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DEMOCRITE, atomiste dérouté
8 novembre 2013

Du plaisir de contempler mes images

Pointe Maroc_modifié-1

 

 

 

 

 

Le Maroc et le détroit de Gibraltar vus du Mirador El Estrecho, pointe sud de l'Espagne

 

 

     Après une belle vadrouille lors des dernières vacances sur les terres andalouses, je ne suis pas fâché de retrouver les Pyrénées automnales en dégustant un café avec un excellent robusto roboratif de La Palma, sur le boulevard le plus aragonais de la cité paloise.

     De même, content de rentrer chez moi, je ne me lasse pas de contempler les images de ma galerie Flickr. Je m'y promène sans vergogne, plusieurs fois par jour, étonné d'avoir su et pu saisir ces paysages, ces atmosphères, ces nimbes virevoltant dans les hauteurs, des lacs éblouissants, des vagues fracassées. Je constate avec une certaine satisfaction que celles-ci font l'objet d'une assez large consultation. Des boliviens, des asiatiques, des américains, canadiens, allemands, des suisses, des hommes et femmes de tout horizon paraissent apprécier mes photographies et laissent ici ou là quelques messages de sympathie, me donnant le sentiment assez fallacieux d'être en relation avec la terre entière.

     Mais au-delà, c'est d'abord la dimension esthétique de ma galerie qui me touche. J'admire mes propres oeuvres, non pas sur un mode narcissique consistant à renforcer un moi gonflé de suffisance, mais plutôt à la manière de cet enfant dont parle Hegel dans son Cours d'Esthétique :

"Le petit garçon qui jette des cailloux dans la rivière et regarde les ronds se former à la surface de l'eau admire en eux une oeuvre qui lui donne à voir ce qui est sien". 

      Fasciné par les effets qu'il produit, l'enfant se saisit lui-même comme auteur d'un processus dont il est apparemment la cause. Il y a quelque chose de magique devant les images qu'on a soi-même façonnées, quelque chose qui est à la fois une part de soi et qui manifeste dans le même temps une dépossession fondamentale. L'enfant, observant ces ondes concentriques s'éloignant du point d'impact produit par la pénétration de la pierre dans l'élément liquide, pourra bien se dire : C'est moi qui ai fait ça ! Il n'a fait que jeter son caillou sans que l'effet produit soit contenu dans son geste singulier. La conscience pratique qui découle de son acte envahit le réel dans un mirage anthropocentrique qui lui donne l'illusion d'un "génie" propre sur un mode démiurgique. Il en va de même avec l'image ; le travail qu'elle implique, l'attention aux choses sont sans rapport causal avec ce qui se passe, avec le surgissement de l'objet comme de l'expérience qui rendent possible un geste photographique. Cet écart entre l'activité et l'oeuvre demeure irréductible. 

     Je me suis souvent dit que la photographie, cet art "d'écrire avec la lumière" selon l'étymologie, était une pratique exprimant et masquant tout à la fois une humeur mélancolique, une relation secrète et intime au réel, teintée d'amertume devant le spectacle mouvant des choses que l'image fige miraculeusement. Comment supporter la mobilité universelle et l'irrésistible fuite de l'objet ? Comment ne pas sentir l'éphémère de l'expérience esthétique la plus haute, la plus dense et la plus belle ? Comment accepter de la laisser filer, d'être l'impuissant témoin de son anéantissement annoncé ? Peut-être est-ce pour cela que le photographe fait une capture et s'empare d'un élément de réalité pour inventer une scène qui est et n'est déjà plus ce qui a été perçu. En ce sens, il serait faux de dire que l'image est mélancoliquement arrimée au passé. Elle est aussi une expérience autre, à mi chemin entre la situation qui l'a rendu possible, l'objectivité qu'elle paraît exprimer et le devenir qu'elle suggère. La photographie a sa vie propre et son indépendance. 

     Je comprends mieux pourquoi je jubile souvent en consultant ma galerie. La vie de mes images m'importe encore car elle contient une part inaudible de la mienne, un murmure qui me rappelle que j'ai déjà vécu de belles choses. De cela je peux me réjouir, d'autant que ces expériences souvent heureuses ne disparaissent pas tout à fait et suscitent à l'évidence, le désir d'en éprouver d'autres.

 

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Commentaires
D
Merci PPLuis, Les Pyrénées invitent le marcheur à la déprise, à la déroute au milieu de cette sauvagerie qu'elles ont encore. Ne vous en privez pas si vous le pouvez.<br /> <br /> Amicalement.
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D
Merci chère Bernadette pour ce mot qui sonne si juste. S'étonner de ses propres oeuvres revient à reconnaître leur indépendance, leur vitalité propre et comme tu le signales cette réceptivité essentielle à l'accueil de la nouveauté.
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P
Oui, vos photographies sont belles. Je vais régulièrement les voir.<br /> <br /> Les Pyrénées me rappellent mes vacances d'enfance, et me donne envie d'aller voir les sites où je ne suis pas allé.
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I
J’apprécie tout à fait ce texte que vous écrivez, cher Didier au sujet du regard de l’auteur face à son œuvre. Et c’est surtout cette part d « ’étonnement » (plus que d’admiration en ce qui me concerne comme artiste) qui retient mon adhésion. Quelque soit le temps de l’œuvre, demeure cet étonnement avant, pendant, après pourrait-on dire et cela à la fois pour l’auteur et le spectateur. Il me semble que cette qualité d’étonnement (donc de réceptivité) qui naît, devient et ne meure pas donne à l’acte créateur et à l’œuvre cette présence singulière et unique qui réjouit et continue d’étonner….
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