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DEMOCRITE, atomiste dérouté
30 septembre 2014

Le miracle techno-pédagogique

 

       De nombreux établissements scolaires se targuent depuis cette rentrée d'être "pilotes" dans le domaine des nouvelles technologies en ayant équipé tous les élèves de sixième et de cinquième du collège d'I Pad ou tablettes tactiles. Chacun se félicite devant le progrès considérable que représente cette nouvelle acquisition à commencer par Apple ou Sony qui investissent généreusement dans le domaine éducatif. Dans la presse locale de ce jour, il est fait mention des avantages considérables de ce dispositif : "l'élève est enfin devenu acteur et auteur de ses productions". "Il les partage avec d'autres en temps réel" et augmente par là "la dynamique collective", favorisant l'éclosion de "nouvelles ressources" pour tous. Ainsi, selon le journaliste, reprenant les propos d'un collègue de technologie, "s'estompe la frontière entre création et consommation". Ce sont même les contenus des cours qui s'en trouvent modifiés, repensés. La révolution techno-pédagogique est telle que les professeurs n'enseignent plus (enfin !) et surtout, il était temps - ne sont plus des "diffuseurs de savoirs". Ils deviennent grâce à cet outil décidément miraculeux, "des accompagnateurs". Bref, conclut le collègue manifestement emballé, "la tablette permet d'aller à l'essentiel plus rapidement". Sans aucun doute !

       La messe est dite et bien dite. L'interface, l'écran, la fascination hypnotique pour des surfaces à cristaux liquides se substituent à tout acte d'élaboration et de transmission. La mise sous écran de l'altérité, l'objet du savoir, les contenus de pensée n'ont plus la moindre importance, car l'outil a magiquement réglé les difficultés du raisonnement ou la confrontation des idées. Le maître (magister) s'est mué en coach pour des as de la manipulation digitale à l'esprit aussi vide que confus. La soumission au dogme technoscientifique n'a fait l'objet d'aucune interrogation critique et ce projet parait à ce point prodigioeux et moderne qu'il exclut d'emblée toute question.

      Ne sachant plus comment régler les problèmes d'autorité dans les salles de classe, on peut compter sur les habitudes toxicomaniaques des élèves dans leurs relations aux nouvelles technologies (portables, vidéo, internet...) pour sortir des rapports trop souvent conflictuels liés au face à face pédagogique. Au lieu de penser un tiers structurant qui pourrait valoir comme référent symbolique au service de l'autorité dans la classe, la tentation est forte d'endormir la jeunesse en lui donnant l'os à ronger qui la renvoie à son imaginaire destructuré et à son isolement devant la machine. Le tour est joué ! Selon cette logique, le professeur devenu prof puis enseignant se métamorphose en "accompagnateur" (sic !) puisqu'il n'a plus rien à transmettre, les programmes et les contenus étant tous disponibles dans cet outil décidément magique qui dispense de penser sa propre signification et sa réelle raison d'être.

     Par exemple quid de la dépendance aux écrans dans la classe et à l'extérieur, à l'énergie qui la fait fonctionner, à l'internet ? Plus de manuels scolaires, plus de livres ! Tout est là, magiquement disponible dans une instantanéité devenue la règle, pas seulement pour les jeunes gens d'aujourd'hui mais aussi pour certains de ces animateurs de classe dont l'objectif inavoué consiste à régler une fois pour toutes le sort de l'instruction publique et la mission historique qui est celle des professeurs ! Hourra !

      Et chacun de se réjouir de l'extension de ce dispositif à toutes les classes de collège et de lycée. C'est à coups de marteau électronique qu'il nous faudra aborder Nietzsche en terminale ! Voilà qui nous dispensera de cogner pour de bon sur les idoles ! Vive le progrès !

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Commentaires
M
Désolé pour le commentaire.Je me suis trompé.Je pensais trop à Schiffter et à son conflit ridicule avec Roland Jaccard..<br /> <br /> Bien à vous,
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M
Les profs sont vraiment susceptibles.On passe de 8 commentaires à 4.Sans raison.Drôles d'individus...Un autre cas :Schiffter<br /> <br /> Bien à vous,
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A
Cher Démocrite,<br /> <br /> <br /> <br /> Je partage sans réserve votre analyse…<br /> <br /> Ce n’est plus de la technophilie qui anime certains mais un delirium digital sévère. <br /> <br /> Y a-t-il un retour en arrière possible ? Je crains que non, sauf si un effondrement brutal de nos sociétés, sous les coups de boutoir de l’avalanche climatique, vient nous rappeler à notre néant – Mais là ce qui nous attend est plutôt un chaos à la « Mad Max »…
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D
Merci Sibylle pour ces remarques. En effet, accompagner l'élève vers où et vers quoi ? C'est un enjeu d'autant plus criant que les élèves ne savent quasiment rien et ne possèdent pas les éléments de la pensée censés leur permettre de lire, compter, comprendre, écrire. En quoi, l'usage d'un outil qui éloigne davantage de ces éléments peut-il être "moyen d'aller à l'essentiel" ? C'est toute la question du sens qui se pose. Pourquoi va-t-on à l'école ? Non pas pour étudier mais pour passer le temps, se divertir, créer des espaces ludiques dans lesquels aucune verticalité n'assure plus la structuration de la pensée, le sens de la distinction. Dans cette horizontalité numérique, dans l'enchevêtrement infini de la toile, la pensée, noyée, sera soumise définitivement au régime de l'opinion et de la préférence subjective. Le maître s'est lui aussi désintégré dans la saturation informatique, dans l'invasion des informations que plus personne ne sait hiérarchiser. Tristes tropiques !
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S
Merci, cher Démocrite pour cette excellente réflexion sur cette question qui commence à poser problème au cœur de l’Education nationale. Je pense que l’usage de ces petits appareils électroniques est fort préjudiciable pour le développement de l’autonomie de l’élève, car c’est de cela dont il s’agit.<br /> <br /> L’Etat ou les collectivités territoriales qui fournissent cet équipement, le font, faut-il le reconnaitre pour ne pas être à la traîne par rapport à d’autres pays et puis pour une visée strictement électoraliste. <br /> <br /> Le savoir en un clic est-ce possible ? Autant rester chez soi et faire défiler sur écran une succession de contenus.Un professeur « accompagnateur », mais pour aller vers où, vers quoi ? On accompagne un jeune, une personne âgée, une personne handicapée, autrement dit une personne en perte d’autonomie ou qui ne la possède pas encore, mais tout cela en vue d’un objectif préalablement bien défini, déterminé.<br /> <br /> Quel est le Programme de l’Education Nationale en proposant aux élèves le tout numérique dans leur apprentissage ? Elle leur donne des moyens mais pour quel(s) OBJECTIF(S ).<br /> <br /> Dans mon métier et milieu professionnel, j’ai toujours entendu dire ceci : « Ne me parler pas de moyens avant de me parler de projets. ». Hum, du bon sens, juste du bon sens.
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I
Excellente critique.
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