Une expérience de vérité : Jaüt

Toutes les photos sont de Démokrite, non libres de droit.

        Aujourd'hui, il fait beau en Béarn, une fois n'est pas coutume et les Pyrénées m'appellent pour vadrouiller et respirer un peu. Je veux ici partager ma récente expérience du Jaüt, ma divinité calcaire, ma crête esseulée, celle qui me livre une part du monde d'en-haut et du monde d'en-bas. Nous en avons passé des moments de haute densité sur ce promontoire pour vautours fauves et quelques nomades en transit comme nous.

         A l'époque, j'y montais avec une Sibylle aux yeux ronds et indécidables et j'étais heureux, captif du mirage qui m'a tant coûté ! Mais ce mirage était doux comme tous ceux que nous avons partagés. Qu'est-ce donc que la réalité ?

        Là-encore, c'est peut-être Schopenhauer qui répond le mieux : "Le monde est ma représentation." Dans mon "imbécilité" portée par la ruse du Vouloir que le maître en désillusion appelle "amour", je croyais à des représentations partagées. J'aimais son pas rapide, désordonné, son allure, sa finesse, sa féminité, sa détermination et tant d'autres choses encore que je calmais par mon rythme lent et assuré. Je l'aimais et j'étais captif d'une sirène avec tous les riques impliqués par son chant hypnotique provenant des profondeurs les plus abyssales.

         Je voyais deux êtres vivant à peu près les mêmes expériences et aptes à en témoigner avec leur idiosyncrasie propre. Ce n'était pas faux. Mais ce que j'avais cruellement ignoré, c'est l'asymétrie qui gouvernait ce que je croyais être une relation esthétique avec ses moments de vérité partagée. Cette asymétrie hors langage a précipité une part de mon existence dans les limbes, une part seulement...mais c'est déjà beaucoup, beaucoup trop.

        Mais j'y suis aussi monté seul au Jaüt car je sais la solitude des grands espaces. Elle ne me fait pas peur. Mieux, elle me stimule et m'encourage, me donne à sentir avec plus d'acuité l'air des cimes. Là, je vois ces pics silencieux, je sens cette aphasie planétaire qui me renseigne sur le courage de vivre et d'affronter l'indifférence qui fait la splendeur du monde. 

La beauté est hors-langage mais elle est inoffensive et dans son impermanence nous livre le secret d'une vérité qui ne fait que passer : Alêtheia.

Miracle : la Rhune surgit dans le disque solaire à 100 km de là ! Il est temps de redescendre et de regagner la terre bruyante et habitée des humains !

Comments

[Democrite]

Merci cher Pierre-Paul pour ce passage qui ne me laisse pas indifférent. Je connais le Signal de Bassia, très beau promontoire également....

[Pierre-Paul]

Merci pour ces textes; celui-ci me touche plus spécialement, ayant moi-même souvent recherché une solitude bienvenue sur une autre divinité calcaire (le Signal de Bassia), d'où je pouvais à loisir contempler le Jaüt en silhouette vers l'occident.

Je me permets l'audace de glisser ici une contrepèterie de circonstance, tu en apprécieras l'opportunité, heureux de courir sur le mont.

[Pyrrhon]

Un bien beau voyage à travers l'espace et le temps. et un retour au présent comme un atterrissage en douceur. Merci