dans mon désert, j’ai découvert que<br /> <br /> « le bonheur, c’est de continuer à désirer…<br /> <br /> ce qu’on possède. »<br /> <br /> De sorte que « chaque attente ne soit plus un désir, <br /> <br /> mais simplement, une disposition de l’accueil. »<br /> <br /> <br /> <br /> V Retour<br /> <br /> « Je demeure au plus haut du massif des monts Lu,<br /> <br /> Là où brille la lune,<br /> <br /> Et voici qu’aujourd’hui, je songe à revenir,<br /> <br /> Oubliant du passé les sons qui nous déchirent . »<br /> <br /> « Je trouve mes lectures…<br /> <br /> dans la lumière du ciel.<br /> <br /> C’est le livre le plus profond qui soit,<br /> <br /> -Et ce n’est pas moi qui tourne les pages. »<br /> <br /> Je reviens au pays des hommes<br /> <br /> sans oublier, chaque jour, de saluer le soleil…<br /> <br /> sans oublier ce qu’il m’a enseigné <br /> <br /> dans sa course, au pays des montagnes vermeilles…<br /> <br /> Et là, ici ou ailleurs…,<br /> <br /> « tous les soleils à l’aube…<br /> <br /> dorment encore un peu, <br /> <br /> engourdis, nonchalants,<br /> <br /> ils se moquent bien du feu du jour qui les attend,<br /> <br /> ils chassent les ombres des hommes et des guerres,<br /> <br /> tous les soleils à l’aube sont comme des grands enfants<br /> <br /> qui n’ont que faire du temps. »<br /> <br /> Et là, <br /> <br /> « j’écris…,<br /> <br /> j’écris pour trouver…<br /> <br /> l’heure qu’il est dans l’éternel. »<br /> <br /> <br /> <br /> Merci à vous.
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D
Merci pour cette belle résonance, Sibylle. Le bonheur dont vous parlez (comme la joie ) n'est pas de l'ordre de la saisie et moins encore du savoir. "Le pire est de se savoir heureux" me confiait un jour un ami du septentrion. <br /> <br /> Les fragments héraclitéens que vous citez avec justesse sont des moyens de penser le tout de la nature et de dissoudre la pensée fossile dans le fleuve de l'insaisissable.<br /> <br /> Vous croyez déceler une "résolution négative" alors que la pensée n'arrive qu'après coup, comme la conscience, du reste, contrainte de faire avec les états du corps et ses contrariétés internes.<br /> <br /> Vos voeux sont honorables mais l'aurore permanente de fait pas l'objet d'un décret ni d'un effort de la volonté. Il y a, au creux de la vie, des processus de métabolisation et des redéploiements dont nous ignorons tout. <br /> <br /> Entre l'ancien et le nouveau des agencements sont à l'oeuvre ; la fatigue qui en résulte épuise les structures d'accueil et l'aptitude à danser au crépuscule.<br /> <br /> A défaut d'activités conscientes et déterminées, je me sens tout à fait capable de pratiquer des siestes longues et digestives, autre moyen de naviguer dans l'Ouvert et d'éprouver l'aurore des surgissements et les impondérables oniriques.<br /> <br /> Bien à vous
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S
Ce texte magnifique nous embarque littéralement vers les chemins escarpés de nos sentes pyrénéennes mais également vers ces sentiments de déréliction, de mélancolie et de tristesse infinies qui vous hantent et vous rongent cher Démocrite. Quelle terrible malédiction que celle d’être ainsi rivé à votre vie passée. Vous semblez douter de votre propre capacité à retrouver la joie éprouvée voici quelques années : je vous cite : « Pourrai-je seulement retrouver l'éclat prometteur de l'aurore et l'appel aventureux des commencements » ?<br /> <br /> Le bonheur est là pour celui qui SAIT le saisir, le humer à la condition expresse de ne pas résolument s’accrocher et se recroqueviller sur un passé révolu, fossoyeur de toute joie.<br /> <br /> En dehors de toute attitude et compréhension naïves du fragment héraclitéen, je souhaiterais vous dire ceci : « si le soleil est nouveau chaque jour », c’est dire que le soleil est nouveau au « prix du jour », le soleil coûte le jour car s’il chasse la nuit, elle-même s’auto consumera par sa propre obscurité et réciproquement. <br /> <br /> Dans la même logique de contrariété, je souhaite que votre tristesse et votre joie à venir s’accomplissent et se libèrent dans le même excès qui les anéantit , laissant ainsi la place à un entre deux, quelque chose de NOUVEAU : une aurore permanente.
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M
passe-temps : activité distrayante.<br /> <br /> <br /> <br /> Nul n'est besoin d'être croyant pour s'enfoncer dans la nuit obscure.<br /> <br /> <br /> <br /> Ne pas savoir faire silence est pénitence.<br /> <br /> Marcher pour marcher , disparaitre dans un vallon ,aux yeux du monde et à nos propres yeux.<br /> <br /> <br /> <br /> Passer pour un type formidable , ou se rassérener ,il faut trancher...
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