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DEMOCRITE, atomiste dérouté
18 juin 2007

Le caddie du citoyen

J'avais été frappé, il y a quelques semaines, de l'analyse et de la réaction de Vincent Peillon, porte-parole de Ségolène Royal, lors des fameux débats participatifs pendant la campagne présidentielle, qui dénonçait, non sans quelque véhémence compréhensible, cette nouvelle tendance des individus-citoyens cherchant à marchander les contenus des programmes politiques  à partir d'intérêts délibérément corporatistes ou auto-centrés.

"Je suis chasseur, alors, si je vote pour vous, qu'est-ce que allez faire pour les chasseurs, et que ferez-vous pour les artisans etc. L'un de venir avec son problème de collection de coléoptères et de réclamer de nouveaux droits pour les collectionneurs, l'autre, motard de demander ce que la gauche prévoyait pour les motards, celui-ci pour les chômeurs, celui-là pour les retraités, ect. Bref, chacun venant chercher la mesure qui le concerne lui ,dans un aspect de son existence qu'il juge central et qui est censée déterminer son orientation politique. J'avais assez apprécié la réaction de Peillon invitant les quémandeurs à formuler leur demande au bureau de l'assistance publique. Il laissait entendre par là que la politique ne se réduit pas une chambre d'enregistrement de la réclamation individuelle, fût-elle légitime, et que l'addition des désirs individuels ne constituera jamais une ligne politique et encore moins un débat citoyen.

"Il y  a quelques temps, disait-il, les personnes venaient débattre avec une vision politique, une critique éclairée du capitalisme et des enjeux de société. "

C'est comme si on assistait à une profonde modification de l'activité citoyenne devenue une sorte de bureau des plaintes pour malheureux. La politique n'est plus le lieu des conquêtes et des convictions, l'espace où s'affrontent des visions du monde, mais le temps d'une opportunité centrée sur la demande et l'insupportable frustration individuelle.

Cette nouvelle "définition du citoyen" comme consommateur à la recherche du produit le plus économique placé dans le caddie de ses malheurs pose évidemment problème à la classe politique car tout le discours sur les valeurs et les ancrages idéologiques semble être parfaitement inopérant et ne plus guère rencontrer l'individu, plus soucieux de son porte-monnaie que de l'intérêt général. De quoi retourner un Rousseau dans sa tombe ! L'auteur du Contrat social définissait la citoyenneté comme l'acte par lequel l'individu, renonçant aux caprices de ses seuls désirs, se constitue librement citoyen par la recherche d'un intérêt supérieur. Le citoyen est l'homme ou la femme capable de concevoir, par l'exercice de sa raison, un intérêt général permettant l'expression d'une volonté elle-même générale. De fait, ce passage de l'individu au citoyen, cette mutation de l'état de nature à l'état civil faisait naître, pour Rousseau, une conception morale et universalisante de la politique c'est-à-dire cette chose publique, la république (res publica) distincte par principe de tout ce qui relève de la sphère privée. Où diable est passée cette volonté générale ? Où diable l'individu est-il encore capable de penser au-delà de sa propre sphère dans un horizon aussi élargi et impalpable que celui de la mondialisation ? La politique n'aurait-elle pas reculé et avec elle le citoyen retranché dans l'individualité ? La pensée n'aurait-elle pas succombé à la toute puissance des désirs constamment sollicités et suggérés par l'environnement économico-médiatique ?

Je m'interroge sur la définition du "politique". Le vote du citoyen ne serait-il qu'un acte mercantile dans l'hypermarché du paysage politique ? La république se serait-elle dissoute dans l'expression de volontés définitivement individuelles, s'additionnant au gré des campagnes publicitaires, visant à conquérir des parts de marché et à transformer le citoyen en consommateur politique ? 

Le deuxième tour des éléctions législatives, avec cette exhumation inattendue d'une gauche souffreteuse, me paraît assez révélateur de cette prolifération du consommateur-citoyen . L'argumentation qui a été celle de la gauche entre les deux tours s' est centrée sur le retour supposé de la question sociale dans le débat politique à l'occasion de la fameuse TVA sociale et des forfaits-santé visant à réduire des remboursements des soins médicaux. Il aura suffi que des mesures pouvant frapper le portefeuille des français soit annoncées pour que la droite recule dans la représentation nationale. Voilà qui est étrange !  Qu'on mette en place le bouclier fiscal, qu'on supprime l'impôt sur les droits de succession, qu'on réduise l'impôt sur le revenu, qu'on augmente les heures supplémentaires détaxées etc, tout cela est acceptable pour l'individu désirant plus (et toujours plus) car gagner plus est la revendication de l'individu désirant, pas forcément celle du citoyen réfléchissant sur les conditions et les conséquences de ce gain. Qu'on fasse payer les agents EDF ou les cheminots pour leur statut au nom de la justice va tout autant dans le sens de cette concupiscence autocentrée, mais compenser évidemment toutes ces mesures par un impôts aussi implacable et immédiat que la TVA et voilà qu'on aurait affaire à un sursaut, que dis-je une nouvelle conscience politique en marche ? Allons donc ! Je n'en crois rien. J'y vois le même logique à l'oeuvre, celle d'un profond désenchantement du citoyen retranché sur des crispations identitaires, strictement individuelles et sur l'intérêt privé ; que le gouvernement distribue des miettes à certains et de somptueux cadeaux à d'autres ne pose guère de problèmes car une miette c'est toujours mieux que rien ! Que tout le monde soit mis à contribution pour financer ces mêmes mesures et voilà que l'individu se découvre soudainement une conscience de gauche et un profond désaccord.  "Plaisante justice qu'une rivière borne ! " dirait Pascal.  L'universalité et la moralité, c'est toujours pour les autres !

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Commentaires
G
le dernier homme est cette figure nietzschéenne de l'homme épuisé du nihilisme passif, étranger définitif à toute question d'universalité, retranché dans son petit carré de quant-à-soi et de petits bonheurs mercantiles. Nous y voilà. Même l'idée d'universel est inconcevable pour notre postmoderne fatigué. dans ce symptôme général de décrépitude et de morne individualisme se lit la défaite de la pulsion de vie. Faut-il se désoler? Faut-il rire ou pleurer? Ou se réjouir de cette accélération foudroyante de l'histoire qui va sans doute balayer tout ce qui avait quelque prix et valeur de par le monde? Accélération vers quoi? GK
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