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DEMOCRITE, atomiste dérouté
10 décembre 2016

Hegel et l'impensé

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           Hegel a soutenu dans l'Encyclopédie des sciences philosophiques que "c'est dans les mots que nous pensons" et que c'est par eux que l'intériorité indistincte de la subjectivité et son fond obscur peuvent prendre une forme objective et réellement représentative. Si j'ai pu adhérer il y a des années à un tel postulat, aujourd'hui cette perspective me paraît témoigner d'une totale cécité vis-à-vis de ce qui se joue subrepticement dans le langage.

          Imaginer avantageusement que le langage articulé donne à la pensée "son existence la plus haute et la plus vraie" pourrait bien exprimer une pulsion de maîtrise et une indicible angoisse sublimée dans l'adhésion inconditionnelle à la vérité absolue. Quoi de plus rassurant que la stabilité du Vrai ! Et quoi de plus inerte et de plus cadavérique que l'Idée coïncidant avec l'Être ? Au moins ces fétiches permettent-ils de séduire des apprentis philosophes et des idéologues de tout poil en prophétisant la réalisation de la raison universelle dans l'Histoire et l'identité du réel et du rationnel. Il est tellement tentant de poser, même si cela nécessite un authentique effort d'abstraction, que par le travail conceptuel, la conscience s'arrache à la confusion du sentiment comme à l'intuition pour "produire l'universalité du savoir". (Phénoménologie de l'esprit). 

        La fascination d'une certaine "philosophie" pour la science positive a été malmenée par la science elle-même. L'éthologie, la primatologie, la paléoanthropologie montrent désormais combien il existe une pensée tout à fait opérationnelle et dynamique hors de tout langage articulé dans le monde animal dont nous sommes évidemment. L'In-fans -celui qui ne parle pas, pense tout entier avec ses mains, ses oreilles, son estomac, ses yeux et la totalité de son organisme. Il en va de même pour l'adulte comme pour le philosophe qui investit la sphère des Idées. Ce que nous pensons ne trouve pas véritablement le chemin de son expression dans les mots. L'essentiel se passe ailleurs, dans la tonalité inconsciente de l'idiosyncrasie que la parole articulée tend au minimum à voiler voire à annihiler. Il se pourrait même que ce que le mot doit dire n'est pas en réalité ce qu'il dit. Les hommes ne se tiennent-ils pas toujours éloignés du logos ? (Héraclite). C'est là l'impitoyable leçon du sage d'Ephèse. Obnubilés par la finalité et l'intentionnalité du discours, nous n'entendons pas combien le langage nous joue des tours et se joue de nous. Le véritable sujet du langage est ailleurs, paradoxalement hors de ce qui se dit, plus précisément dans un dire que nul n'entend, pas même soi.

          Peut-être n'est-ce pas seulement d'éloignement dont il s'agit mais de dévoiement, pire de dénaturation, de dévitalisation. La forme objectivante du discours accomplit comme le note Lacan, "le meurtre de la chose". "Nommer, faisait remarquer Oscar Wilde, c'est détruire. Qu'est-ce qui est ainsi détruit ? Non pas le signifié ou l'objet visé mais la pensée elle même comme originaire singulier, la puissance expressive du sujet aliénée au langage.

         La formalisation de la pensée, loin de mener à la Vérité, tient le sujet au plus loin de sa source originelle, de ses plus fécondes impulsions. Ce n'est pas dans ce que nous disons que les choses essentielles se passent mais dans une pensée qui du seul point de vue de la représentation prend la forme de l'impensé. Tout s'inverse. La pensée n'est plus là où on croit qu'elle est. De même, il faut émettre l'hypothèse déroutante que la forme du discours serait la mise en scène, la représentation de quelque chose qu'on ne pense jamais authentiquement et qui aurait à voir avec le jeu social. En somme, ce que Hegel appelle la pensée objective et la science absolue serait précisément la forme la plus éloignée de la pensée et la production artificielle d'un im-pensé maintenant la subjectivité au plus loin de ce qu'elle peut. Quel est donc le bénéfice d'un tel refoulement ? On peut y voir la jouissance du manque, cette caractéristique centrale de la névrose ou plus prosaïquement la farce du philosophe pris au piège de la mondanité de la charge qu'il doit assumer devant ses étudiants ; en d'autres termes, l'art de se tromper soi-même en trompant les autres.

 

 

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Commentaires
G
Si le coq vous pique coupez lui la tête !
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M
Votre blog est passionnant cher Démocrite et j'avoue m'y perdre parfois , j'ai pourtant horreur des combats de coqs...<br /> <br /> Michel
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A
Je lis sur France culture : À en croire Clément Rosset, les humains partagent tous le rêve d’un « double » de la réalité, un rival du réel, que les hommes s’inventent, au quotidien, pour survivre dans un monde qui se moque, à vrai dire, de ce qu’ils sont comme de ce qu’ils y font. De sorte que la condition humaine lui semble une tragi-comédie dont les protagonistes ne cessent de fuir ce qui est pour vénérer ce qui n’est pas.<br /> <br /> <br /> <br /> Je suis désolé mais le double du soleil est la lune, le double de la matière est la matière noire, le double de mon moi est un autre moi ( un homme qui change tout le temps de visages ) qui apparait dans mes rêves, le double du plein est le vide, le double du blanc est le noir, du bien est le mal, du vrai est du faux, du beau est du laid du cosncient est l'inconscient etc...ce sont bien des réalités que l'on considère ses réalités comme des bêtises ou pas. <br /> <br /> Le problème est plutôt, selon moi, que Rosset est un matérialiste extrémiste qui refoule la part métaphysique du réel pour des raisons complexes liées a la propre structure de sa psyché. N'oublions pas que la métaphysique a nourrit l'homme durant des millénaires bien avant la physique qui est très jeune et qui se comporte comme un ado irrespectuex a l'égard de son ancêtre...<br /> <br /> Voila un exemple de ce qui se passe quand on est trop matérialiste, on finit tôt ou tard par se prendre une claque métaphysique : https://www.youtube.com/watch?v=JgUQ4UAXAD4
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A
Le réel est important et existe bien mais il ne faut pas en faire une obsession, c'est un décor, c'est le lieu, la demeure de l'être. <br /> <br /> Effectivement si le réel est déplaisant un mécanisme de défense se met en place et le réel est alors plus ou moins nié, cela prouve que le réel est secondaire et que " l'intégrité "psychique, l'ego de l'individu est prioritaire afin d'éviter l'effondrement du moi qui mène au suicide, même si parfois ce mécanisme de défense n'est pas suffisant...<br /> <br /> Le réel n'est donc pas a mon sens ce qui est le plus important. D'un point de vu philosophique le réel est secondaire, ce qui fait apparaitre le réel est une bien plus belle énigme. <br /> <br /> Le réel est le monde phénoménal qui apparait et est le double de quelque chose qui n'apparait pas. Ce qui est vu est le réel et "Cela" qui voit est cet autre qui n'apparait pas et que nous sommes. <br /> <br /> Dans le zen, on dit que le réel, l'univers visible, est le corps du Bouddha.
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D
Aucun souci chère Lia Fail, <br /> <br /> <br /> <br /> Je vous ai répondu. Je vois bien que vous ne comprenez pas ce dont il s'agit ici. Cela ne pose aucun problème. Il est inutile de poursuivre puisque vous n'accédez pas au régime d'expériences déployé ici. <br /> <br /> <br /> <br /> Je suis heureux pour vous qui avez accès à la vérité et qui êtes convaincue de démontrer quelque chose. Et si, de surcroît, vous avez le sentiment de lutter contre la décadence du monde, de distinguer avec l'évidence du jugement éclairé le bien du mal, disposant ainsi d'une conscience majuscule et d'un authentique sens de l'honneur, je ne peux que me réjouir très sincèrement pour vous. Surtout, poursuivez dans cette voie. Sans doute votre Salut s'y trouve. <br /> <br /> <br /> <br /> Ici, vous ne pourrez qu'être malheureuse, au milieu d'humains déroutés et hagards, assumant leur décadence, mais surtout rétifs aux discours des prêtres comme à toute forme d'idéologie. <br /> <br /> <br /> <br /> Il est donc préférable pour vous que vous passiez votre chemin. Mais si un jour quelque chose vient percer la sphère de la représentation à laquelle vous tenez, peut-être pourrez-vous lire avec profit la Logique du pire de Clément Rosset ou Le Réel et son double. Cela pourrait vous mettre sur un autre chemin et ouvrir à d'autres perspectives...inattendues.
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L
Seul le dénommé Abraxas trouve quelque grâce à mes yeux. Je sens de la tendresse chez lui. Notamment parce qu'il s'est essayé à répondre à l'une de mes questions. Cela part d'une bonne intention. Qui pose des questions pour qu'on les élude ou qu'on réponde à côté ?<br /> <br /> <br /> <br /> Pour ce qui est de vous Démocrite, je reste globalement hermétique à vos propos. Vous n'intégrez pas mes arguments dans votre discours, je ne vois donc pas en quoi je devrais me sentir concernée par vos réponses. Vous vous contentez de répéter en boucle "Il n'y a pas de vérité", "Personne ne connaît la vérité", vous pourriez être sourd aveugle muet enfermé dans une boite, votre discours ne serait pas différent et il vous serait même encore plus facile de le tenir.<br /> <br /> <br /> <br /> Je ne comprends pas davantage ce que dit Anaximandre. Il me semble qu'il invente des mots inutile pour ne pas se servir de ceux qui existent et que tout le monde emploie. <br /> <br /> <br /> <br /> Vous autres avez votre dandysme post-moderne et moi j'ai mes évidences qui me crèvent les yeux. Entre vous et moi ne peut que se créer qu'un dialogue de sourd. <br /> <br /> <br /> <br /> "Sur quoi repose une telle logique sinon sur un principe anhypothétique et indémontrable ?"<br /> <br /> <br /> <br /> Au contraire, c'est vous qui vous complaisez dans le domaine de l'indémontrable. Moi je vous ai juste démontré qu'Hegel avait raison. Après vous pouvez choisir de vous complaire dans le gloubiboulga, grand bien vous fasse.<br /> <br /> <br /> <br /> La décadence d'une civilisation, c'est le moment où l'on perd le courage de dire : "Ceci est vrai, ceci est faux", "Ceci est bien et ceci est mal". C'est le moment où l'on devient trop timoré pour avoir encore une Conscience et un sens de l'honneur. Vous en êtes là.
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A
Dire que le langage symbolique ou pas est une hétéronomie ou une aliénation c'est ne voir que la moitié de la vérité, c'est comme dire que le chien est un animal dangereux. Le langgage est un outil très puissant et si on l'utilise n'importe comment et en excès il peut se retourner contre nous , se transformer en monstre et nous rendre fou mais si on l'utilise avec sagesse, prudence et parcimonie il devient un véritable instrument de l'intelligence. <br /> <br /> Trop réfléchir ou pas assez est un piège pour le chercheur. Idéalement on devrait même s'abstenir de réfléchir puisque les meilleurs idées surgissent de l'inconscient sans notre volonté, il faut juste attendre. C'est quand l'ego veut absolument controler la réflexion que les choses se compliquent.
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D
C'est comme vous voulez chèr(e) Lia Fail. Je ne vais pas batailler avec vous pour la simple raison que je connais par coeur le point de vue que vous défendez et qui a été le mien il y a 25 ans. Nous ne raisonnons pas sur le même plan. <br /> <br /> Connaître et penser sont deux attitudes mentales très différentes. <br /> <br /> Penser sous l'aplomb de la vérité, ce n'est pas "prétendre" dire, posséder ou connaître la vérité à moins de faire de la philosophie une religion du sens ou réduire le philosopher à un jeu de logique formelle comme vous ne cessez de le faire. Sur quoi repose une telle logique sinon sur un principe anhypothétique et indémontrable ? C'est là le piège du dogmatisme : confondre le réel et le discours, le réel et le rationnel, le réel et la logique afin d'ignorer avantageusement le besoin qui est à l'oeuvre dans la prétention à exercer la philosophie. La vérité formelle a bon dos puisqu'elle a liquidé le réel, comble du dogmatisme, en le résorbant dans la raison universelle.<br /> <br /> Bien à vous.
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L
Sauf qu'en fait c'est vous qui ne comprenez pas.<br /> <br /> <br /> <br /> Si ce que vous dites, lorsque vous dites qu'il est impossible de dire et de penser la vérité, est faux, alors vous dites quelque chose de faux, alors cela veut dire qu'il est possible de dire et de penser la vérité. <br /> <br /> <br /> <br /> Si en revanche c'est vrai, alors cela prouve qu'il est possible de dire quelque chose de vrai, donc qu'il est faux de dire qu'il est impossible de dire et de penser la vérité.<br /> <br /> <br /> <br /> Dans tous les cas de figure possible, Hegel a raison et vous avez tort. Vous avez-là quelque chose qui est aussi solide que 1+1=2.<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> C'est la blague du Crétois, la plus vieille blague philosophique du monde. C'est aussi le combat de Socrate contre les sophistes, et celui de Pascal contre la déraison. "Il est incertain que tout soit incertain" est une vérité logique.<br /> <br /> <br /> <br /> Une proposition qui est vraie sur le plan logique, est vraie. Il ne faut pas vous sentir offensé par cela. Les termes "vrai" et "faux" ne sont pas des gros mots recouvrant forcément des monstres métaphysiques.<br /> <br /> <br /> <br /> La métaphysique doit s'appuyer sur la logique, et non la nier. Sinon cela revient à entamer une quête de connaissance en niant la possibilité d'une connaissance.<br /> <br /> <br /> <br /> Ce que le jeu logique auquel je vous confronte révèle, c'est qu'il est absolument nécessaire pour un homme qui s'exprime d'avoir une certaine prétention à la vérité, sinon il ne s'exprimerait pas. <br /> <br /> <br /> <br /> Vous ne pouvez pas dire "les gens ont l'habitude de croire en ce qu'ils disent et pensent" et vous exclure du lot commun. Penser, c'est avoir une prétention à la vérité. Toute personne qui prétend le contraire se méconnait elle-même et est hypocrite.
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E
Cher Démocrite, quelle problématique passionnante ! Serait-ce le "destin" du sujet parlant/pensant d'être toujours coupé de son dire ? Quel serait cet impensé hors langage ? Je suis en train de lire Benveniste mais aussi l'ouvrage de J. Bollack et H. Wismann pour tenter d'avancer sur la question. Ce qui m'intéresse au plus au point, c'est bien ce rapport inhérent entre le langage et les êtres que nous sommes. Sans avoir de réponses, ni de réflexion bien construite ici, j'aimerais juste "balancer" quelques idées glanées ici et là dans mes diverses lectures, qui sont comme tout autant des interrogations. <br /> <br /> J. Kristeva aime à rappeler que Benveniste s'est appuyé sur cet aphorisme d'Héraclite pour construire sa théorie de la double signifiance : "une langue ne dit ni ne cache, elle signifie." (je recherche en ce moment l'interprétation qu'en fait H. Wismann et J. Bollack). Cela donne à méditer...<br /> <br /> Aussi je pense à cette idée : peut-être que nous ne sommes que des sujets "parlant" mais n'ayant rien à dire... <br /> <br /> Enfin, récemment, j'ai écouté Colette Soler sur FC et j'ai apprécié en étant aussi interpellée par cette image qu'elle donne du langage : celle d'un "parasite". Les humains possèdent cette faculté extraordinaire qu'est le langage, leur permettant d'accéder à des formes de signifiance, mais combien sont en effet conscients que le langage est une "hétéronomie", ou une étrange-familière altérité instituante et constituante ? (La vérité, n'est-ce pas l'illusion de faire Un avec sa langue ?!)<br /> <br /> Enfin, quels liens entre langage et pensée ? Il semblerait que la langue ait cette caractéristique première d'organiser une pensée du corps qui originairement n'est que chaotique, floue, "indistincte".<br /> <br /> Voilà, je ne suis pas certaine de bien faire avancer le débat ! :-)<br /> <br /> Amicalement,
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