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DEMOCRITE, atomiste dérouté
26 juin 2014

Autopsie d'une révolte annoncée

       La dernière fête de la musique a donné lieu à Pau à des scènes qui ressemblent en tout point à une "émeute" de quartier mobilisant au bas mot une soixantaine de personnes contre des forces de l'ordre lourdement déployées. Et pourtant, aux dires des nombreux témoins, tout se passait bien dans le quartier du Hédas : ambiance festive, sans débordements particuliers si ce ne sont les habituels fêtards partageant une ivresse plutôt joyeuse devant la scène où se succèdent divers groupes rock, folk, hip-hop et autres. Pas de quoi fouetter un chat ! 

       Un arrêté municipal avait fixé la fin des concerts à 1 heure du matin. Or, à 2 heures, le concert n'est pas terminé. On a pris du retard. Le dernier groupe doit encore achever sa prestation scénique. Une voisine a appelé la police. A 2 heures 10, vingt-quatre CRS investissent les lieux, manifestement très énervés, et l'un d'entre eux monte sur la scène et commence à débrancher le matériel sans aucune discussion avec le groupe ou les organisateurs (voir le communiqué des responsables de l'association organisatrice). Les spectateurs se mettent à huer les fonctionnaires. Les policiers répondent selon les témoins de manière brutale et, sans sommation, aspergent le public présent avec des gaz lacrymogènes. Dans une incroyable cohue, de nombreuses personnes répliquent en projetant sur les CRS ce qu'ils ont sous la main (canettes, cartons, bouteilles vides, cailloux etc) et parviennent à les faire reculer pour se mettre à bonne distance des gaz. Beaucoup cherchent alors à quitter le quartier et rapidement se rendent compte que toutes les issues ont été bloquées par les forces de police (Brigade Anti-Criminalité, police municipale, CRS, gendarmes). Tout semble prémédité. De nombreux témoignages évoquent une répression aveugle et sans nuance à l'aide de flash-ball.

     Des gens installés aux bars voisins ont été gazés alors qu'ils se tenaient à distance de la scène. Une femme cherchant à fuir explique qu'elle a été aspergée "dans la bouche" par un policier sous tension. Un jeune homme blessé par une balle de flash-ball au bras a été matraqué au sol avant d'être relâché (?). Je passe ici les invraisemblables situations décrites par les uns et les autres. Aux insultes en direction des forces de police, celles-ci répliqueront de façon ciblée selon des témoins par des insultes du même type et des coups de matraque parfaitement maîtrisés pour ne pas laisser de traces.

      Au-delà du caractère absurde et du bilan pitoyable de cette soirée : un enfant de 3 ans hospitalisé à cause des gaz, des personnes traumatisées, des blessures par flash-ball, quatre interpellations sur soixante participants, quatre condamnations en comparution immédiate avec prison ferme pour certains, deux policiers blessés, je m'interroge sur ce qui peut constituer une cause de déflagration sociale et d'embrasement. Je note qu'au procès en urgence, le déroulement de la situation n'a jamais été questionné. Comment passe-t-on d'une soirée plutôt paisible à des scènes de guérilla urbaine ? L'ivresse des "émeutiers" (dixit la procureure) comme leur violence spontanée sont les causes essentielles. Tous obéissent "au principe de la coaction", autant dire d'une action concertée et collectivement déterminée, de quoi "fonder" la totale et entière responsabilité des quatre fauteurs de trouble.

     Nulle distanciation dans ce théâtre du tribunal, nulle compréhension. On explique les faits du point de vue formel de la loi soutenue par une police évidemment assermentée, sans comprendre quoi que ce soit au déroulement complexe d'une situation dans laquelle l'agissement des représentants de l'autorité a déclenché un type de réponse jamais observé dans ce quartier plutôt tranquille du Hédas. Les "effets de groupe", qu'ils soient le fait des civils comme des policiers n'existent pas. La compréhension psychosociologique des conduites humaines ne pénètre pas l'enceinte d'un tribunal dont le seul objectif consiste à réagir le plus vite possible, c'est-à-dire à suréagir en faisant payer aux quatre interpelés la totalité des dégâts.

      Pour les juges, pour la procureure, les seules victimes sont les policiers. Aucun témoignage décrivant les conditions d'émergence de cette réaction collective comme l'attitude des forces de l'ordre n'a été entendu. Tout était donc joué d'avance ! Aussi, peut-on dire qu'à la "coaction" supposée des "délinquants" s'oppose la coaction des pouvoirs cumulés des juges, du procureur et des policiers.

       Que la police soit, pour une part, responsable de cet embrasement est dans toutes les têtes sauf dans celles qui sont censées garantir l'ordre public. Comment ne pas s'interroger sur le type de réponse de l'institution judiciaire lorsqu'elle couvre sans nuance ni distinction les corps de police qui usent de pratiques indignes ? Comment comprendre que des policiers, chargés de faire respecter la loi et le sens de l'autorité puissent user de méthodes de voyous en se plaçant sur le même plan que ce qu'ils cherchent à corriger ? Comment séparer enfin dans de telles conditions, la valeur de la loi et ce contre quoi elle lutte -la violence- si la réponse proposée est du même ordre ? Combien de jeunes adultes contrôlés au facies par la BAC, fouillés, fixés au sol, tutoyés, violentés, condamnés au silence pour ne pas être embarqués pour rébellion sur des agents dépositaires de l'autorité publique ?

      Voilà qui en dit long sur la formation de ces "fonctionnaires" qui ne savent rien de la signification de l'autorité parce qu'il n'y voit qu'une obéissance aveugle à la manière de "l'état agentique" analysé par Stanley Milgram (La Soumission à l'autorité). Obéir à la loi, c'est se soumettre, c'est devenir l'agent exécutif d'une volonté étrangère ! La force de la loi dans ce sens-là, c'est la répression aveugle ! Ces policiers imposent aux autres la soumission qui est la leur vis-à-vis de leur propre hiérarchie. Un tel niveau d'inculture et d'immaturité renseigne toujours plus les citoyens sur la psychologie d'un bon nombre de fonctionnaires dont on peine à imaginer leur mode d'action dans un Etat qui serait encore moins démocratique que le nôtre. 

     Comme le rappelle Rousseau, "là où la force est employée, l'autorité a échoué". Et dans le cas présent, je doute que tous ces jeunes gens aient vécu cette expérience avec le sentiment d'un renforcement de l'autorité légale.

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Commentaires
D
Oui Michel, le fonctionnaire fonctionne mais comment fonctionne-t-il dans le cadre d'une fonction dite "publique" et que signifie encore cette idée ?
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M
Un fonctionnaire fonctionne..D'après vos écrits et votre recul ,pas vous avec heureusement bien d'autres.<br /> <br /> Toujours bien vivant cher Dick:<br /> <br /> http://www.youtube.com/watch?v=d3EiFQJdNJU
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