Mère et fille, le miroir des forces réactives
« J'avoue que mon objection la plus profonde contre l'éternel retour, ma pensée proprement abyssale, c'est toujours ma mère et ma sœur. » (Ecce Homo, phrase censurée par Elisabeth Nietzsche, citée par Safranski)
Ce qui empêche Nietzsche de prononcer pour lui même la parole affirmative et résolument performative (un oui franc au destin, sans arrière pensée : Amor fati), parole qui ferait de Nietzsche un authentique nietzschéen, c'est la somme toujours plus grande des forces réactives attachée à la figure de la femme ; femme prise dans le jeu aliénant et aliéné de la domesticité : sa mère et sa soeur, deux représentantes de l'esprit grégaire, du troupeau, ces "bêtes à cornes" toujours promptes à défaire l'audace et l'ironie sous le joug implacable de la répétition.
Ces forces-là, réactives, les forces maternelles sont du côté de la sécurité, des besoins, de la dépendance, de la nutrition, de l'élevage, de la dette infinie à l'égard de la volonté qui porte l'espèce et la soumet au diktat de la survie. La femme, « cette sorte de matrice prête à recevoir la semence » comme dit Démocrite, cette infernale pondeuse qui passe sa vie à se mirer dans ce qu'elle prend pour le fruit de ses entrailles, est résolument l'obstacle aux forces actives, parce qu'elle est l'incarnation du vouloir-vivre dans sa forme carnassière.
L'enfant est la cause de sa voracité, de sa tristesse, de sa cécité fondamentale à l’égard des puissances de vie, de sa soumission au règne biologique de la duplication. La ponte irrésistible de la mère se nourrit du pouvoir dont elle croit disposer à l'égard de sa progéniture et qu'elle exerce sur la totalité des liens de parenté. Le poussin est l'objet de toutes les transactions. Son cri strident aliène les forces vives de la femme sous le poids des normes et la tyrannie du vouloir-vivre. Plus Il hurle son désaccord et son arythmie, plus il accroît la terrible angoisse de séparation. Sa puissance de nourrisson renforce le pouvoir négateur de la mère. Comment pourrait-elle se libérer de sa fascination pour son ventre, pour son double fantasmatique (sa fille), comment pourrait-elle se déprendre de ce qu’elle croit posséder et qui, dramatiquement, l’aliène à l’infini ?
"Ma mère et ma soeur" écrit Nietzsche, il aurait pu dire « ma mère et sa fille », le couple infernal, inséparable, terrifiant, saturé, qui nourrit la même passion réciproque pour l'insatisfaction et la haine de soi et qui projette sa hargne sur l'altérité et le réel toujours dangereux, insupportable. C’est que l'infâme volonté de la nature produit tout et si possible le même. La mère a trouvé le même dans la fille et la sœur a trouvé son double dans ce frère dont elle s’acharnera à falsifier l’œuvre en la rabattant sur les thèses les plus pathologiques et les plus infernales qui soient, celles du national socialisme.
La philosophie de Nietzsche incarne le dépassement de la volonté et l’œuvre, le renouvellement infini, Dionysos en acte, indomptable création, éclosion insolite d’un devenir libre que ces deux bonnes femmes, dramatiquement communes et tellement peu originales ne peuvent, au fond tolérer et encore moins comprendre.
Moralité : si l’homme est aussi une femme, il n’est pas une femme comme les autres, parce qu’il ne peut pas être mère.