Fragments déroutés
Savoirs en déroute, Démocrite, novembre 2012
I - Les mots du poète, trop souvent, charrient la belle illusion et s'adonnent à la danse merveilleuse des rêves d'enfant. N'est-ce pas dans l'acceptation de ses propres failles qu'un murmure de vérité résonne aux oreilles insensibles, faisant définitivement taire la furieuse volonté de savoir ; arrogante lucidité aveuglée par sa force propre !
II - Où puis-je donc me perdre et m'abandonner sans me perdre moi-même et définitivement disparaître ? Mes ambitions d'adolescent conquérant ne se dispersent-elles pas dans les nuées de l'habitude jusqu'à cette forme d'épuisement tarissant la source vive de la création ?
III - Sous le soleil enivré de Barcelone, la lumière excite les pas du poète et stimule le peintre. Les femmes passent et leur immobile et insolente beauté ne comble pas l'abîme. Dans l'irréductible se tenir ! Dans la mélodie fauve d'une guitare espagnole, je bois du vin et mon verre, messager d'une ivresse nouvelle, me porte au plus près de la sente interdite annonçant l'aurore qui ne vient jamais.
IV - Pourquoi courir là où nul ne peut se rendre ? Pour quelles fins et quelle audace ? Présomptueux que je suis ! Mon pas retourne vers la terre des origines, à la lisière d'une parole inespérée. La marche du dérouté s'achève sur les bords du cratère dans lequel gisent les simulacres fanés de l'amertume.
V - Revenez Amis des soirs lointains et que la fête commence dans les lieux impropres de ma mémoire. Enseveli sous le brasier de mes incertitudes, un cheval tête haute, dresse ses deux oreilles vers l'insignifiance de mon existence.
VI - La fleur est sans écho comme l'oiseau traçant dans le ciel un sillage de vent. Ma parole est inaudible aux hommes car elle aussi est sans écho. Comment supporter le monde s'il est sans écho ?
VII - Jeter par dessus bord les encombrants silences et les interminables nuits de déroute ! Rompre les pesantes amarres de nos signatures et voguer sans mélancolie jusqu'à la source qui ne mène à rien.
VIII - Griffer la terre avec mes ongles calcinés et mon entêtement coutumier, qu'y a -t-il de plus juste et de plus noble ? Que faisons-nous sinon griffer la terre et inscrire inutilement le poids de notre être dans la clairière insaisissable de nos chemins en déroute ?
IX - L'impression redondante d'être à la fois ici et ailleurs ne me quitte plus. Pourquoi chercherais-je à être quelque part ? Pourquoi cette volonté d'ancrage ? Ne supporterais-je pas de vivre en vagabond, nomade que je suis depuis toujours ? Les briques de la vie sédentaire enserrent le coeur de l'homme libre et le mènent à l'oubli de la terre ingrate et folle.
X - Le bourdonnement ininterrompu des mes gestes m'éloigne jour après jour du silence et de l'ombre vitale de mes pensées. Faudra-t-il demeurer immobile et célébrer l'embarras d'une danse pétrifiée ?
XI - A la lisière de ma propre vie je me tiens. Spectateur sans regard je contemple, hagard, la vanité de mon effort. Tout file vers un centre hors de l'espace. Mon existence asymétrique se perd, à l'écart d'elle-même, dans l'ombre désabusée de son propre éclat.
XII - Dans le monde se tenir et dans le monde se perdre, gymnastique de l'obscur !