Obscénité de l'ingénue
Une jeune prof fraîchement mariée, aux yeux étrangement obliques, a éprouvé l'infâme nécessité d'exhiber son pathétique et obscène livre-photos de noces en salle des profs, sous le regard faussement émerveillé des collègues. Tout le monde sait depuis longtemps l'absurdité d'un tel acte et l'inconscience de ceux et celles qui osent encore se jurer fidélité à vie. Comme il faut absolument protéger notre nymphette de tout rapport au réel, lui laisser vivre son expérience en lui narrant les sornettes habituelles qu'elle a besoin d'entendre pour l'occasion, chacune y va de son compliment inauthentique et de sa mauvaise foi :
"Qu'il est beau ton mari ! Que vous êtes beaux tous les deux ! Magnifique ! Grandiose ! Quelle cérémonie !! Ha, que c'est beauuuuu !!! Quelle belle robeeeee!!!! Ohh la belle table !! Ha le beauuu traiteurrr et la belle musiqquuue !!! Et patati et patata...!"
Au milieu de cet enthousiasme navrant, je n'ai pu résister à la tentation de rappeler à notre ingénue qu'un de mes amis, ayant cherché un moyen efficace de se suicider, et n'en n'ayant trouvé aucun, finit par se marier. Eclat de rire dans l'assemblée. La demoiselle rit d'abord par solidarité spontanée, puis après deux secondes d'une lucidité vaguement retrouvée, s'exclama sèchement, manifestement choquée : "C'est horrible !!"
Gageons que la stupidité de son acte lui soit apparue pendant quelques dixièmes de seconde, non pas dans le propos tenu par mes soins, mais dans le rire auquel elle participa complaisamment, dans ce spasme irrépressible qui lui aura peut-être rappelé cette vérité que la Demoiselle pressent depuis toujours, à savoir que le mariage est une entreprise souterraine de dépeçage qui condamne la relation au cannibalisme territorial, à l'euthanasie active, à l'effritement du singulier, au syndrome de la bonne femme. L'horreur de sa situation aurait-elle effleuré son esprit ? Se ruer de la sorte dans le filet d'une déchéance annoncée avec l'assentiment collectif des jobards en renfort, ne peut procéder que d'une jouissance sadomasochiste à tous les niveaux !
J'aurais volontiers ajouté : "Quoi, ne vous êtes-vous pas passés la corde au cou ? Demain, étranglement et asphyxie garantis !"
Ma bonté me perdra, je me suis tu.