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DEMOCRITE, atomiste dérouté
2 octobre 2015

Première neige

Première neige en Pyrénées

 

Première neige en Pyrénées, Démocrite, 2 octobre 2015

 

        En règle générale, ma première impulsion au réveil me propulse vers ma terrasse pour admirer les Pyrénées. Mes yeux et mon esprit encore embrumés et confus se heurtent au spectacle ouvert d'un horizon que je n'aurais jamais pu imaginer lors de ma vie antérieure. La choc est brutal mais il a le mérite de me faire passer d'une esthétique des profondeurs - celle des images truculentes du sommeil paradoxal, à une esthétique du dehors qui me rappelle que je vis sur ces terres douces du Béarn et que la réalité n'a pas disparu pendant la nuit.

         De quel besoin procède donc ce mouvement rituel ? Besoin de sentir une confirmation, une persévérance de l'Être ? Besoin d'être réassuré ? Peut-être. Suis-je bien toujours là ? Ne s'agit-il pas pour moi de vérifier mon adhésion à ce qui est ? Comment ne pas sentir cette appartenance incandescente à ce paysage vivant qui se meut dans une étrange fixité ? Comment pourrais-je me passer de ce sentiment de participation à la fugitivité des nimbes folâtres sur les cimes quaternaires ? L'impermanence du monde et les facéties du réel ne se moqueraient jamais assez de moi pour me déraciner pendant la nuit, dissoudre ma territorialisation et me renvoyer vers les terres australes. Impensable !

        J'avais tant rêvé des Pyrénées, moi le Lorrain égaré au Septentrion qu'un beau jour je me suis éveillé sur le piémont béarnais, hurlant ma stupéfaction et ma joie en me perdant encore et encore sur des sentes inaudibles et des pentes étoilées. J'en ai versé des larmes de sueur et d'allégresse devant les splendeurs verticales d'Ossau et les vastes silences pourpres du crépuscule. Il m'était si difficile de redescendre, de quitter les hautes terres et les cimes inviolées du jour pour envisager un retour dans le grégarisme des mondanités. Chaque désescalade emportait une part de mon antique sauvagerie et me rendait à l'humaine condition, à la civilité. Une part insoupçonnée de ma vérité s'était égarée dans des espaces improbables, au bord d'un lac parsemé d'atomes fantaisistes et de libertés.

      Comment pouvais-je seulement redescendre ? Reprendre la route du Nord et tourner le dos à la Nature indomptée, au régime tourbillonnaire des forces qui fait la création ? Impossible!! J'ai laissé, à l'évidence, tout là haut quelque chose de ma présence singulière dans ce monde, une empreinte à demi recouverte, une mémoire oublieuse de mon être social, une vitalité qui me semble parfois perdue...

      Ce matin, il m'a fallu quelques temps pour remarquer l'arrivée de la neige sur les plus hauts sommets. La terre tourne sur elle-même. Cela "saisonne" ! comme diraient les Chinois. Quelque chose passe et demeure tout à la fois comme la fragile beauté de l'aurore emportée par le soleil du jour.

 

 

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Commentaires
D
Merci Sibylle pour cette proposition et ce prolongement. Le sujet"neuf" est sans doute celui qui retrouve en lui "l'antique condition de l'homme" confronté aux forces incommensurables du monde. La marche est d'abord un dépouillement, un appauvrissement en termes de significations et d'intelligibilité, afin de délier les puissances inaperçues du corps dans un corps à corps avec la pente, la minéralité, la raréfaction des vivants avec l'altitude.<br /> <br /> Je comprends bien cette in-sistance dont vous parlez mais celle-ci s'articule simultanément à la plus extrême fragilité, à l'impermanence qui s'accélère si vite lorsque la brume monte et que le vent se lève.<br /> <br /> C'est pourquoi, ce qui insiste en nous nous pousse rapidement à l'ex-sistence, c'est-à-dire à la représentation. Il faudra penser ce qui se passe pour que le réactif en nous nous pousse à redescendre...vivant !<br /> <br /> La découverte de l'originaire n'est pas un site habitable ; c'est que "la vérité est dans l'abîme".<br /> <br /> La "persévérance dans notre être" a donc une double nature, active et réactive : c'est tout-un à la condition de réconcilier ces deux tendances que la culture tend à rigidifier, à fossiliser, à opposer dramatiquement.
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S
Cher Démocrite,<br /> <br /> <br /> <br /> Un très beau texte en vérité que le vôtre.<br /> <br /> <br /> <br /> Peut-être s’agit-il avec la marche en montagne de retrouver une relation naïve avec le monde, de ressentir cette présence inaliénable, incorruptible. Force est de constater que notre pseudo perception du monde comme legs strictement conventionnel participe à notre cécité, à notre manquement à être. En effet, le sens relié à notre perception, s’il fallait en posé un, est toujours déjà malencontreusement pre-constitué, surfait, défait par nos conditionnements. <br /> <br /> <br /> <br /> Peut-être nous faut-il alors apprendre à déconstruire pour « çà-voir » voir ?<br /> <br /> De fait, la marche en montagne nous invite à devenir un sujet « neuf » capable d’appréhender les beautés de la nature : ses humeurs, ses parfums de fleurs, ses fragrances de résineux, d’herbes sauvages de telle sorte que le monde pré-constitué et symboliquement qualifié avec des processus imposés par nos stéréotypes perceptifs, s’efface pour nouvellement s’instituer en nous. <br /> <br /> <br /> <br /> Le vivant est un tourbillon. Du coup, l’étoffe de ma perception qui recouvrira cette nature deviendra inédite, à l’aune de l’écheveau de ma sensibilité qui ouvrira des yeux avec des types nouveaux de vision. <br /> <br /> <br /> <br /> Peut-être, à cet instant précis, pourrons-nous ressentir une réhabilitation de notre « être naturel », c’est-à-dire éprouver enfin le sentiment d’être-là …d’in-sister dans le monde et de pouvoir expérimenter notre conatus : « celui de pouvoir entièrement persévérer dans notre être. »
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D
Merci cher Stéphane,<br /> <br /> Il est réconfortant d'avoir des lecteurs tels que vous.
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S
Cher Démocrite,<br /> <br /> <br /> <br /> Dans cette élévation poétique, densité et légéreté se répondent avec bonheur comme dans la ronde des éléments. J'étais dans vos pas en vous lisant et relisant.<br /> <br /> <br /> <br /> Avec mes amicales pensées,
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