Le bac à lauréats
J'ai hier assisté comme il se doit aux délibérations du baccalauréat. Ce fut une expérience de stupéfaction générale, la plupart des collègues se murant dans un silence quasi-pétrifié lorsque le président de jury passa en revue les évaluations des candidats. Lui, le professeur de mathématiques avait l'air de considérer que tout allait bien puisque les objectifs étaient remplis. Près de 90 % de réussite au premier tour !
C'est que tous les élèves ont ainsi récoltés à l'examen des notes supérieures à leur moyenne annuelle de 2 à 8 points (!) dans toutes les matières sauf...en philosophie ! Il a plu de mentions "bien", "assez bien" et "très bien" sur des élèves médiocres, sans profil, oscillant entre 06 et 11 sur les dossiers mais reçus haut-la-main à l'examen. Ces mêmes élèves, obtenant 18 en mathématiques, 17 en physique, 15 en SVT, 14 en langue récoltaient entre 04 et 06/20 en philosophie, pour ce que nous appelons en harmonisation des non-copies, c'est-à-dire une prose qui ne témoigne à aucun moment d'un quelconque apprentissage philosophique ou d'un exercice de pensée. Copies complètement vides sur tous les plans qui pourraient être rédigées par n'importe quel élève de seconde.
Silence gêné de l'assemblée ! Personne ne dit mot ! Etrange ! Seule la discipline philosophique fait de la résistance dans l'hypocrisie institutionnelle organisée et qui renvoie chaque professeur à sa tacite complicité.
Mais, les langues finissent par se délier : on apprend ainsi qu'il suffit de copier le titre de l'exercice pour récolter d'office 2 points en langue et que l'usage d'un des mots du titre même incompris et utilisé de manière incohérente permet d'ajouter 2 autres points, que le professeur ne peut noter que 08, 12 ou 20/20 (les notes intermédiares étant interdites), que les épreuves de mathématiques ne nécessitent quasiment plus de réflexion et que la calculatrice fait tout le travail, que les inspecteurs ont remonté automatiquement les notes dans certaines matières etc.
Pour la première fois en 20 ans de carrière, je constate combien la réussite glorieuse des candidats génère chez les professeurs d'un jury de baccalauréat un accablement et un sentiment de trahison sans précédent, raison de plus s'il en fallait une, pour cultiver de manière vitale l'atome d'écart.