La terreur sexuelle
Le jugement de valeur culpabilisant qui accompagne en général la sexualité (même si celui-ci a évolué) et qui ne l'admet que dans la mesure où prétendument domestiquée, elle sert les intérêts sociaux, n'est pas, comme on le croit souvent, une condamnation du seul plaisir. Quelque chose se dissimule là et se dit. Quelque chose de bien plus grave, de bien plus effrayant devant l'irruption désordonnée, imprévisible de la pulsion, devant le chaos immaîtrisable des forces vives que la sexualité "met en branle".
La pulsion "ne vient pas quand je veux, elle vient quand elle le veut", pour reprendre une formulation nietzschéenne. Le fond obscur d'où procède l'investissement pour la chose sexuelle nous dépossède de notre prétention à nous gouverner nous-mêmes et indique la présence en soi d'un centre gravitationnel, d'un trou noir, d'un Invisible d'autant plus intolérable que ses intensités sont l'expression de l'irrationnel et du hasard. Comment faire face à cette dépossession primitive du sujet devant ses propres forces ? Ne sommes-nous pas les jouets d'une irrépressible dynamique intérieure ? La sexualité fait paradoxalement signe vers une source inassignable qui, comme le note Clément Rosset dans son Schopenhauer, philosophe de l'absurde, est l'expérience de l'absurdité manifeste de la réalité humaine.
On comprend mieux pourquoi la sexualité a toujours plus ou moins fait l'objet d'un refoulement massif come si elle constituait à bien des égards une terrible menace contre tous les pouvoirs organisés et les institutions. Peut-être y a-t-il là, dans le tourbillon sibyllin de nos impulsions, l'expression radicale d'une singularité d'autant moins supportable qu'elle nous échappe dès l'origine : l'indomesticable en l'homme.
Restant le plus souvent sourd (ab-surdus) à la fécondité insignifiante de cette source, l'homme ne s'y abandonne que pour mieux l'intégrer dans une maîtrise parfaitement illusoire de sa vie intérieure, tout en demeurant à l'écart de ce qui le détermine et qui échappe à toutes normes, à tout récit, à toute prétention signifiante.
L'orgasme ne constitue-t-il pas, par excellence, cette effroyable expérience du non-sens révélant brutalement à celui qui jouit comme à sa partenaire qu'il ne comprend rien à ce qui lui arrive ? En ce sens, le récit historico-généalogique reconstruit par la psychanalyse ressemble bien à une tentative un peu folle de réinjecter du sens dans ce qu'il y a de plus incompréhensible et de plus incohérent.
Au fond, la sexualité est peut-être une manière de se tenir au plus près d'un réel pur, moment a-logique d'une "intime étrangeté" ou de la plus "étrange intimité" qui soit, expérience d'autant plus angoissante que le sujet se découvre au plus loin de lui-même, et définitivement séparé de l'autre, emmuré dans l'énigme insoluble de l'Ouvert ?