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DEMOCRITE, atomiste dérouté
4 septembre 2015

Rentrer pour mieux sortir (2) !

 

      Le mois de septembre est celui de la rentrée : rentrée politique, rentrée littéraire, rentrée des classes. Les deux premières me laissent indifférent et la dernière me fatigue. Mais je n'ai pas véritablement le choix. Je rentre donc après quelques semaines passées dehors, hors de la matrice institutionnelle, hors des murs et des salles numérotées, ayant été autorisé à n'être plus assignable pendant la durée des vacances estivales.

        C'est un peu comme ces ados qui ont une autorisation de sortie à partir d'un certain âge. Tu peux sortir...mais attention, il faudra rentrer !  Les vacances nous feraient presque oublier la laisse qui nous lie au pouvoir. Mais celle-ci se resserre dès la fin du mois d'août, ce qui me vaut toujours à cette période quelques rêves récurrents fort désagréables.

        Habituellement, on rentre chez soi, dans l'intimité et le secret d'un espace privé, domestique, intime. Lorsque le professeur fait sa rentrée, lui va étrangement au travail, dans un lieu public, comme s'il s'agissait de son site naturel. C'est dire s'il ne sort jamais véritablement, sauf à tomber malade pour une durée indéterminée, à démissionner ou à décéder ce qui signifie une sortie authentique et définitive. Toute rentrée fait signe vers une aliénation subjective ordinaire qui soumet l'individualité à sa fonction et aux normes institutionnelles. Certains s'y accomplissent avec délectation, se sentant exister d'autant plus que l'objectivité apparente du système définit pour une grande part leur identité, leur rôle et le petit pouvoir qui leur donne le sentiment d'être consistant.

           La rentrée nous rappelle à la dimension théâtrale de l'école avec son scénario, son texte implicite et ses acteurs. Il s'agit de faire monde et de participer au jeu social dans lequel "chaque chose a une place et toute chose est à sa place". Tel est le lycée, une structure paradoxale qui contrôle de manière obsessionnelle les trajectoires individuelles jusque dans les toilettes et qui se propose dans le même temps "d'élever l'élève" -si j'ose dire, à la condition de citoyen, à la conscience de sa liberté par la culture et l'apprentissage de ses droits mais surtout de ses devoirs. L'école obéit dans sa structure au paradigme familial dont elle est le prolongement ; une famille de substitution chargée d'éduquer (et non d'instruire), en prise avec la double contrainte de la surveillance permanente et de la construction des libertés.

       La rentrée ne serait-elle pas, en vérité, un chemin tracé dans l'espace utérin de la reproduction sociale et de la gestation qui l'accompagne ? Ce placenta collectif et autoritaire qui se fait passer pour une communauté n'est-il pas structuré sur le modèle de la horde primitive avec son patriarcat coutumier et ses seconds couteaux ? Le proviseur ou le directeur est le chef ; il assure la messe de rentrée et fait part de sa vision comme si elle allait de soi. Il définit de nouvelles normes, de nouvelles exigences, de nouvelles contraintes. Nous l'écoutons sagement ou distraitement ou pas du tout. Nous rentrons au port dans un bâtiment figé depuis toujours, arrimés à notre mythologie collective, à nos insolubles contradictions, à notre fatigue chronique, à nos rituels poussiéreux et cacochymes.

        En "rentrant" ces jours derniers, en découvrant ces nouveaux visages d'élèves, je n'ai pu que les inviter à "sortir", à pratiquer le geste philosophique, l'atome d'écart. Je leur propose, de dé-barquer tout en mettant les voiles, de dissoudre l'habitude et la convention qui formatent et d'affronter les vents contraires du doute et de la question qui fait problème. Je les invite à naviguer à la marge pour sentir le poids des conditionnements initiaux et prendre la mesure du monde dans un écart salvateur, non loin des tempêtes et de la houle. Je sens leur étonnement. Il se passe quelque chose d'inhabituel dans ce cours. Quelque chose a bougé. Le temps passe et disparaît. Chronos se tait et laisse place à une durée proprement philosophique qui n'est plus réductible au temps de la montre. "Tiens ! Le cours est déjà fini, à peine commencé !" 

        C'est la rentrée, les autres rentrent, nous, nous prenons le large, nous sortons ! 

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Commentaires
A
Et s'il n'y avait pas de sortie, mais seulement quelque chose d'immatériel, comme une évanescence ,ou comme des particules de savoir subliminal ,une petite richesse nichée dans les jeunes neurones d'élèves pas toujours conscients ,comme un parfum qui reste ,cette alchimie propre au temps du lycée ou les atomes se bousculent sans jamais se demander ""c'est par où la sortie""
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D
Oui chère Révélée (quel pseudo !!), on finit toujours par sortir, d'une manière ou d'une autre.
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L
La porte de sortie est en soi.
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L
L'invitation à sortir n'est elle pas " silence"..<br /> <br /> <br /> <br /> Cette attitude qui consiste à poser un pas en dehors du chemin habituel, du chemin de nos habitudes mentales qui résonnent si fort en nous, pour se découvrir <br /> <br /> " nouveau".
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D
Merci Camarades pour ces interventions revigorantes et sans détestation aucune...
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A
A t'on le droit de détester la ""rentrée"" ? Certains ne rentrent plus et poursuivent leur chemin en cherchant la sortie . Septembre est le mois le plus doux ,surtout dans la tempête avec les arbres encore lourds de feuilles et son ciel innocent ; c'est un mois bon pour fuir encore un peu ,gambader je dirais ,se croire encore hors d'âge et se glisser enfin dans une igue profonde pour hiberner loin du théatre....cotè court ou cotè jardin...........bon vent , Monsieur le professeur !
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G
Symboliquement, au moins, voilà un beau voyage qui commence, une ek-khorèsis qui dessine les conditions d'une salutaire errance! Bon vent, cher matelot!
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C
Toujours aussi plaisant de vous lire cher Démocrite !
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M
Magnifique élan pour cette entrée en soi !
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