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DEMOCRITE, atomiste dérouté
24 février 2024

Du printemps dans l'hiver : méditations

 

Crête du Jaüt Ossau bis

I) Le mélange des saisons, l'hiver fondu dans le printemps, si coutumier en Béarn, est pour mon idiosyncrasie, une puissante stimulation. Pour tout dire, les épreuves de la vie sont d'étonnantes occasions de renforcement, de mue, de transvaluation des hiérarchies intérieures qui ont prévalu pendant de trop longues années. L'arraisonnement psychique par le psychisme d'un autre trouve ses raisons profondes dans l'inconscient. Certains êtres maléfiques savent profiter de la faille qu'ils ou elles identifient pour s'y introduire et déverser leur poison à un rythme plus ou moins lent, plus ou moins invasif. Il y a folie à céder à la folie d'un(e) autre surtout lorsque celle-là mène à la division intérieure, à l'affaiblissement de sa puissance sous l'effet de ce pouvoir qui ne dit jamais son nom, qui avance masqué et qui frappe de façon latérale ou dans le dos le plus souvent. Il m'aura fallu du temps pour identifier, débusquer, diagnostiquer, écarter, défaire, digérer puis éliminer définitivement cette psychologie de la vengeance dissimulée derrière un personnage sibyllin, un pur simulacre sans réelle consistance. Ce fut l'entreprise de libération la plus remarquable de la dernière période de ma vie. Elle ne fut pas sans douleur. Cette lente opération sismique évoque à mes yeux la "grande souffrance" théorisée par Nietzsche, ces expériences de vérité qui nous aplatissent d'abord puis nous mènent subrepticement aux fantasmes de base - inconscients - sur lesquels nous organisons et édifions sans le savoir notre rapport à la réalité. La grande souffrance est une occasion de prise de conscience pour un psychisme attentif à la nécessité de sa propre mutation intérieure. C'est là que le réel cogne. C'est là qu'il fait signe vers ses propres aptitudes à l'évolution ou à la régression pathologique. C'est là qu'on mesure sa propre vitalité ou ses rigidités mentales, enkystées depuis toujours. La santé, comme le note brillamment Canguilhem, c'est le luxe de pouvoir tomber malade et de s'en relever". Oui, s'en relever, mais pas pour rejouer la même partition. S'en relever pour inventer autre chose, pour créer une nouvelle temporalité. C'est d'ailleurs ce qu'Hannah Arendt avait fort bien vu en analysant le processus de la crise. Toute crise est un moment de vérité. C'est bien de vérité dont il s'agit. Non pas d'une vérité pour intellectuels frileux et cacochymes, mais d'une vérité aussi printanière qu'essentielle en ce qu'elle réoriente le cours d'une vie après avoir révélé et défait à la racine le pouvoir destructeur de l'illusion.

Gavarnie Mt Perdu bis

II) Je retrouve en moi tous ces derniers temps l'adolescent aventureux que j'étais lorsque je me risquais dans les immensités boisées des Vosges. J'aimais me perdre en forêt et dans la Lorraine de mes 16 ans. J'avais de la chance. Je quittais le nid familial et, chevauchant ma 103 SP, je parcourais les routes ombragées qui me menaient dans la forêt de Haye. Là, je marchais des heures, je humais l'air printanier, je courais dans les prairies, j'écoutais le murmure de l'engoulevent et le frisson des feuilles naissantes et je frissonnais avec elles. Je me sentais vivant et fort de cette énergie des premiers temps qui se sait active et créative, qui se déploie dans l'innocence de son devenir. J'étais aussi un danseur infatigable, traversé par le rythme de mes propres pulsations et, depuis cette faille logée dans mon coeur, j'éprouvais l'indistincte altérité, la puissante indifférence de cette Nature que j'appellerai plus tard, le Réel.

Pic du Mont

III) Je marche et retrouve la joie d'un pas délesté, affranchi, ouvert sur les grands espaces pyrénéens ; je me renforce, je nage, je m'étire, je m'assouplis, je respire et j'éprouve intact ce plaisir de danser sur ces musiques qui m'ont accompagné jadis, lorsque je pratiquais l'animation à l'heure insouciante des premières radios-libres, au début des années 80. Auparavant, les radios ne l'étaient pas, libres. Incroyable cette expression : radios libres ! Et aujourd'hui ? Le sont-elles, elles qui sont, depuis longtemps, soumises aux lois du marché, à la publicité ou à la folie de quelques milliardaires illuminés ? Mais qu'importe ! En grimpant l'autre jour sur la crête du Jaüt, l'Ossau m'est apparu comme la divinité première, tendue comme un arc vers le devenir incertain. J'étais seul. J'étais bien. Quelques isards paressaient en contrebas dans de curieuses "estives hivernales". C'était beau et froid. Je suis vite redescendu, le corps leste et délié, les mains ouvertes sur la vie qui s'invente en marchant.

13 01 24

IV) Mercredi 6 mars, à 18h45, dans ce lieu propice à la méditation - Danser sous la plume, à Pau, j'interviendrai publiquement pour  présenter l'exercice philosophique de la marche. Après avoir distingué différents types de marche, il s’agira d’emprunter des "chemins déroutés" pour interroger ce que cette pratique philo-esthétique a de singulier, en quoi elle mène l’esprit vers l’originaire d’une sauvagerie qui est l’autre nom du refoulé humain. Marcher vers les sommets est un étrange parcours initiatique qui délivre l’homme de la pesanteur de ses habitudes, de la fatigue de son regard, propulsant la pensée à l’air libre, là où comme le remarque Nietzsche, «même les chemins se font plus méditatifs ». Peut-être découvrirons-nous que toute marche authentique marche peu ou prou à reculons. Se délestant de son passé, l’esthète-montagnard s’affranchit par la pente de sa propre gravité. Et parvenu sur les cimes, au bord d’une solitude radicale, lorsque mille perspectives surgissent et que la plaine semble noyée dans un tissu de brumes, c'est l’idée même de ce qu’on appelle imprudemment... la réalité qui s’en trouve renversée par l’altitude. Cet exercice de la marche est l’autre nom d’une «philosophie de l’esprit libre ».

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Commentaires
D
L'envers de la parole
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Z
Et que disent vos rêves ?
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