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DEMOCRITE, atomiste dérouté
31 janvier 2011

L’épreuve du ressentiment

Dans un article très récent, j’ai parlé d’un texte de Nietzsche étudié en classe, relatif à la critique du génie. Je ne reprends pas le fond et j’invite le lecteur à se rendre ici.

Ce qui m’intéresse maintenant, c’est de rendre compte de la voie que nous avons empruntée à la suite de cette analyse, voie imprévue comme souvent et par conséquent féconde comme la réaction surprenante de la classe. C’est que les élèves ont rapidement compris que l’idéalisation pouvait devenir un prétexte pour éviter de se confronter à ses propres possibilités et demeurer sur l’horizontalité commune de la médiocrité. Mais, dans ce cas, pourquoi une agressivité vis-à-vis du créateur ? Pourquoi ce ressentiment chronique, ce refoulement ? Et d’abord qu’est-ce que le ressentiment ?

Je vois bien qu’avec cette question posée par une élève, il s’agit de mettre à jour la psychologie qui sous-tend non pas la haine pour autrui, qui, considérée en elle-même n’est qu’un prétexte, mais plus profondément, la haine qu’exerce le groupe sous la forme d’une force intériorisée, orientée contre tout ce qui est individuel, tout ce qui échappe au grégarisme. Le ressentiment, c’est d’abord "la force des faibles" mais comment en rendre compte concrètement ?

A ce moment-là, un autre élève intervient en possession d’une intuition qui va nous permettre d’avancer.

« Monsieur, c’est comme en classe, on a intérêt à faire comme les autres ! »

« Bonne intervention. L’école est un excellent exemple ! Oui, repris-je, voyez où se logent l’esprit grégaire et la réaction qui l’accompagne. Le ressentiment, c’est cette hargne éprouvée par le groupe depuis qu’il s’est constitué, pour celui ou celle qui aurait le malheur de faire preuve d’intelligence dans les murs de l’école et d’y affirmer une partie de son génie propre ou de sa puissance. Toute individualité désireuse d’intervenir positivement dans le cadre scolaire, par souci réel pour le cours ou pour une discipline quelconque, devra affronter la violence du groupe, l’humiliation et la terreur : « Lécheur de prof !! Fayot !! Lèche-cul !! etc. » quand ce ne sont pas des brimades et des agressions physiques ! Il est rigoureusement interdit et même scandaleux de témoigner d’un intérêt et de l’exprimer avec ardeur dans une salle de cours sans subir le retour du refoulé ! Et ce qui est remarquable, c’est que ce processus se déroule alors même que le professeur tente, en principe, d’inciter chaque élève à s’élever. Faire le débile, l’amuseur, le grotesque, le « ouf » de service passe bien, mais être intelligent, affûté, mobilisé, subtil, faire preuve d’un esprit de finesse, c’est insupportable et c’est surtout une trahison vis-à-vis de la médiocrité exigée par le groupe. Il va falloir faire payer à celui-là le prix de son intelligence ! Voyez où se loge la force des faibles, dans le nombre mais aussi dans la réaction qui vise toujours à maintenir un état antérieur. Tel est le ressentiment, une haine du devenir, de la transformation, de l’insécurité qu’elle déclenche, une peur qui nécessite son bouc-émissaire, son sacrifice.  Mais le premier sacrifié, c’est toujours soi, ce à quoi on a dramatiquement renoncé sous l’emprise des forces réactives

Je m’arrête là et je regarde la classe. Ils sont complètement pétrifiés. Un silence d’une rare densité s’installe. Je sens que j’ai touché quelque chose d’intime, comme si chacun prenait conscience de ses positions antérieures, de ses identifications successives au groupe, comme s’ils découvraient qu’ils avaient été à la fois bourreaux et victimes dans un système où la loi, c’est toujours celle du nombre. Ce silence fait signe vers l’histoire scolaire de chacun, vers les compromissions et les lâchetés qu’on a tous expérimentées dans l’univers grégaire de l’école comme ailleurs, dans le monde du travail, dans les familles, bref, partout où l’individu fait l’expérience que toute vie sociale repose sur une violence potentielle.

Ce silence se déploie sur fond de réminiscence et ressemble à un acte de réappropriation de soi. Il fut brisé par la sonnerie. Libération ? Soulagement ? Je n’ai pas la réponse.

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Commentaires
M
Mais voyons cher Démocrite, comme il est doux et bon de rentrer dans la norme, dans l’écart type moyen ou autres us et coutumes de nos traditions : figures de notre belle et bonne conscience. Nous l’expérimentons au quotidien dans le domaine de la gestion des affaires humaines. Il suffit d’écouter nos politiques et quelques uns de leurs sbires, ces extraordinaires juristes ou magistrats qui s’expriment « en diseurs de droit », se cachant doucettement, confortablement derrière leurs textes et références règlementaires, dont certains, d’ailleurs débutent par cette incroyable accroche« au nom du peuple français » : peuple consulté comme nous le savons, très régulièrement. Le peuple s’exprime, vraiment ? Vous m’en voyez ravie, liberté d’expression oblige ! <br /> Plus sérieusement, sommes-nous donc réellement considérés comme des personnes et non plus comme de simples individus interchangeables, vulgaires pions d’un rouage d’une société « totalitaire » et totalisante ? La norme nous permet-elle de développer notre capacité d’innovation, de création, de distinction parmi nos semblables ( au passage terriblement dissemblables ) ?<br /> Pure plaisanterie, l’esprit grégaire est aujourd’hui parvenu, faut-il en convenir, à son apogée. Je ne connais rien de plus IN- CROYABLE d’ailleurs que l’existence d’un pseudo champ du possible pour la libre expression de chaque individualité, et ce, même et surtout au titre de l’exception ? Là, la contradiction est à sa comble si l’on considère que la fameuse norme qui censure l’agir individuel, c'est-à-dire exceptionnel, la norme disais-je, s’applique à l’exception en se désappliquant tout simplement à elle-même sous la forme du retrait et de la suspension. Amusant non ?
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