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DEMOCRITE, atomiste dérouté
27 septembre 2006

Honteuse ignorance

En questionnant ce matin les étudiants sur la signification d'une notion que je tente d’élaborer avec eux, je constate une incompréhension massive qui n’ose se dire publiquement. Il me faut insister : comprenez-vous le sens de ce développpement ? Il me faut insister encore pour qu’une réponse timorée et confuse parvienne à mes oreilles.

Je me demande alors pourquoi il est toujours indispensable de supplier les étudiants d’intervenir lorsqu’ils ne saisissent pas de ce qu’ils prennent en note. Se taire est de mise. On préfère le lourd silence de son ignorance que l’exigence de clarification. Mais quoi ? Est-il si infamant de signaler une incompréhension ? Il me faut leur signifier que le devoir du professeur est de rendre la pensée, si complexe soit-elle, accessible aux élèves. C’est là la mission qui est la sienne, c’est sa fonction. Je suis mandaté et rétribué par l’Etat pour cela. Et pourtant, les rôles se figent et ne se rencontrent plus. L’élève qui est ici pour comprendre, élaborer des outils d’analyse persiste dans son ignorance chronique, le professeur dans sa maîtrise ! Il peut poursuivre sa thèse, ses développements sans que rien ne se passe. Il peut dérouler son cours telle une mécanique parfaitement huilée devant de très sérieux (es) secrétaires qui inscriront sur leur cahier des théories hétéronomes et étrangères. Il se maintient dans l’illusion d’une pensée construite, explicite et partagée par la seule évidence de son exposition. Il n’a affaire qu’à lui-même dans le mouvement lisse et sans rugosité d’une parole déjà constituée et transposable à l’identique vers d’autres cieux, d’autres classes dont on se demande si, au final, elles existent en face de lui. Le maître parle, les élèves écoutent et écrivent avec la fidélité du chien ! Le prof poursuit dans une posture autistique réclamée et paradoxalement devenue la norme !

Une incompréhension ouverte et assumée, énoncée à voix haute, ne peut voir le jour dans l’espace public de la classe sans craindre pour son image. Elle n’a, pour ainsi dire, pas droit de cité. S’agit-il de protéger l’enseignant ? Non. La pression du groupe est ici déterminante et l’histoire scolaire se réactive dans les postures de repli et de négation de soi-même. Que le prof signifie que sa fonction et son autorité l’engagent dans des nécessaires clarifications paraît parfois surréaliste. Que d’interdits et de blessures anciennes circulent dans cette résistance illégitime ! Que de violences institutionnelles et de craintes dans le maintien d’une confusion ! Combien de mes collègues ont-ils menacé les élèves ou se sont-ils eux-mêmes sentis menacés dans l’énoncé d’une question ? Combien d’humiliations retournées à la face des ignorants, honteux qu’ils doivent être, de signifier leur ignorance ? C’est là tout le problème de l’objectivité des contenus soutenus par le poids de l’autorité du prof. Or, il n'est d'objectivité en dehors d'une méthodologie et d'une implication critique des auditeurs. En ce sens, le discours du professeur est ce tremplin vers la construction d'une objectivité vers laquelle tend a priori l'élève. Son questionnement critique affermit sa propre position d'auteur et invite l'expert à préciser le sens de sa démarche et la précision de sa propre analyse. Tout contenu enseigné devient cet ob-jet à constituer, à construire par le seul travail d'une raison active et dynamique qui ne se soumet pas et qui ose la question.

Or ici, le discours du professeur fait loi même lorsqu’il n’est pas intelligible. Questionner c’est prendre le risque de l’attaque publique, c’est menacer l’autorité du maître, perçu comme instrument institutionnel de contrôle et de censure qui fait peser le risque du jugement définitif et de la disqualification. Tel est le malheur de la posture ; double malheur en vérité, de l’élève qui refuse sa propre élévation dans l’espace scolaire et y renonce par précaution, du maître nié dans sa compétence pédagogique réelle et dans l’affleurement de ses propres failles et de ses zones d’ombre.

C’est qu’il faudrait interroger cet objet qu’on appelle le "savoir", cet élément sacré qui discrimine et constitue dans le même temps le fantasme d’un pouvoir vertical, dont le maître est le dépositaire et le garant. Le maître, dominus asseoit sa domination dans l’obscurité de sa pensée sybilline, pensée qui peut s’accommoder de la soumission et suggérer aisément la négation de l’autre. L’autre c’est-à-dire l’élève pourrait-il devenir cet égal dans l’usage critique de sa propre raison ?

Les trous de l’ignorance se révèlent pourtant par l’interrogation et le savoir retrouve sa position médiane et médiatrice, partageable quand il fait souci, transmissible quand il exige reformulation et adaptation pour autrui. Ce déplacement de la valeur du savoir fait du maître un magister qui situe l’élève comme disciple et comme égal dans l’objectivation de la pensée. Tel est l’enjeu de toute activité pédagogique, de tout accompagnement au coeur de l’incertitude que le maître doit accepter, y compris pour lui-même ! On mesure l’intelligence d’un homme à l’ensemble des incertitudes que son esprit est capable de supporter...

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