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DEMOCRITE, atomiste dérouté
5 juillet 2013

Le bac à lauréats

 

        J'ai hier assisté comme il se doit aux délibérations du baccalauréat. Ce fut une expérience de stupéfaction générale, la plupart des collègues se murant dans un silence quasi-pétrifié lorsque le président de jury passa en revue les évaluations des candidats. Lui, le professeur de mathématiques avait l'air de considérer que tout allait bien puisque les objectifs étaient remplis. Près de 90 % de réussite au premier tour ! 

           C'est que tous les élèves ont ainsi récoltés à l'examen des notes supérieures à leur moyenne annuelle de 2 à 8 points (!) dans toutes les matières sauf...en philosophie ! Il a plu de mentions "bien", "assez bien" et "très bien" sur des élèves médiocres, sans profil, oscillant entre 06 et 11 sur les dossiers mais reçus haut-la-main à l'examen. Ces mêmes élèves, obtenant 18 en mathématiques, 17 en physique, 15 en SVT, 14 en langue récoltaient entre 04 et 06/20 en philosophie, pour ce que nous appelons en harmonisation des non-copies, c'est-à-dire une prose qui ne témoigne à aucun moment d'un quelconque apprentissage philosophique ou d'un exercice de pensée. Copies complètement vides sur tous les plans qui pourraient être rédigées par n'importe quel élève de seconde.

           Silence gêné de l'assemblée ! Personne ne dit mot ! Etrange ! Seule la discipline philosophique fait de la résistance dans l'hypocrisie institutionnelle organisée et qui renvoie chaque professeur à sa tacite complicité.

           Mais, les langues finissent par se délier : on apprend ainsi qu'il suffit de copier le titre de l'exercice pour récolter d'office 2 points en langue et que l'usage d'un des mots du titre même incompris et utilisé de manière incohérente permet d'ajouter 2 autres points, que le professeur ne peut noter que 08, 12 ou 20/20 (les notes intermédiares étant interdites), que les épreuves de mathématiques ne nécessitent quasiment plus de réflexion et que la calculatrice fait tout le travail, que les inspecteurs ont remonté automatiquement les notes dans certaines matières etc. 

          Pour la première fois en 20 ans de carrière, je constate combien la réussite glorieuse des candidats génère chez les professeurs d'un jury de baccalauréat un accablement et un sentiment de trahison sans précédent, raison de plus s'il en fallait une, pour cultiver de manière vitale l'atome d'écart.

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Commentaires
D
Merci Ella pour ces excellentes remarques et ce poème dont j'apprécie vraiment la tonalité et la beauté : le mouvement et l'immobilité se rejoignent et se confondent dans l'entre-deux comme le jour et la nuit qui ne sont qu'une seule et même chose à l'image du crépuscule (Héraclite).<br /> <br /> <br /> <br /> Y a t-il un sens à enseigner la philosophie ? <br /> <br /> Oui, à l'évidence, ne serait-ce que pour introduire l'atome d'écart dans l'institution qui cherche partout à normaliser les conduites. Le but n'est pas que l'élève apprenne quelque chose mais plutôt qu'il retrouve la force de l'étonnement, cette expérience inaugurale qui défait toute habitude de pensée et s'immisce dans le confort de la représentation pour qu'apparaissent l'étrangeté, le doute la question du sens de toute chose. Du point de vue de l'institution, c'est bien "la philosophie" que nous enseignons. D'un point de vue philosophique, ce sont des modes de philosopher accessibles à peu mais accessibles tout de même. Ce sont ces modes qui font le sens du philosopher en terminale et qui resteront comme des éléments de liberté pour la vie du "sujet-élève". Nous sommes ici loin des notes et du cirque de la normalisation des masses. D'autre part, avec la découverte de sa propre ignorance, l'élève découvre aussi qu'il est possible de construire un plan d'élaboration plus "objectif" que le relativisme mou et informe dans lequel il patauge spontanément. L'accès à un "universel" provisoire est déjà un moyen de s'élever avec un peu de dignité dans ce bas-monde. Lorsque l'élève s'élève un peu, il a quelques raisons significatives pour suivre un cours, ce qui n'est pas rien.<br /> <br /> <br /> <br /> Votre dernière question est souvent posée : Le réel n'est pas de l'ordre de la représentation, il est d'abord dans l'expérience que nous faisons à chaque instant, expérience inaudible qui vient fracturer nos représentations lorsque celui se fait tranchant comme l'épée à l'occasion de la souffrance, du deuil, du temps qui passe et qui surgit par effroi dans la conscience comme un irréversible, bref, situations-limites ! Les états du corps se passent de toute représentation comme la plupart de nos expériences. Si nous voulons enfermer le philosophique dans la pensée, nous fabriquons un processus délirant, un double du réel (monde des Idées) qui n'est plus en rapport avec les états initiaux. C'est pourquoi, on ne peut partir de la représentation pour philosopher sans se perdre définitivement. Il faut procéder de ce qui défait la pensée, le réel. Vous comprenez pourquoi "philosophie et philosophe" doivent être détruits comme idoles, comme idées. <br /> <br /> Si nous ne pouvons pas connaitre le réel, nous pouvons en revanche le penser c'est-à-dire lui donner une place psychique à partir de laquelle l'exigence de vérité peut signifier quelque chose pour le sujet philosophant. Sans rapport au réel comme irruption antéprédicative, il n'y a pas de philosopher, que des religions du sens auxquelles bon nombre de lecteurs et de commentateurs adhèrent tout en croyant sortir du religieux (par exemple Onfray).<br /> <br /> <br /> <br /> Bien à vous
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E
Bonjour, Démocrite<br /> <br /> <br /> <br /> Merci d’avoir répondu à ma question, posée de manière quelque peu intempestive, je m’en excuse, dans la foulée de la lecture de votre billet.<br /> <br /> <br /> <br /> Le billet du 4 juillet complète celui du 6 juin, et tous les deux développent <br /> <br /> votre idée de l’imposture que sont “la philosophie” et “le philosophe”.<br /> <br /> <br /> <br /> Je comprends le sens de votre développement et votre position, que vous appelez “l’entre deux”.<br /> <br /> Elle me fait penser à ce beau poème d’Octavio Paz :<br /> <br /> <br /> <br /> Entre s'en aller et rester<br /> <br /> <br /> <br /> Entre s'en aller et rester hésite le jour, <br /> <br /> amoureux de sa transparence. <br /> <br /> Le soir circulaire est déjà une baie: <br /> <br /> dans son calme va-et-vient se berce le monde. <br /> <br /> Tout est visible et tout est élusif, <br /> <br /> tout est proche et tout est intouchable. <br /> <br /> Les papiers, le livre, le verre, le crayon <br /> <br /> reposent à l'ombre de leurs noms. <br /> <br /> Battement du sang qui dans ma tempe répète <br /> <br /> la même syllabe têtue de sang. <br /> <br /> La lumière fait du mur indifférent <br /> <br /> un théâtre spectral de reflets. <br /> <br /> Dans le centre d'un oeil je me découvre ; <br /> <br /> il ne me regarde pas, je me regarde dans son regard. <br /> <br /> L'instant se dissipe. Sans bouger <br /> <br /> je reste et je m'en vais : je suis une pause.<br /> <br /> <br /> <br /> Ceci étant, on peut se demander s’il y a un sens à enseigner la philosophie.<br /> <br /> Cet enseignement a-t-il un sens, selon vous ?<br /> <br /> <br /> <br /> Une autre question que je me pose : si tout ce que nous pensons du réel est seulement une représentation, et non pas la vérité, ne pas trouver de sens au réel n’est-ce, également, seulement une représentation ?<br /> <br /> <br /> <br /> Cordialement vôtre
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