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DEMOCRITE, atomiste dérouté
16 avril 2014

La faille narcissique

       Les hommes ne sont intéressants que lorsqu'ils souffrent. Tant que leur misère reste enfouie sous le plastron rassurant des commodités sociales, des conventions, tant que l'éclat illusoire des postures et des apparences sauve la mise, tout semble aller et chacun ne s'occupe que de soi dans un mirage narcissique de réussite, bardée de vanité et d'orgueil. Sitôt que la structure se fissure et qu'ils sont ravagés par le risque de l'effondrement majeur, ils accèdent alors à des sentiments qui leur faisaient défaut lorsqu'ils se croyaient bien portants.

       L'irruption du réel lors des deuils, des ruptures non consenties, des grandes castrations humanise l'individu en dévoilant sa faiblesse, sa fragilité et son besoin des autres. Enfin s'autorise-t-il à livrer quelque chose de lui qui touche à ses profondeurs, manifestant pour l'occasion une surprenante compassion, une certaine tendresse et un besoin urgent de parler en vérité. Ne pouvant plus compter sur la tragi-comédie humaine dans laquelle il s'est perdu, il livre à qui sait l'entendre une part de ses malheurs et se félicite de s'apercevoir qu'il peut exister quelque présence amicale en ce bas-monde, une présence attentive et bienveillante pour qui le sens de la vérité peut encore signifier quelque chose.

         Mais au fond, rien ne change. La rencontre du réel peut ouvrir en apparence à l'altérité en déchirant la bulle boursoufflée du narcissisme mais la faille est telle que l'autre n'est jamais qu'un miroir, qu'un moyen au service d'un complexe que rien ne vient véritablement modifier. Le narcissique trouve toujours un "sauveur" pour l'aider dans sa détresse, celui qui devrait lui permettre de reconstituer l'image dévastée par l'insupportable expérience du réel. Mais son besoin de vérité est dramatiquement au service de la vérité de ses pulsions. Les structures l'emportent toujours sur les aléas et se nourrissent d'eux pour rétablir un état antérieur. 

       Aussi faut-il se demander s'il est vraiment nécessaire d'aller mieux dans la mesure où chacun retourne à ses compulsions originelles avec une flagornerie d'autant plus renforcée que la souffrance diminue ? Un mieux-être apporte toujours ou presque son flot d'illusions et de menteries. En grattant un peu, nous verrons que cette santé de façade dissimule mal la pathologie et les multiples trous qui continuent leur travail de sape. Il faudra de nouveaux deuils, de nouvelles séparations pour que la vérité réapparaisse. Mais ce jour-là, qui pour l'entendre ? Qui pour aider celui qui ne voit pas en l'autre quelqu'un d'autre mais un moyen au service de sa pathologie chronique ? Comme le note Schopenhauer, "les choses sont toujours les mêmes mais autrement".

       

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Commentaires
M
Bonsoir,<br /> <br /> Je ne suis qu'un scientifique (de formation..)et reste souvent étonné par votre facilité à discourir (je viens de finir de lire les écrits de Grothendieck(clefs des songes et récoltes et semailles));Aujourd’hui ermite.Il me parle.<br /> <br /> Que pensez vous de cet artiste narcissique(comme tout artiste?) déjà oublié..:<br /> <br /> http://www.youtube.com/watch?v=Vv6m_1fr4W0<br /> <br /> http://www.deezer.com/artist/289438<br /> <br /> Bien à vous
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D
J'entends, chère Sibylle, combien votre expérience présente atténue les douleurs du passé et je m'en réjouis pour vous. Cela dit, la faille narcissique dont j'ai parlé renvoie à une réalité structurelle qu'aucune expérience présente n'efface par magie. Pire, la structure se nourrit et se renforce des expériences en y puisant de quoi s'auto-alimenter tant que rien ne vient menacer l'équilibre apparent. C'est cela que j'ai appelé la "santé de façade" ; une santé d'autant plus revendiquée qu'elle masque (mais pas au sens de Pessoa) une pathologie sourde. <br /> <br /> Il y a des "santés" proclamées qui sentent la putréfaction et la morbidité notamment chez ceux qui s'imaginent qu'on se soigne avec "un peu de bonne volonté". Dans ce cas, je vous rejoins, il ne vaut mieux pas trop gratter en profondeur, on tomberait bien bas : les cadavres et autres horreurs encavés ne sont pas loin.<br /> <br /> Bien à vous
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D
Il y a chez Pessoa ce jeu permanent avec l'identité, un art poétique consistant à démultiplier des images contradictoires : être à la fois ceci et cela, ici et là-bas, poète de la vérité et masque. Sans doute Frédéric Schiffter n'échappe-t-il pas à la règle : philosophe ici et surfeur là, ouverture et fermeture tout à la fois. Mais nous autres, que faisons-nous ? Qui pour échapper à la volatilité identitaire ? Qui mis à part les paranoïaques, les délirants, les fous dangereux ?<br /> <br /> A mieux y regarder, il y a là un art qui consiste à donner du jeu, du mou, de l'espace pour permettre des circulations nouvelles et s'autoriser à dire comme à faire ce que nous ne pourrions jamais faire si nous étions rivés à une seule et exclusive identité. Mais j'ai abondamment abordé cette problématique dans un article antérieur.<br /> <br /> http://clinamen.canalblog.com/archives/2014/03/07/29363875.html<br /> <br /> <br /> <br /> Merci à Michel et bienvenue sur cet espace numérique d'activité philosophique déroutée.
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S
J’ignore s’il faut parler de « santé de façade » et de guérison de profondeur. Ce que je sens en revanche, c’est qu’il est bon de ne pas être toujours en recherche d’une pathologie du sous-sol , de vouloir gratter au fond là où la terre est aride ,là où il n’est pas nécessaire d’aller voir parce qu’il n’y a a plus rien à voir d’essentiel, à moins d’être au quotidien handicapé par un humus qui entrave l’émergence de vos désirs, de vos actions ou projets de vie. Dans ce cas-là, il vaut mieux en effet consulter, en espérant ne pas tomber sur un charlatan et prescripteur de pharmacopées délirantes.<br /> <br /> Personne n’est exempt de « traumatismes » d’enfance, d’adolescence, voire de jeune adulte, ceux-là mêmes nous constituent et sont, ni plus ni moins que les effets d’agencements « des passions » humaines entre les parents et les enfants, les amis ou faux amis qui nous surprennent dans leurs comportements.<br /> <br /> Cependant, je pense sincèrement, parce que je le vis, que les bons moments vécus au présent atténuent les douleurs du passées, facilitent le deuil lorsqu’il est nécessaire de le faire: question d’intensité peut-être….ou d’ouverture à toutes nos possibilités d’être heureux ou joyeux dans certaines circonstances propices à de tels émois.<br /> <br /> « Ne fuyons par le bonheur de peur qu’il ne se sauve … »
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M
Je viens de découvrir votre "blog" grâce à Mr Schiftter (qui ne supporte pas la moindre contradiction à ses propos.Geste philosophique..).<br /> <br /> Comment ne pas avancer masqué? Gainsbourg a lui même reconnu que son masque lui était tellement attaché qu'il ne pouvait même plus l'arracher..Le changement,c'est l'inconnu..et la chair à ..et nos recherches d'impermanence..<br /> <br /> Merci Axis de nous remémorer Pessoa.<br /> <br /> Vous écrivez tellement bien que je ne peux m'empêcher de vous suivre.Une humanité sans souffrance,c'est ,par exemple,le faux-semblant des joyeux médias?On en sort effondré..
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A
Oui l'humanité en nous est chère payée,Schopenhauer disait "La vie oscille en nous comme un pendule,de droite à gauche de la souffrance à l'ennui" .Mais cette souffrance donne une telle valeur à cette vie dont nous ne comprenons rien,cette vie qui vaut le coup ,cette vie qui a permis à Pessoa de si bien écrire sur l'ennui,sur ce dégoût d'être soi ,de se supporter toujours jour aprés jour, Encore un moment Monsieur le boureau ;sauf que le boureau c'est nous ! le plus dur est de ne pas se répudier chaque matin ; ces pensées ,ces choses humaines grandioses ou minables sont trop conséquentes pour le tas de poussière que nous sommes . Facile de ne pas croire en dieu ,difficile de ne pouvoir l'être.
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D
Oui Axis, comme dit Lucrèce, "l'ordre n'est qu'un cas particulier du désordre". Si tout passe dans l'impermanence généralisée, nos structures tendent pourtant à se maintenir coûte que coûte. Il faudrait ici interroger cette incroyable résistance au changement qui fait la pathologie, ces crispations narcissiques qui nous engagent dans des conduites répétitives et morbides. Si la souffrance nous humanise, reconnaissons que l'humanité en nous est chère payée.
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A
Notre nature n'est elle pas provisoire avec nos myriades d'atomes ,et soumise à un perpétuel changement ? Elle chemine avec sa faiblesse , avec ""son fantôme dans sa machine"".La souffrance ? il faut bien en connaître la saveur , certaines ne sont même pas amères , parfois c'est du bonheur dont il faut se méfier ,son estocade réserve de temps en temps des réveils bien douloureux.<br /> <br /> ""Moi , je veux être un homme heureux""..........
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