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DEMOCRITE, atomiste dérouté
7 octobre 2013

Le mirage de la logique

 

         Le drame logique dans lequel la conscience commune s'enlise, à commencer par la conscience des philosophes, est l'impératif binaire qui soumet la pensée à une chose ou à son contraire. Dieu existe ou dieu n'existe pas ! L'âme est ou elle n'est pas etc. L'esprit embrouillé est alors sommé de choisir son camp. Le camp de l'être ou du non-être, a ou non-a, l'affirmation ou la négation !

        Je me souviens d'une intervention donnée par André Comte-Sponville au sujet de l'athéisme, réfutant avec conviction l'agnosticisme considéré comme une position de confort qui refuserait de se situer dans le débat. Mais ce que ce brave "philosophe" a omis de dire, c'est combien il est lui-même conditionné par le paradigme aristotélicien qui le fixe à la logique binaire, c'est-à-dire à la croyance au langage, cette même croyance qui lui interdit d'opérer un saut qualitatif et sceptique véritable.

        Au nom de quel principe le réel serait-il soumis à la logique ? Au nom de quelle vérité sommes-nous contraints de raisonner en des termes aussi tranchés, comme si le réel obéissait dans sa structure à cette démarcation ontologique ? Qui pourra donc l'expliquer ? Pas Comte-Sponville manifestement qui ne comprend pas que la position agnostique est une position sceptique. Elle a défait le mirage de la grammaire et du sujet, a destitué le langage sur son propre terrain et avec lui la logique qui verrouille la pensée et l'enchaîne au paradigme de la signification coûte que coûte. Soutenir l'existence de dieu ou son inexistence, cela revient au même puisque cela conditionne un positionnement signifiant donc revendicatif. En ce sens, notre homme n'est pas seulement "un chrétien sans dieu" pour reprendre la formule lapidaire d'Onfray qui ne vaut pas mieux que lui sur ce terrain, mais le prêtre d'une spiritualité qui navigue dans les eaux communes de la religion du sens. Ces deux "philosophes à bon marché" se retrouvent jusque dans leurs critiques dans l'océan ordinaire des mondanités. On s'ébat, on s'ébroue, on proclame un monde postchrétien, on prêche l'oecuménisme, on réconcilie, on divise et on entretient le mirage auquel on voue sa vie de philosophe pour écoles de commerce ou émissions ringardes de télévision. Le "sens" est toujours rentable ! La religion du sens est toujours commercialement juteuse car elle séduit tous les gogos en quête de recettes pour l'existence. 

       L'agnostique - (a-cognoscere) celui qui est privé de connaissance, est ailleurs. Il a pourfendu le paradigme du sens, de l'être et du non-être et se déploie hors de la logique dont l'intention est évidemment suspecte de fascination et d'endoctrinement. L'être n'a pas plus d'existence que de non-existence. Nous ne savons pas de quoi nous parlons. Aussi, à la question : dieu existe-t-il ? Le sceptique pourra répondre à la manière de Lacan : "Je m'en fous !". Entendons, cette question, insignifiante comme tant d'autres ne vaut que pour les dogmatiques de tout poil qui veulent forcer leurs représentations à coïncider avec le réel. Mais au fond, la question comme les réponses proposées demeurent parfaitement in-différentes. Et quand ces choses-là, ces "hallucinations sonores" selon la formule de Cioran ne se posent plus, l'esprit goûte alors une plus haute tranquillité loin des fous et de leur vanité médiatique. 

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Commentaires
D
Intéressante, l'image du laxatif ! J'avoue que je n'y aurais pas songé... En selles, les amis !
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G
Il y a le tiers-exclu et le tiers-inclu. Et au delà de toutes les positions possibles l'adiaphoria, la non-différence. Car toutes les positions sont, en dernière analyse, injustifiables et controuvées. Aussi la "position pyrrhonienne", après avoir réduit en cendres tous les dogmatismes, finit-elle fort légitimement par se saborder elle-même, comme ces laxatifs qui; emportant les selles, s'éliminent eux-mêmes dans un joyeux gargouillis excrémentiel!
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D
Merci Cédric, je ne tenais pas nécessairement à parler de dieu et à ce signifiant d'autant plus surchargé qu'il est vide mais plutôt de la logique binaire qui est la structure implicite de la pensée dominante. Cette structure nous empêche de voir, de sentir et d'expérimenter d'autres rapports, d'autres liens, d'autres intensités. <br /> <br /> A votre manière, vous déjouez aussi cette logique ce qui n'est pas sans m'amuser quelque peu.
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D
Bonsoir Frédéric,<br /> <br /> <br /> <br /> De mémoire, c'est dans Humain trop humain que Nietzsche fait cette distinction entre la pensée libre et la libre pensée. La pensée libre ne dépend plus du paradigme dominant parce qu'elle s'est affranchie de la vérité, cette idole des philosophes, alors que le libre penseur reste attaché à ses ancrages initiaux, au type de vie qu'il renforce d'autant plus qu'il le conteste par son attitude critique. L'esprit de contradiction du "libre penseur" est donc essentiellement réactif, organisé comme un système défensif et "obsessionnel" pour reprendre très justement votre mot. <br /> <br /> C'est ce qui m'a toujours frappé chez Onfray, son attachement viscéral au religieux et au corps chrétien dont il a manifestement besoin pour penser et écrire avec l'apparente liberté qui est la sienne. C'est dire si l'empreinte initiale est décisive. Son expression souffreteuse le trahit sans cesse mais cela n'a pour nous autres sceptiques que peu d'importance car nous naviguons au bord des failles, au-delà des "ismes" et des revendications, avec l'intuition d'un originaire tellement hasardeux et insaisissable (le réel) qu'aucune logique ne le contient ni ne l'exprime adéquatement.<br /> <br /> <br /> <br /> Amitiés atomistiques<br /> <br /> <br /> <br /> Démocrite
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C
Cher Démocrite, voici une dizaine de mes phrases à ce sujet, certaines ne pourront que résonner avec ce que vous dites là ;-) :<br /> <br /> <br /> <br /> 381. Se dire « athéiste », c'est encore se positionner par rapport à « Dieu ». <br /> <br /> <br /> <br /> 1024. Questions aux croyants :<br /> <br /> <br /> <br /> Dieu se demande-t-il « Mais qui m'a créé ? » ? Dieu croit-il en Dieu ? <br /> <br /> <br /> <br /> 1710. Si Dieu était indispensable, personne ne pourrait s'en passer. <br /> <br /> <br /> <br /> 1774. Je suis un moine sans religion, un stylite sans colonne, un anachorète sans prières, un cénobite sans compagnons, un ermite sans solitude, un bonze sans habit, un ascète sans modèle, un gyrovague sans Dieu. <br /> <br /> <br /> <br /> 1892. <br /> <br /> Pour le croyant, Dieu est une obsession. <br /> <br /> Pour l'athéiste, son absence peut en être une.<br /> <br /> Quant à moi, Dieu m'indiffère. <br /> <br /> <br /> <br /> 2778. <br /> <br /> - Diriez-vous que vous êtes incroyant ?<br /> <br /> - Oui, incroyant mais également irréligieux, athée, mécréant, agnostique, incrédule, areligieux et non-croyant.<br /> <br /> - ...<br /> <br /> - Pour résumer : je n'ai pas besoin de Dieu. <br /> <br /> <br /> <br /> 3122.<br /> <br /> Allez Dieu, viens !<br /> <br /> Viens si t'es un homme !<br /> <br /> <br /> <br /> Dieu, j'ai beau le provoquer, il vient pas, il a peur de moi.<br /> <br /> <br /> <br /> 3235. <br /> <br /> - Que pensez-vous de Dieu ?<br /> <br /> - Je pense que c'est une mauvaise idée. <br /> <br /> <br /> <br /> 3788. Si Dieu existait, le deal serait très clair : « Tu me juges pas, je te juge pas. » <br /> <br /> <br /> <br /> 3807. <br /> <br /> - Cédric, connaissais-vous Dieu ? <br /> <br /> - Son nom me dit quelque chose. <br /> <br /> <br /> <br /> 3865. <br /> <br /> - Cédric, je te dis que Dieu existe, il est le créateur du monde !<br /> <br /> - Ah oui ? Et qui a créé Dieu ?<br /> <br /> - Dieu est l'Incréé !<br /> <br /> - Et pourquoi ne dis-tu pas « le monde est l'Incréé » ? Ainsi tu peux te passer du concept de « Dieu ». Moi, je n'ai pas besoin de Dieu ni d'aucun intermédiaire. <br /> <br /> <br /> <br /> 4021.<br /> <br /> - Cédric, tu pries Dieu ?<br /> <br /> - Non, mais parfois j'entends une voix me prier, c'est sûrement Dieu.<br /> <br /> <br /> <br /> À chaque fois je lui réponds que je ne peux rien pour lui.<br /> <br /> <br /> <br /> 4062. <br /> <br /> - Cédric, est-ce que Dieu existe ?<br /> <br /> - Qu'il existe ou pas ça change quoi ?
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S
Cher Démocrite,<br /> <br /> <br /> <br /> Ce que les athéistes, en effet, ne comprennent pas dans l'agnosticisme c'est son fond sceptique. Ils y voient une sorte de centrisme théologique. Dès lors, ils considèrent l'agnostique comme un faiblard, un type qui n'ose pas s'émanciper de Dieu. Tandis que l'athée, lui, a une raison affirmée. En fait, une fois n'est pas coutume, je donnerai mon assentiment à Nietzsche quand il fait — dans Le Gai savoir (?) — la distinction entre les esprits libres et les libres penseurs. Les premiers n'étant pas concernés par la question du divin laissent les croyants à leur lubie, les autres, obsédés par le triomphe de la raison, n'ont de cesse de démontrer l'inexistence de Dieu. Esprits dégagés dans le premier cas, obsessionnels dans le second cas (Onfray et les militants de l'Union rationaliste). En cela, la formule de Lacan que vous citez me semble exprimer ce que Nietzsche entend par "esprit libre".<br /> <br /> <br /> <br /> Amitiés balnéaires,<br /> <br /> <br /> <br /> FS
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