Innocence du devenir
"Seuls le jeu de l'artiste et le jeu de l'enfant
peuvent ici-bas croître et périr,
construire et détruire avec innocence.
Et c'est ainsi, comme l'artiste et l'enfant,
que se joue le feu éternellement actif
qui construit et détruit avec innocence,
et ce jeu, c'est l'Aïon qui le joue avec lui-même".
Nietzsche, Naissance de la philosophie
Je goûte tout particulièrement l'héraclitéisme de Nietzsche et la valeur tragique de son propos qui, loin de s'enferrer dans un nihilisme doloriste, pense les deux dimensions consubstantielles du réel : destruction et création tout à la fois. Qui saura se placer par son corps et sa pensée sur l'échiquier où se joue cette partition déroutée ? Seul le poète de la Nature le peut et avec lui la grande cohorte de Déroutés, le coureur de nébulons nomades, le scrutateur infatigable des particules aléatoires et des compositions, le sceptique vagabond ; bref, celui qui, jouant avec les éléments et se laissant joué par eux, se réfère à autre chose que lui-même, à autre chose qu'une divinité qui n'est qu'un avatar du moi.
La troisième Voie déployée à la surface des choses, au milieu des apparences, est celle de l'éternité de la nature, de son devenir actif, de sa créativité incessante. L'innocence du devenir est la métaphore du réel la plus aboutie car délestée de la paranoïa de la signification.