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DEMOCRITE, atomiste dérouté
14 octobre 2023

De la déflagration d'un mot

Ossau 13 03 22

"La plupart des amitiés sont hérissées de "si" et de "mais", et aboutissent à de simples liaisons, qui subsistent à force de sous-entendus." (Chamfort, Maximes et pensées)

La période que j'ai traversée fut d'une rare richesse sur le plan personnel malgré son âpretré et sa rigueur. Je dis "malgré" car de cette expérience du négatif surgit une leçon de vérité aussi essentielle que difficile pour l'homme lucide. La pensée ne pense jamais véritablement que lorsqu'elle cesse de fuir ce qui lui déplait et qu'elle s'arrache à ses propres points aveugles, à ses illusions. Cette leçon m'a été donnée par l'irruption d'un terme qui a fait trou, qui est venu percer l'édifice de mes représentations. Ce mot décisif et déclencheur -  "perversion" -  dont j'ai beaucoup parlé ici ces derniers temps, a agi comme un bâton de dynamite produisant une effraction redoutable dans mon esprit, le précipitant dans une sorte de chaos intérieur.

Cette effraction est l'autre nom d'une vérité que je ne voulais pas entendre mais qui frappa si fort qu'elle me contraint à la revisitation d'une longue, trop longue histoire prise dans les filets de cette psychopathologie aussi grave qu'indécelable extérieurement. Mais voilà ! La vérité cogne comme cogne le réel qui blesse notre amour-propre, notre compréhension ordinaire des situations fondée sur le pouvoir de séduction des apparences. Je n'avais pas vu pour moi-même et pas voulu voir combien, tel Ulysse face au chant des Sirènes, je risquais de me laisser choir dans l'abîme, entrainé par une mélopée diabolique dont la tonalité passionnelle était mue par un désir d'emprise et de régression vers une unité fantasmatique. Ulysse se fait attacher intelligemment au mât de son navire et ordonne à ses matelots de se mettre de la cire dans les oreilles pour qu'ils ne suivent pas les êtres maléfiques et n'obéissent pas à son ordre de le détacher. Ulysse est précautionneux et raisonnable. Il protège son intégrité. Pour ce qui me concerne, j'ai toujours senti ce risque et mon système d'alerte a fonctionné mais la sirène sibyllinne a su percer des mécanismes de défense utiles à la sauvegarde d'autant qu'elle se comporte stratégiquement comme la Muse inspiratrice, sa cousine, dont elle est l'envers. Telle est l'intelligence perverse qui dit et présente systématiquement l'inverse de ce qu'elle est et de ce qu'elle ressent. Sa force est de sentir la faille de l'autre pour y entrer, le coloniser et tenter de s'emparer de sa vie affective. L'objectif est d'y déverser sa haine une fois réalisée la "soudure narcissique" utile à son projet destructeur.  

Ce mot, "perversion", fut un choc total, un hapax existentiel sur lequel mon intelligence est venue se fracasser, me contraignant à penser ce que je ne savais pas penser. Là réside l'esprit philosophique, non pas dans l'extension des savoirs mais dans cette butée qui est l'autre nom du Réel et qui pousse à reconnaître pour soi-même son propre impensé ; mieux, à cesser de refuser la douloureuse et pathétique vérité. Comment accepter de s'être trompé à ce point ? Comment reconnaître sa prore cécité lorsque tous les faits et les témoins font converger vers cette effrayante révélation ? Il faut dire que je la pressentais. Le mot m'est apparu en voyant le film "L'amour et les forêts" avec le personnage joué par Virginie Efira, personnage auquel je finis par m'identifier. Le travail introspectif me permettra d'entendre l'horreur signifiante du mot "perversion" m'obligeant à un véritable effort d'analyse et de compréhension sans lequel ma descente dans les abysses eût été vraisemblablement sans retour.

La puissance de ce signifiant fut telle qu'elle fît signe vers un impossible à dire, un réel pur pour lequel l'esprit ordinaire n'est pas préparé. La perversion masquée à laquelle je me suis confronté n'est jamais explicite contrairement à la pathologie la plus commune -la perversion dite grandiose. Son pouvoir réside surtout dans sa modalité fragile faite de comportements indirects et répétés, soufflant le chaud puis le froid, produisant à long terme un brouillage complet des catégories permettant de penser habituellement une relation. La sirène maléfique perturbe ainsi gravement le fonctionnement du cerveau en neutralisant son système de protection. Ce dernier ne parvient plus à lire, à déchiffrer, à comprendre, à rendre intelligible ce qui se passe. Cette confusion procède d'une manipulation très subtile et sournoise et destructrice dans sa visée, car l'autre qui n'existe pas comme autre est objet d'une haine archaïque aussi dévastatrice que clivée chez la personnalité perverse.

L'autre leçon de vérité concerne directement les relations dites d'amitié que j'ai évoquées dans mon précédent billet. Là encore, la puissance de la pensée de chacun est mise à l'épreuve face à des éléments de réalité. Il est intéressant de constater combien le refus d'interroger sur le fond ce qui s'énonce-là peut être révélateur des limites qui bornent la relation. Car la tentation est forte de renvoyer cette expérience du Réel à la subjectivité privée, à l'intimité et de pratiquer un relativisme de confort pour ménager la chèvre et le choux. C'est la possibilité même d'un philosopher en partage qui se joue comme une certaine conception de l'amitié dont on finit par croire qu'elle est acquise. Avec cette tempête signifiante, la nature réelle du lien se dévoile et comme le note Chamfort, "de simples liaisons subsistent à force de sous-entendus". L'expérience douloureuse dont le mot "perversion" est le nom a sonné l'heure du réveil et avec lui, il était grand temps de faire le ménage sur tous les plans.

 

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