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DEMOCRITE, atomiste dérouté
22 mai 2013

Fragments déroutés

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Savoirs en déroute, Démocrite, novembre 2012

 

       I -  Les mots du poète, trop souvent, charrient la belle illusion et s'adonnent à la danse merveilleuse des rêves d'enfant. N'est-ce pas dans l'acceptation de ses propres failles qu'un murmure de vérité résonne aux oreilles insensibles, faisant définitivement taire la furieuse volonté de savoir ; arrogante lucidité aveuglée par sa force propre !

            II -  Où puis-je donc me perdre et m'abandonner sans me perdre moi-même et définitivement disparaître ? Mes ambitions d'adolescent conquérant ne se dispersent-elles pas dans les nuées de l'habitude jusqu'à cette forme d'épuisement tarissant la source vive de la création ?

           III - Sous le soleil enivré de Barcelone, la lumière excite les pas du poète et stimule le peintre. Les femmes passent et leur immobile et insolente beauté ne comble pas l'abîme. Dans l'irréductible se tenir ! Dans la mélodie fauve d'une guitare espagnole, je bois du vin et mon verre, messager d'une ivresse nouvelle, me porte au plus près de la sente interdite annonçant l'aurore qui ne vient jamais.

           IV - Pourquoi courir là où nul ne peut se rendre ? Pour quelles fins et quelle audace ? Présomptueux que je suis ! Mon pas retourne vers la terre des origines, à la lisière d'une parole inespérée. La marche du dérouté s'achève sur les bords du cratère dans lequel gisent les simulacres fanés de l'amertume.

       V - Revenez Amis des soirs lointains et que la fête commence dans les lieux impropres de ma mémoire. Enseveli sous le brasier de mes incertitudes, un cheval tête haute, dresse ses deux oreilles vers l'insignifiance de mon existence.

          VI - La fleur est sans écho comme l'oiseau traçant dans le ciel un sillage de vent. Ma parole est inaudible aux hommes car elle aussi est sans écho. Comment supporter le monde s'il est sans écho ?

         VII - Jeter par dessus bord les encombrants silences et les interminables nuits de déroute ! Rompre les pesantes amarres de nos signatures et voguer sans mélancolie jusqu'à la source qui ne mène à rien.

        VIII - Griffer la terre avec mes ongles calcinés et mon entêtement coutumier, qu'y a -t-il de plus juste et de plus noble ? Que faisons-nous sinon griffer la terre et inscrire inutilement le poids de notre être dans la clairière insaisissable de nos chemins en déroute ?

        IX - L'impression redondante d'être à la fois ici et ailleurs ne me quitte plus. Pourquoi chercherais-je à être quelque part ? Pourquoi cette volonté d'ancrage ? Ne supporterais-je pas de vivre en vagabond, nomade que je suis depuis toujours ? Les briques de la vie sédentaire enserrent le coeur de l'homme libre et le mènent à l'oubli de la terre ingrate et folle.

        X - Le bourdonnement ininterrompu des mes gestes m'éloigne jour après jour du silence et de l'ombre vitale de mes pensées. Faudra-t-il demeurer immobile et célébrer l'embarras d'une danse pétrifiée ?

          XI - A la lisière de ma propre vie je me tiens. Spectateur sans regard je contemple, hagard, la vanité de mon effort. Tout file vers un centre hors de  l'espace. Mon existence asymétrique se perd, à l'écart d'elle-même, dans l'ombre désabusée de son propre éclat.

         XII - Dans le monde se tenir et dans le monde se perdre, gymnastique de l'obscur !

 

 

 

 

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Commentaires
D
Pour Guy, si l'interdit désigne "ce qui se dit ensemble", alors la sente du tragique se perd dans le mirage englué de la représentation. Par ailleurs, comment prendre la mesure de l'irreprésentable ? Et pourquoi dire le statut ? Ce "dire" n'est-il pas toujours le signe de la mondanité en soi, la marque d'un refus jusque dans le besoin de témoigner et de penser avec d'autres la radicale étrangeté du réel ? C'est parce que nous en parlons ensemble que le chemin est interdit et, de fait, inaccessible.<br /> <br /> <br /> <br /> Pour Sibylle, le retentissement est dans l'acte poétique, dans l'énergie déployée à la surface des choses. Le passé, le présent et l'avenir sont "tout-un", se confondent dans cette tension que vous évoquez avec justesse.<br /> <br /> Peut-on seulement surmonter cette gymnastique de l'obscur ? <br /> <br /> <br /> <br /> J'en profite pour signaler l'expression de Juarroz (Roberto) dans la onzième poésie verticale qui évoque "une gymnastique dans l'obscur", formule voisine mais insuffisante pour rendre l'activisme de la cécité humaine.
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S
Est-il possible cher Démocrite d’être présent à soi ? Dans cette perspective, il semblerait que ni le passé, ni l’avenir ne ronge ou ne déterritorialise notre individualité. La prose du poète nous plonge dans cette simultanéité, résidu de l’enfance oui peut-être, je vous l’accorde volontiers, mais elle offre également à l’être le plus dispersé la possibilité d’une rencontre inouïe : celle de sa propre unité et cela, ce n’est pas rien. <br /> <br /> La conscience est mouvement car elle est irisée par les choses du monde. Si l’écho est absent, un retentissement insiste et persiste toujours qu’il soit agréable ou désagréable, celui là même que Mallarmé éprouve à propos de l’ennui : « mordant la terre chaude où pousse les lilas, j’attends en m’abîmant, que mon ennui s’élève.. »<br /> <br /> <br /> <br /> Merci cher Démocrite pour votre belle prose aux accents de vérité sublime… « tensionnelle » (aurait dit Ricoeur) du vivre.
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C
Très beau !<br /> <br /> <br /> <br /> Vos mots sont un écho de la vie et de la beauté du questionnement.
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G
Texte magnifique mon cher Démocrite!<br /> <br /> Jute une question ;: pourquoi "la sente" serait-elle "interdite" au marcheur philosophe?Si la vérité est bien dans l'abîme il est possible et loisible d'en prendre la mesure, d'en signaler la présence paradoxale : existante mais insaisissable, indicible. On pourra pour le moins en dire le statut, à défaut de la saisir ou de prétendre la définir.
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