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DEMOCRITE, atomiste dérouté
30 avril 2021

L'amour actif, une échappée belle

Cristallisation

Cristallisation, Image de Démocrite non libre de droits 

En lisant le dernier billet de Roland Jaccard consacré pour partie à l'amour, je me suis rappelé qu'à une certaine époque de ma vie, j'avais écrit à peu près la même chose dans plusieurs articles. Dans l'un, intitulé L'amour,une archéologie de la dévoration, j'analysais déjà cet affect ainsi que la relation de couple comme des entreprises de colonisation, de dévoration lente et inconsciente de l'altérité, et dans l'autre, j'usais du modèle de la tectonique des plaques pour rendre compte des stratégies souterraines de conquête que ce sentiment particulier déploie dans l'infrastructure.

Le vieux nihiliste parle aussi de "colonisation et d'annexion" donc d'emprise pour qualifier les relations d'amour. C'est exactement l'intuition que j'avais explorée alors, écrivant : "L'amour est cette sorte de pathologie de la relation qui fixe l'un à l'autre dans un attachement qui rend possible l'exploration et la conquête de l'altérité, son assimilation progressive, jusqu'à ce que l'idiotie - la particularité de l'un, disparaisse dans une domesticité affligée, sous la tyrannie masquée des forces conquérantes de l'autre."

Qu'est-ce qu'un couple sinon un "accord pathologiquement extorqué" (comme dirait Kant) ? 

Roland Jaccard évoque cette lassitude qui gagne avec le temps et qui met un terme à ce jeu faussement sentimental, abandonnant les "amants" à leurs fantômes respectifs, à leurs images du passé ; triste théâtre d'ombres où d'antiques scènes surjouées finissent par protéger le sujet de son amère solitude et de l'aigreur qui l'accompagne, "surtout quand la nuit tombe" et avec elle, les personnages qui font le moi.

Ce que nous avons appelé "amour" ressemble davantage à une production imaginaire, à une hallucination destinée au ratage à la suite d'un indépassable quiproquo qu'à une véritable rencontre. Et sans doute la plupart des relations sont-elles vouées à l'échec, à cette forme d'ignominie lâchement consentie faite de jouissance perverse, de petites vengeances, de gains aussi médiocres qu'insignifiants, de bassesses déguisées en vertus, de mesquineries comptables. Le senti-ment et masque pour un temps le "loyer" que cette relation exige comme dirait l'économiste des profondeurs. L'amour imaginaire est ici une affaire marchande, un scénario de transactions économiques, de dettes à rembourser, où se joue le déclassement narcissique du locataire face au propriétaire des lieux, jusqu'à ce que la relation s'inverse ou qu'elle finisse par buter sur le tranchant du réel. Il se peut qu'elle persiste en l'état et dure indéfiniment. Il se peut qu'elle se métamorphose en autre chose, mais au prix d'un travail psychique, d'une transfiguration de la modalité sadomasochiste qui l'encombre et la détermine.

Ferdinand Alquié distinguait "l'amour-passion" ou passif de "l'amour-action" ou actif. Le premier, tourné vers le passé, soumet la relation au processus de répétition et aux mécanismes de défense que nous avons déjà identifiés précédemment. A ce niveau, il n'y a pas d'altérité, pas de sujets, uniquement une relation d'objets constituée en images avec ses projections et son fétichisme régressif. L'amour-actif se caractérise à l'inverse par le risque, la rencontre intersubjective, l'investissement dans la réalité, autant de conduites tournées vers un futur aléatoire et aventureux que les amants actifs abordent avec cette confiance dans leurs forces propres et leur énergie commune. 

Terminons par ceci : amour passif et actif ne sont pas des essences, des substances mais des modalités de la force, que nous appelons des types pour des questions de commodité. Sans doute, ces deux types peuvent-ils occasionnellement se mélanger voire se confondre, l'un basculant progressivement dans l'autre et réciproquement. Pour autant, nous mesurerons le caractère actif de l'amour à la dose d'incertitude et d'audace que les amants sont capables d'initier dès lors que le désir de l'un rencontre le désir de l'autre, et que, de cette rencontre toujours énigmatique et "innocente quant au devenir", naisse un itinéraire dérouté et créatif ; en d'autres termes, une réjouissante échappée belle.

 

 

 

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Commentaires
G
De bien belles analyses qui dans la question de l'amour pointent essentiellement ce que j'appellerai la névrose ordinaire. Une chose est de constater, une autre de rechercher les causes qui se dissimulent sous le voile du faux-semblant. Il me semble important de remarquer que le désir trop souvent se laisse phagocyter par la demande - de reconnaissance, de fidélité, de réparation etc. Comme ces demandes ne sont jamais satisfaites, ou trop peu, les partenaires finissent par sombrer dans le marasme. Cela dit comment pourrait-on éviter les risques de l'amour ? Même dans un cloître on peut rencontrer un amour qui n'est pas l'amour de Dieu;
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D
Ce sont sans doute moins les femmes qu'il s'agit de comprendre que les interactions à l'oeuvre dans toutes les relations humaines, interactions dont les affects sont des manifestations. Ce qui se joue dans toute forme d'attachement est important. C'est pourquoi, il est essentiel de bien distinguer les deux types passif-actif qui ne sont pas que des abstractions de philosophes en chambre mais des modalités relationnelles souvent inaperçues et qu'on appelle abusivement "amour" par défaut de clarté.<br /> <br /> De même qu'il est possible de se réjouir à l'idée de rencontrer l'autre, on peut aussi se réjouir à l'idée d'une belle ascension en montagne, d'une balade en forêt ou d'une lecture stimulante : "se réjouir à l'idée de", c'est la définition que Spinoza donne du verbe "aimer". <br /> <br /> Notons que si le sujet peut se réjouir d'aller contempler la nature, celle-la reste indifférente à sa présence, ce qui, convenons-en, est un peu plus complexe dans les rapports humains faits d'attentes, de demandes et d'un passé plus ou moins bien digéré. C'est parce que le désir humain est lui même noué à des affects comme à des représentations antérieures qu'il est souvent peu enclin à "se réjouir à l'idée de".<br /> <br /> On peut comprendre pourquoi dans certaines situations, la haine se déguise en amour, la tristesse en fausse joie etc.<br /> <br /> "Juste aimer", c'est, en effet, un peu simple. Mais tant mieux si ça "marche".<br /> <br /> Bien à vous X.
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X
Tout n'est pas bon à philosopher parce que le mental à tendance, par nature, à généraliser et à caricaturer. L'amour est de ces sujets dont il vaut mieux ne rien entendre des psychiatres ou des philosophes, beaucoup trop cérébraux pour faire la juste balance. <br /> <br /> En philosophie, j'essaye surtout de chercher ce qui peut augmenter ma puissance et de fuir le reste, c'est pourquoi je considère que grimper la montagne et prendre de la vitamine C à bonne dose est de la bonne vraie philosophie, de la philosophie de terrain, active. <br /> <br /> Mais si on me demande mon avis ( ou pas ), je dirais simplement ce que la soeur de ma femme m'a dit très justement un jour, à savoir que les femmes on ne peut pas les comprendre et qu'il faut juste les aimer. <br /> <br /> Désolé d'être aussi simple...
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