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DEMOCRITE, atomiste dérouté
18 septembre 2023

Les saisons de la perversion narcissique

Perversion Banque de photographies et d'images à haute résolution - Alamy       

      L’été s’achève avec les premières tempêtes automnales qui marquent l’approche de l’équinoxe. Il m’aura enseigné la signification et le mécanisme de la pathologie narcissique qu’est la perversion. On doit à la psychanalyse et à Paul-Claude Racamier en particulier d’avoir identifié et défini cette maladie mentale qui oscille entre névrose et psychose. 

      Pour ma part, je l’ai vue à l’oeuvre d’assez près et suffisamment longtemps ; je l’ai à ce point reniflée chez l’autre pour me rendre compte des enjeux assez fascinants -et délétères, qu’elle contient et manifeste. Ce n’est pas pour rien que le cinéma et les séries se sont engouffrées dans cet inépuisable filon de la perversion narcissique. C’est qu’elle est incroyablement révélatrice des failles qui secouent la structure sociale et les enjeux liés à l’image de soi dont certains sujets sont dramatiquement porteurs.

Le pervers qui peut être une perverse met en place un scénario particulièrement bien rodé et répétitif qui débute par la fixation sur un objet devenu "proie". Cet objet est tout sauf choisi au hasard. Il doit être narcissiquement intéressant c’est-à-dire rentable pour combler le vide qui le, la caractérise. Le pervers souffre d’un manque totale d’intériorité, d’une faille narcissique telle qu’il cherche à tout prix à se rassurer (« je suis une belle personne ») en absorbant l’énergie et la vitalité d’un autre qui possède des qualités d’empathie, d’hypersensibilité, d’aidant voire de sauveur. Le ou la perverse va donc se nourrir de cet autre dont Racamier constate d’ailleurs l’existence d’une blessure assez proche de celle du pervers mais produisant un comportement diamétralement opposé.

Une fois la proie repérée, la séduction entre en jeu et avec elle la promesse d’un temps particulièrement chaud, estival. C’est la période du love bombing, moment pendant lequel tout semble fusionner entre les deux individus. Sexualité torride et potentiellement débridée, voyages et autres expériences d’intimité qui passent par l’usage des mains : massages et autres techniques participent de cette manipulation qui fera l’emprise. Cependant, quelques éléments sont déjà étranges car cette sexualité est curieusement mécanique. Les baisers sont bizarrement froids comme s’il n’y avait personne sous la surface. 

Puis, un premier signe alarmant vient la percer : la jalousie pathologique. Le ou la perverse ne tolère aucun tiers et éprouve un péril grandiloquent et démesuré face à des autres devenus des rivaux susceptibles de lui arracher son objet. Car celui qu’il ou elle a choisi est à elle ou à lui. Pas question qu’on le, la lui dérobe ! Cette jalousie est dans le même temps le signe de la tyrannie des liens dont j’ai déjà parlé et que le pervers met en oeuvre par des comportements d’intrusion (fouiller le téléphone, les mails, contrôler les déplacements de l’autre, le surveiller, contacter ses amis etc.). Le ou la perverse est structurellement dans la défiance vis-à-vis de tout autre. C’est pourquoi il n’y a pas d’amour possible ni véritable chez une personnalité atteinte de ce trouble grave. 

A ce comportement s'ajoute la victimisation. L'objectif est de sensibiliser sa proie, d'activer chez la personne empathique des mécanismes de protection et de soutien. Et, dans cette période encore chaude de l’été, sa demande d’amour est formulée et se fait croissante : « Hé toi, dis-moi que tu m’aimes ! » « Je ne suis pas ton amour peut-être » ? C’est encore le début de la relation. Mais là aussi, les choses s’accélèrent au point que la demande se fasse de plus en plus envahissante et même insupportable pour l’autre. En réalité, cet autre n’est en rien concerné. Le mouvement exigé est totalement et exclusivement centripète. Le ou la perverse ne pense qu’à lui ou qu’à elle. L’autre, comme outil doit servir coûte que coûte son narcissisme défaillant. Il ou elle veut dans la confirmation de cet amour se remplir de ce qui lui fait défaut. 

 Il s’agit de créer les conditions d’une dépendance affective afin d’exploiter ensuite de toutes les façons possibles son objet et passer à la phase froide : la vengeance. Mais pas trop vite !

Rapidement, après le chaud, voilà l’automne et ses premières tempêtes. Un troisième signe fait alors son apparition : l’obsession de l’argent et la rentabilisation des situations. Le pervers crée une relation dissymétrique avec sa proie. Il se fait inviter mais n’invite pas ou très peu. Il veut recevoir des cadeaux mais lorsqu’il en fait, il compte tout et doit obtenir un remboursement. Il calcule tout et entend tout maîtriser. Economiser du chauffage, jouir d’une bonne connexion internet, profiter d’un lit douillet, d'un accès à Netflix ou à une autre plateforme, de provisions, d'amis généreux, sont des mobiles suffisants pour envahir l'autre et l'investir. Une fois l’accroche effectuée, le dénigrement s’installe et avec lui les mensonges, les humiliations méthodiquement mises en place. Les hommes et les femmes ne procèdent pas de la même manière sur ce plan, ces dernières sont infiniment plus sournoises que les hommes en la matière comme le révèlent les spécialistes du domaine. Si l’homme se montre potentiellement violent et direct (il est donc ici repérable), la femme use de stratégies doucereuses mais très progressives comme le fait de faire disparaître des cadeaux, d’user de mots dégradants mais subtilement et distillés de manière répétée, de faire des comparaisons avec d’autres anciens amants etc. 

Un autre point apparaît alors : l’incapacité de changement, de remise en question personnelle. Le pervers et la perverse sont emmurés dans des mécanismes de défense bétonnés. Rien ne bouge. La proie, empathique cherche à faire bouger les lignes mais elle se heurte à un mur, à une structure d’une impressionnante rigidité qui fait semblant d’écouter mais qui entend garder le contrôle.

Ce qui est également significatif est le vide de la pensée et l'absence de désir propre du ou de la perverse. Il et elle ne pensent pas vraiment mêmle s'ils sont capables de donner le change en maîtrisant l'art de la parole et même parfois des concepts philosophiques dont ils usent pour animer leur stratégie. Mais l'ensemble demeure coupé de leur réalité intime qui fait l'objet d'un profond clivage.

 Le point commun entre tous les pervers est de maintenir absolument une image de soi inattaquable extérieurement, ce qui permet au passage d’isoler la proie et de tenter de discréditer son témoignage auprès des autres et des amis communs. Les pervers sont socialement très intégrés donc difficilement repérables. Ils usent de « couvertures » pour se mettre narcissiquement à l’abri, intègrent des associations humanitaires, de défense de telle cause politique, environnementale afin d’échapper à tout jugement négatif les concernant. Ils se cachent derrière les valeurs morales qu’ils revendiquent mais qu’ils bafouent dans l’intimité : la justice, la protection de la nature, le bien commun etc. Ces couvertures ne sont que des apparences pour faire fonctionner leur comportement destructeur car chez eux, comme le note Racamier, « le mensonge réussi compte comme une vérité. » Le pervers et la perverse mentent dès que leur besoin est en jeu.

Le froid s’installe et avec lui l’hiver et ses stratégies de manipulation, de retournement. La vengeance se déploie car le pervers veut détruire son objet, exprimant par là, la haine qu’il a éprouvé pour ses parents qui lui ont fait subir des traumatismes infantiles souvent graves. Le pervers a donc, la plupart du temps, été victime de parents eux-mêmes pervers. Répétant les comportements violents de ces derniers, il se venge sur sa proie. Racamier fait ici remarquer combien cette personnalité est psychiquement et affectivement celle d’un ou d’une enfant de 5 ans dans un corps d’adulte. Sa maturité sur ce terrain est nulle et il ou elle se croit parfait(e) comme peut le croire un être qui n’a pas grandi.

Il est d’ailleurs remarquable de constater la réaction mimétique de la proie. A la défiance du pervers celui-là ou celle-là opposera sa propre défiance, contraint de se protéger. A la violence des humiliations, il ou elle se défendra par des comportements réactionnels qui mobilisent colère et ressentiment mais dans lesquels il ne peut pas se reconnaître car ce n’est pas son mode ordinaire de résolution des conflits. Le pervers et surtout la perverse sait fabriquer la colère chez l’autre pour ensuite l’accuser d’être à l’origine des conflits, par exemple en refusant de discuter, en retournant les arguments, en ne se remettant jamais en question, en usant comme on l’a vu de silences volontaires et négateurs de la réalité de l’autre. Mais là encore, un subtil dosage de la méchanceté est requis car il se pourrait bien que l’autre se rebiffe et fiche le camp. Le risque est grand. 

C’est pourquoi, dans sa folie, il va falloir très vite souffler à nouveau et soudainement le chaud. Un vent d’été venu du sud envahit les lieux glacés et tout semble à nouveau possible. La séduction se remet en place et le cirque recommence. Au chaud succède brutalement l’air des pôles brouillant le sens du message. La proie ne comprend pas ce qui se passe. Cette manipulation a pour but d’hypnotiser l’esprit critique, d’anesthésier son pouvoir de résistance. Chaud et froid deviennent des stratégies pour se venger de la manière la plus efficace possible en plongeant l’esprit de l’autre dans la confusion, le désarroi, oscillant sans cesse entre sentiment de culpabilité et agressivité à l’égard du manipulateur ou de la manipulatrice. La proie s’épuise petit à petit dans la relation jusqu’à ce que l’autre décide d’en changer en organisant le scénario qui permettra de se débarrasser de celui ou de celle qui désormais n’est plus suffisamment intéressant(e) pour nourrir son narcissisme et son portefeuille. Il faut dire que si la victime découvre sa perversion, le schéma s’effondre et avec lui la manipulation. Dans ce cas, le ou la perverse prend la fuite et change de lieu et de fréquentations pour recommencer ailleurs le même numéro. 

 Une nouvelle saison pointe, un printemps pour celui ou celle qui échappe à pareille organisation psychique. Même Racamier note pour lui-même quelque part qu’il vaut mieux ne pas trop rencontrer ce type de profil tant le danger est grand. C’est pourquoi, il est absolument nécessaire de diffuser autant que faire se peut les caractéristiques spécifiques de cette pathologie pas comme les autres dont les effets sont d’autant plus dévastateurs que leurs auteur(e)s sont socialement masqué(e)s et semblent extérieurement inoffensifs ou inoffensives. Mais sous l'apparence d'une sympathie, d'une gentillesse, d'une âme pure, couve une hargne qui faisait dire à Hobbes dans son Léviathan, combien "l'homme peut feindre d'aimer l'autre et, en réalité, le haïr secrètement." Le philosophe anglais avait déjà bien compris le fonctionnement de la perversion humaine.

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