Le mirage de la logique
Le drame logique dans lequel la conscience commune s'enlise, à commencer par la conscience des philosophes, est l'impératif binaire qui soumet la pensée à une chose ou à son contraire. Dieu existe ou dieu n'existe pas ! L'âme est ou elle n'est pas etc. L'esprit embrouillé est alors sommé de choisir son camp. Le camp de l'être ou du non-être, a ou non-a, l'affirmation ou la négation !
Je me souviens d'une intervention donnée par André Comte-Sponville au sujet de l'athéisme, réfutant avec conviction l'agnosticisme considéré comme une position de confort qui refuserait de se situer dans le débat. Mais ce que ce brave "philosophe" a omis de dire, c'est combien il est lui-même conditionné par le paradigme aristotélicien qui le fixe à la logique binaire, c'est-à-dire à la croyance au langage, cette même croyance qui lui interdit d'opérer un saut qualitatif et sceptique véritable.
Au nom de quel principe le réel serait-il soumis à la logique ? Au nom de quelle vérité sommes-nous contraints de raisonner en des termes aussi tranchés, comme si le réel obéissait dans sa structure à cette démarcation ontologique ? Qui pourra donc l'expliquer ? Pas Comte-Sponville manifestement qui ne comprend pas que la position agnostique est une position sceptique. Elle a défait le mirage de la grammaire et du sujet, a destitué le langage sur son propre terrain et avec lui la logique qui verrouille la pensée et l'enchaîne au paradigme de la signification coûte que coûte. Soutenir l'existence de dieu ou son inexistence, cela revient au même puisque cela conditionne un positionnement signifiant donc revendicatif. En ce sens, notre homme n'est pas seulement "un chrétien sans dieu" pour reprendre la formule lapidaire d'Onfray qui ne vaut pas mieux que lui sur ce terrain, mais le prêtre d'une spiritualité qui navigue dans les eaux communes de la religion du sens. Ces deux "philosophes à bon marché" se retrouvent jusque dans leurs critiques dans l'océan ordinaire des mondanités. On s'ébat, on s'ébroue, on proclame un monde postchrétien, on prêche l'oecuménisme, on réconcilie, on divise et on entretient le mirage auquel on voue sa vie de philosophe pour écoles de commerce ou émissions ringardes de télévision. Le "sens" est toujours rentable ! La religion du sens est toujours commercialement juteuse car elle séduit tous les gogos en quête de recettes pour l'existence.
L'agnostique - (a-cognoscere) celui qui est privé de connaissance, est ailleurs. Il a pourfendu le paradigme du sens, de l'être et du non-être et se déploie hors de la logique dont l'intention est évidemment suspecte de fascination et d'endoctrinement. L'être n'a pas plus d'existence que de non-existence. Nous ne savons pas de quoi nous parlons. Aussi, à la question : dieu existe-t-il ? Le sceptique pourra répondre à la manière de Lacan : "Je m'en fous !". Entendons, cette question, insignifiante comme tant d'autres ne vaut que pour les dogmatiques de tout poil qui veulent forcer leurs représentations à coïncider avec le réel. Mais au fond, la question comme les réponses proposées demeurent parfaitement in-différentes. Et quand ces choses-là, ces "hallucinations sonores" selon la formule de Cioran ne se posent plus, l'esprit goûte alors une plus haute tranquillité loin des fous et de leur vanité médiatique.