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DEMOCRITE, atomiste dérouté
10 mars 2023

La Palma : une esthétique de la réconciliation

 

Caldeira de Taburiente 

Cliquez sur les images pour les vivre en grand format

           Je me souviens avec émotion de cette période extraordinaire lorsque je déambulais au sommet de l'île la plus inclinée et, paraît-il, la plus haute du monde compte tenu de sa faible largeur, La Palma, dans l'archipel néo-cubain. J'y ai vécu des moments esthétiques et métaphysiques d'une rare densité, d'une puissance telle qu'elle nous traverse et nous nourrit pendant des mois voire des années : expérience indélébile de la beauté et du sublime, mettant en scène précisément ce quelque chose qui nous lie à la Vérité et ne nous quitte plus. 

L'abîme et le chaos

           Où suis-je donc chez moi ? Dans quel espace poser un pied ferme lorsque nous avons été portés de la sorte par des divinités telluriques, soutenus dans mnos pas sibyllins par la force tout entière des forêts de pins endémiques ? Etre ici et là-bas, comme suspendus dans les intermondes, à la lisière du Réel, au plus proche de l'énigme de l'autre, au plus près d'une peau de satin que les corps échangent dans ce contact avec cette terre arrachée aux profondeurs de l'Atlantique. 

Le Teide (3718 m) sur Ténérife à 120 km

        Mon esprit tout entier demeure arrimé à cette invraisemblable expérience palméenne du dernier soir, lorsque je décidai de grimper à la Taburiente traversant les brouillards opaques de ces nimbes formées par les alizés. Je ne pouvais consentir à rentrer au pays sans tenter l'aventure, car pendant toute la durée de ce séjour insulaire, les hauteurs furent masquées par des convections subtropicales splendides mais funestes pour risquer la marche déroutée.

Convections depuis le mirador d'El Time sur les hauteurs de Los LLanos

 

        Parvenant à la bordure de l'ancien volcan, le ciel se déchira et laissa brutalement place à l'abîme fumante de Taburiente, aux couleurs rauques des antiques éruptions, aux nimbes folâtres courant sur les parois inhabitées.

Apparition - Caldeira et spectre de Brocken

 

        Pourquoi ne puis-je demeurer, comme tant d'autres, captif d'une représentation affiliée au divertissement, à l'affairement mondain et aux activités rentables ? Pourquoi l'insignifiance du monde m'apparaît-elle dans une absurde évidence, me ramenant à la plus élémentaire pauvreté ?

Navire sans boussole

         C'est que la "beauté convulsive" et fracassée de ce réel dynamique et silencieux m'emporte entièrement et créé en moi un séisme, un mouvement tellurique de grande ampleur, libérant des failles, des énergies subreptices, des lignes de force, reconfigurant entièrement le paysage intérieur de mon esprit ! L'inintelligible est la loi des choses, la surdité -le lot indépassable de l'atomiste fracturé par la déroute de sa propre vitalité et de la vie en général.

Fracas silencieux

          Je ne suis pas seul. Je sens poindre une étrange fraternité atomique avec ces espaces de feu, ces verticales de lave, ces végétaux-sentinelles !  Je sens cette parenté, en deçà du vouloir, sous les protubérances archétypales de l'inconscient, avec l'élémentarité constitutive du "il y a". Une familiarité souterraine relie l'humain vétitable à la plus radicale étrangeté qui soit, au secret de l'originaire bordant le territoire inabordable de l'impensé.

Végétaux-sentinelles

         Le magma consume la représentation, paradoxale crudité de l'incendie ! Paradoxale cruauté du sublime qui emporte l'image et la laisse choir au seuil d'une exaltation sans boussole. C'est pourtant l'image même de la Vérité qui nous apparait comme une insurmontable aporie, source fécondante à la ressource inassignable, nous laissant jubilants au bord d'un monde dé-fait et simultanément re-composé. Telle est la Vérité - Vérité qui se donne tout en se voilant, qui se présente en se dérobant, "Vérité dans l'abîme", Alètheia, perdue à tout jamais dans les insondables profondeurs de la caldeira ! 

Le gouffre de la Vérité

         Voilà l'expérience métaphysique majeure réitérée, rejouée dans cette cathédrale verticale au choeur tragique et impermanent. La danse énigmatique des brumes suspendues dans le silence moiré du sans-fond, attire le Dérouté funambule. Elles pourraient bien le précipiter dans le néant tel Ulysse affrontant le chant des sirènes. 

Vapeurs fumantes de l'Hadès

         Mais à l'ouest, vers l'occident, vers la bordure du cratère, se dressent des veilleurs de nuit, d'étranges gardiens des cieux, impavides, indifférents à la tectonique et à la branloire dionysiaque des profondeurs.

Sentinelle du vertige

        Ils font signe, comme de belles Sibylles d'argent, vers la  splendeur azurée des lointains, vers la tranquillité provisoire des orbes célestes, vers la fécondité du rêve d'Icare arraché aux pesanteurs d'ici-bas.

Ouest-Nord-ouest

        Alors que le sublime donne le sentiment de la démesure, de l'hybris, à la lisière de l'effroi et de l'indicible horreur, la beauté calme les ardeurs et recentre la force vers un point d'équilibre qui maintient l'esprit à bonne distance du réel, au plus proche, mais à un atome d'écart. Atome salvateur ! Atome de sur-vie et de dérivation ! 

Embrasement

        Voilà pourquoi, la beauté peut parfois apaiser et tenir en respect. Fruit d'Apollon et de Dionysos, elle fait oeuvre mais reste teintée de sublime. Entre les plis de l'harmonie, çà et là, se dissimule la sauvagerie de l'originaire. Le sacré n'est jamais loin, c'est-à-dire la vérité recouverte par le voile de la représentation. 

Dionysos et Apollon

       Il est si difficile de revenir. Je suis plein de cette déroute esthétique majeure et me voilà plus insulaire que jamais ! Autant dire solitaire parmi des hommes et des femmes qui ne sont pas mes compagnons de déroute. Mais ce dont je parle fait signe vers l'indicible et indiscernable terrain des profondeurs dans lequel la solitude se confond avec la totalité des "choses" singulières qui vont et viennent, qui disparaissent à tout jamais. Splendeur d'un crépuscule de feu vécu au bord de l'abîme par un être réconcilié avec le Tout.

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Commentaires
S
Très cher Démocrite,<br /> <br /> <br /> <br /> Je ne suis pas venu depuis bien longtemps sur votre site déserté. Je ne voyais plus vos photos sur Flickr et je m’étais dit que peut-être vous aviez considéré ces témoignages comme vains. Ce jour, je ne sais qu’elle besoin m’y a conduit et j’ai découvert avec surprise votre « retour ». J’ai lu vos derniers messages et je ne sais par quelle erreur de manipulation ou par quel cheminement logique je suis arrivé sur celui-ci sans me rendre compte qu’il s’agissait d’une réédition d’un post de 2015. Je le lisais donc sans savoir que je le relisais. Au fur et à mesure de ma lecture, j’étais de plus en plus transporté. Je continuais ma lecture par les commentaires et tombais avec stupeur sur le mien !<br /> <br /> J’ai ressenti la même émotion, la même familiarité souterraine, la même vibration.<br /> <br /> Le monde est petit et surprenant. <br /> <br /> Je ne peux que réitérer mes propos sincères sur ce texte et son écho. Ma déroute entre terre et ciel sur les pentes du vivant continue. Elle m’offre encore des moments de grâce et je voudrais être plus léger pour pouvoir encore mieux et plus souvent les apprécier mais l’humanité est lourde et mon courage sans doute vacillant. L’homme, la femme repliés sur leurs blessures narcissiques se ferment devant ce spectacle incandescent, éblouissant.<br /> <br /> Continuez d’en profiter cher Démocrite, buvez de cette source vive et faites nous encore profiter de votre regard si aiguisé et éveillé.<br /> <br /> Je voulais aussi vous assurer de mon soutien suite à l’épreuve que vous avez traversée.<br /> <br /> Amitié,
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D
Cher Stéphane,<br /> <br /> Je veux vous dire que votre commentaire me touche profondément. Il est si rare de recevoir un écho aussi fort, une résonance à ce point vécue que cela vaut tous les encouragements du monde.<br /> <br /> C'est en amitié que je vous remercie, en ami de la vaste Nature que vous savez aussi éprouver.<br /> <br /> Portez-vous bien.
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S
Bonjour cher Démocrite et félicitations pour ce texte vibrant dont la lecture m'a exalté comme si, à distance, j'étais parcouru des mêmes courants telluriques et embrasé par les mêmes feux intérieurs. La beauté de la Nature ne cesse de me saisir bien au delà d'une simple satisfaction esthétique. Je ressens cette fulgurance comme un signe de l'indicible aimantant l'essence de mon être dans des tremblements de joie. "Il est si difficile , dites vous, de faire ressentir ce dont il s'agit ici. Je ne sais si je peux y parvenir. " Moi, je ne sais si l'humain peut s'approcher plus près des limites de son champ d'interaction et s'il peut s'accomplir davantage que vous dans ces moments de grâce.Sincèrement. Votre texte est d'une saisissante force et beauté et donne sens à l'écrit, au fait d'écrire. Le verbe ne peut que révéler à travers les représentations, à travers les lignes mais,dans ce texte, vous semblez presque dépasser cette limite qui reste infranchissable. Vous nous faites boire à la fontaine de la "source féconde et inassignable".<br /> <br /> Et que dire de ca passage où l'artiste funambule nous salue sur un point d'équilibre parfait "Une familiarité souterraine relie l'homme à la plus radicale étrangeté qui soit, au secret de l'originaire bordant le territoire inabordable de l'impensé." <br /> <br /> Voilà le véritable voyage en terres inconnues.<br /> <br /> Bien à vous,
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D
Très cher Max,<br /> <br /> venant de toi, je ne peux être qu'ému car je sais quel esthète et quel photographe exceptionnel tu es. Merci mille fois, Ami.
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M
Quel magnifique voyage! Tu as été bien inspiré de braver les éléments, ils t'ont offert une beauté majestueuse que tu as su saisir comme un vrai photographe professionnel, tes cadrages sont justes comme tes mots en harmonie totale.<br /> <br /> Merci de partager ces incroyables instants révélateurs de la beauté de notre monde, je conçois que cette ascension t'habitera très longtemps.<br /> <br /> Amitiés, Max.
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G
Merci surtout à l'artiste qui a le don de saisir le moment, l'angle pour nous donner toutes ces émotions et nous faire voyager dans l'intime de la nature et nous renvoit à notre intime souvent oublié. Pour cela, bravo ! NK
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D
Quelle résonance ma chère Sibylle ! Vous vibrez de bas en haut et de haut en bas, vous vibrez comme ces terres sismiques perdues dans l'océan. Quelque chose me dit que cette épreuve de feu est aussi la vôtre, non pas une épreuve atomistique mais plutôt...phénoménologique... J'adore les "rivières scoriaques" !<br /> <br /> Merci infiniment.
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S
Voilà de somptueuses images cher Démocrite avec, vos textes, vos mots d’atomiste qui tombent en cascade et sculptent le précipice, creuse notre béance aussi. En ces lieux renversants, fascinants se déploie une autre temporalité, un autre rythme : le temps est brusqué, déstructuré. <br /> <br /> Nous le sentions alors … Il ouvre une brèche, celle-là même qui porte le sentiment du vivre à son paroxysme. La peau de la montagne, del Roque de Los Muchachos s’est durcie sur les flammes, ses larmes de sang ont séché, teintées par la fusion endormie d’ocres et de pourpres.<br /> <br /> <br /> <br /> Ici, l’instinct de vie et de mort se soulèvent, se réciproquent l’un et l’autre dans un va- et-vient éprouvant ce lien incandescent avec l’originaire : l’étincelle de vie.<br /> <br /> <br /> <br /> Des rivières scoriaques de lave se reposent sur cette onde éternelle : A couper le souffle ! <br /> <br /> <br /> <br /> Merci !
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G
Très beau texte, images magnifiques ! Du grand art !
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