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DEMOCRITE, atomiste dérouté
8 mars 2016

L'amour du lointain

 

Loin

         Lorsqu’avec impudeur et une fallacieuse assurance nous osons parler d’amour, nous ne savons pas ce que nous disons. Nous ne voyons pas de quoi il retourne. L’antique philosophie nous a habitués à la pathétique recherche d’un autre toujours absent, toujours manqué à l’image de cette moitié dont nous aurions été privés dès l’origine. Comment pareil désir ne se tiendrait-il pas séparé de ce qu’il peut dans une fuite qui ressemble à la plus terrible condamnation, celle d’un manque incomblable ?

         Aimer dans ces conditions ne serait rien d’autre que la recherche éperdue de ce qui fait et fera  toujours défaut, égarant le sujet encore et encore dans le mirage d’une altérité sans retour. Cette forme dramatique de lien dont le ressort inaperçu est obsessionnel ne peut que reposer sur l’annihilation fantasmatique de toute distance, la suppression  imaginaire de tout ce qui nous tient au plus loin de nous-mêmes dans une entreprise d’autodestruction dont l’amalgame est la règle calamiteuse. Ne voyez-vous pas que le lien que nous convoitons, que nous bénissons, que vous vénérons sans relâche tend à se supprimer lui-même ?

      Qui, sinon le poète esseulé, le penseur autarcique, le marcheur infidèle (car la marche trahit toujours le site) peut savoir le véritable amour ? Aimer, n’est-ce pas évidemment tendre vers le plus lointain et éprouver l’étrange vibration de l’insaisissable ? C’est  dans le désir de la plus haute distance, de ce qui jamais ne se peut résorber ou tomber sous le régime de la proximité, de la fusion, de l’immédiateté que sa valeur spirituelle se déploie. Le désir est étymologiquement stellaire car le ciel étoilé conserve son mystère et sa dissemblance, parce qu’il demeure définitivement éloigné de nous et subtilement silencieux.

     Reliant deux solitudes étoilées, l'amour est contemplation en l’autre de l’indomptable férocité de sa course, de son regard énigmatique, de sa pensée vagabonde, de son idiosyncrasie. C’est cela que nous aimons en vérité : notre incommunicabilité, notre énigme, notre distance infranchissable. Nous nous aimons d’autant plus que nous nous savons au plus loin l’un de l’autre et que rien ne pourra jamais nous rapprocher davantage que ce maigre savoir qui est aussi le plus beau et le plus rare. 

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Commentaires
D
Excellent prolongement ; merci Ella
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E
Belle évocation lyrique de la condition du Funambule...<br /> <br /> <br /> <br /> Comme souvent avec vos textes, elle incite à développer la réflexion.<br /> <br /> <br /> <br /> Le Funambule (celui qui s'est affranchi de la Représentation) ne peut que marcher seul, droit devant lui, en n'éprouvant que " l'étrange vibration de l'insaisissable" : cet état d'impondérabilité dans lequel il doit se maintenir, à égale distance du Réel et du Double...<br /> <br /> <br /> <br /> Dès lors, les situations courantes se présentent pour lui ainsi :<br /> <br /> <br /> <br /> 1. en relation avec un non-funambule : impossible de tenir, il serait entrainé vers l'abime du Double... (superficialité inévitable voire difficulté des relations sociales )<br /> <br /> <br /> <br /> 2. en relation avec un autre funambule, qui s'invite sur son fil : impossible de tenir, ils seraient entrainés tous les deux vers l'abime du Réel...(difficulté des relations amicales de proximité)<br /> <br /> <br /> <br /> 3. en relation avec un autre funambule, qui reste sur son propre fil :<br /> <br /> sentiment d'être compris et de solidarité, qui réconforte dans la solitude<br /> <br /> (bien que rare, possibilité de relations amicales spirituelles)<br /> <br /> <br /> <br /> 4. en relation amoureuse : il retombe dans le Double, succombant à ce chant de sirène qui est l'illusion de pouvoir fusionner : une seule âme habitant deux corps<br /> <br /> <br /> <br /> Dans ce dernier cas, comme il n'aura pour autant pas perdu le sens du Réel, un deuil déchirant sera à faire. Mais c'est juste un accident de parcours, il sortira vainqueur des ruines fumantes de l'illusion, car qui a pu s'affranchir une fois est assez fort pour le faire une deuxième.<br /> <br /> <br /> <br /> Le Funambule serait donc un spartiate ?<br /> <br /> Pas nécessairement... S'affranchir de la Représentation c'est s'émanciper, se libérer du poids de contraintes que l'on estimait impératives et dont on découvre l'insignifiance, donc l'infondé. <br /> <br /> S'en délestant, après avoir concédé le minimum sine qua non, le funambule peut dès lors se sentir léger sur son fil, évoluer avec assurance et même, avec un peu d'exercice, avancer " à sauts et à gambades", comme dans une vaste cour de récréation ...<br /> <br /> Ayant donc compris que rien de ce qui existe n'est nécessaire, que tout ce qui existe est là par hasard et constitué par hasard, il ne se préoccupera plus du pourquoi ni du comment des choses, il ne fera que se tenir le plus loin des hasards tristes et se réjouira des hasards heureux...
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N
Magnifique; je partage intégralement, et dans les langues sérieuses, l'amour ne s'écrit pas.<br /> <br /> <br /> <br /> J'ai fermé le Journal itinérant; vous pourrez donc en éclaircir vos liens.<br /> <br /> Je vous lis avec beaucoup de curiosité, bien que ne partageant pas toujours vos analyses; mais c'est aussi cela l'incommunicable, qui fait de l'autre un ami, dans la lecture silencieuse de son cheminement.<br /> <br /> <br /> <br /> Bien à vous.<br /> <br /> <br /> <br /> Nat
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S
C'est très beau, très fin, vous semblez vous tenir à fleur de l’être, avec une justesse somme toute très singulière, celle que pour ma part j'aime et m'enthousiasme qui s'éloigne de toute argumentation toujours superfétatoire, et qui laisse s'exprimer, mieux : vibrer votre daïmon.<br /> <br /> <br /> <br /> Merci cher Démocrite
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