Aimer la nature
Le vol du vautour fauve impressionne toujours le marcheur, le contemplatif, l'amoureux des cimes et de la nature encore ensauvagée. Loin du carcan saturé des bruits de la civilisation, il existe des espaces de grand silence hantés par des maîtres-planeurs, héritiers d'un monde sans paroles et sans fard. Leur envergure de géant les porte au dessus des abîmes, délivrés de la pesanteur, se laissant voguer comme des surfeurs sur la houle invisible des vents contraires.
Cette paresse, cette langueur lymphatique, cette apparente tranquillité dissimulent un tempérament de charognard, un vouloir vivre sans compromis dans sa férocité instinctive. La splendeur de son vol sans effort maquille l'oeil fauve du prédateur patient, affamé et vorace.
Que suis-je pour lui sinon un cadavre en sursis, un tas d'organes au potentiel sanguinolent, la promesse de goûteuses viscères ?
Alors que le poète loue la grâce de l'oiseau, sa sagesse du moindre effort, sa virtuosité de voltigeur, le rapace cherche obstinément le corps malade, putride, rongé par la vermine, la décrépitude annoncée de l'animal en fin de course. Je lis dans son oeil ironique sa déception de me voir vivant !
Qu'ai-je donc aimé dans ce lourd silence de la nature sinon le goût de l'effroi et l'ombre mouvante de la mort qui plane sur la précarité de mon pas ?